lignes de fuite2010-07-07T11:17:45+02:00Christine Geninurn:md5:1348Dotclearligne(s) de fuiteurn:md5:ce42a8a71441cce5a808ef2fe9cc17462010-03-05T00:25:00+01:00cgatblogs et internet <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/reseau.jpg" alt="reseau.jpg" /></p>
<p>ces lignes de fuite <a href="http://christinegenin.fr/blog/">se poursuivent
par là ...</a></p>ces simagrées de poésieurn:md5:54fc1b0b3fcc6b7991c393829fe874fc2010-01-31T02:27:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_janv10/chevillard_choir.jpg" alt="chevillard_choir.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" /><br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Il y a beau temps que les esprits éclairés en ont fini avec ces simagrées de
poésie. Nous préférons modeler dans la glaise - nous baisser où que nous
soyons, ramasser une poignée de Choir et malaxer la matière ici appelée glaise
abusivement, mais qui sera de toute façon suffisamment visqueuse et malléable -
des copies scrupuleuses de la statue de Yoakam - on trouve même des yeux de
poisson dans cette colle -, mais il ne saurait ici être question d'art,
entendons-nous bien, ce sont des prières, des rites d'adoration que nous
exécutons sans regarder nos mains, le regard tourné vers le ciel. Est-ce Ilinuk
enfin, cette blancheur immaculée qui descend sur Choir ? Puis nous
baissons les yeux : est-ce la blanche clarté d'Ilinuk qui s'étend
maintenant sur Choir ? Hé non ! (p. 104)</p>
<p>Nos artistes sont finalement mieux récompensés de leur peine. Suspendus par
la taille à une corde fixée à un mât puis poussés avec force contre un mur
blanc sur lequel ils s'écrasent et rebondissent une fois, deux fois, trois
fois, les artistes ensanglantés exécutent là, avec leurs tripes aussi bien
qu'avec leur tête, des fresques qui ne nous laissent pas insensibles. Si elles
ne nous tirent pas des larmes non plus. (p. 161)</p>
<p>Nous travaillons la pierre avec obstination, avec rage, dans le but d'user
nos outils, puis nos ongles donc, mais animés surtout par la volonté de
parsemer Choir de ruines désolantes. Car jamais nous n'achevons nos
constructions - nous n'allons tout de même pas nous installer à Choir ! -,
nous les livrons en chantier aux araignées et aux punaises, aux chauves-souris,
aux hiboux, aux champignons, aux mousses, aux orties. Sous la lune, Choir
paraît presque abandonnée. Nous avons beau savoir - et pour cause (nous sommes
tapis derrière les blocs) - qu'il n'en est rien, ce songe fugace nous emplit
l'âme d'une joie sauvage. (p. 228)</p>
<p>Nous expérimentons sur une brebis des remèdes à ces lourdeurs de tête et
d'estomac qui font de nous des êtres si pesants, créatures des boues et des
poussières. Nous lui coupons une première patte : la voici déjà moins
assujettie au sol. Nous lui coupons une deuxième patte, et c'est une
déception : la brebis s'affaisse (quelle que soit la patte choisie).
Hypothèse la plus vraisemblable, que nous devons à Nganamba : dans le feu
de nos recherches, nous n'avons pas attendu suffisamment avant de pratiquer la
deuxième amputation. La brebis - qui n'est pas un aigle - a défailli, effrayée
par cette légèreté nouvelle, le vertige de cet infini qui soudain s'ouvrait
pour elle. Il lui faut du temps entre chaque opération afin qu'elle
s'adapte ; et il en faudra davantage encore lorsque nous en serons à
l'amputation de sa dernière patte, l'ultime amarre. Si l'expérience se révèle
concluante, et le contraire serait étonnant, alors nous ouvrirons le protocole
à des volontaires humains. Tous les habitants de Choir se sont déjà portés
candidats. (p. 229)</p>
<p>Éric Chevillard, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=2633">Choir</a>
(Minuit, 2010)</p>
</blockquote>
<p>Quelques citations pour inviter ceux qui n'auraient pas encore découvert les
sombres beautés de l'île de Choir a l'explorer au plus vite - et quelques liens
vers des critiques, des vraies :</p>
<p>::: <a href="http://www.revue-analyses.org/document.php?id=1537">« Éric
Chevillard : Choir « sans intention » — mais vers le haut »</a>.
Entretien avec Roger-Michel Allemand (<em>@nalyses</em>)</p>
<p>::: trois billets chez Didier da Silva (<em>halte là</em>), <a href="http://haltela.over-blog.com/article-extrait-43027946.html">ici</a>, <a href="http://haltela.over-blog.com/article-c-est-choir-encore-43284778.html">là</a>
et <a href="http://haltela.over-blog.com/article-c-est-choir-encore-43659270.html">là</a><br />
::: <a href="http://hublots.over-blog.com/article-allez-choir-enfin-43641666.html">Philippe
Annocque</a> (<em>hublots</em>)<br />
::: <a href="http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1995">François
Bon</a> (<em>tiers livre</em>)<br />
::: <a href="http://towardgrace.blogspot.com/2010/01/legendes-de-choir.html">Christophe
Claro</a> (<em>Le Clavier Cannibale II</em>)</p>
<p>::: <a href="http://www.telerama.fr/livres/eric-chevillard-choir,51358.php">Erwan
Desplanques</a> (<em>Télérama</em>)<br />
::: <a href="http://www.liberation.fr/livres/0101613612-du-chevillard-premier-choir">Éric
Loret</a> (<em>Libération</em>)<br />
::: <a href="http://www.la-croix.com/livres/article.jsp?docId=2410301&rubId=43500">Patrick
Kéchichian</a> (<em>La Croix</em>)<br />
::: <a href="http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7a955bce-0d1e-11df-ac51-ea9d0febb065">Isabelle
Rüf</a> (<em>Le Temps</em>)</p>
<p>::: et aussi bien sûr <a href="http://l-autofictif.over-blog.com/">L’autofictif</a>, le blog d’Éric
Chevillard, dont le deuxième volume de l’édition papier <a href="http://www.arbre-vengeur.fr/?p=1806">L’autofictif voit une loutre</a>, vient
aussi de paraître aux éditions de L’Arbre vengeur.</p>le trou béant d’un sarcophage en bétonurn:md5:4c1923d2b46112493657fab0da22b4dd2010-01-20T01:23:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_janv10/Filhol_centrale.jpg" alt="Filhol_centrale.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /><br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Après l'incident, on s'est occupé de moi. Il y a des intervenants pour ça,
des étapes obligatoires, une méthode. J'ai été le cas sur lequel on déroule la
procédure, et c'est une chose bien connue que, chaque cas étant unique,
celle-ci à un moment ou à un autre doit être adaptée. Dans le domaine
particulier des procédures d'urgence, aucun technicien, aucun ingénieur, même
le plus inventif, ne viendra à bout du challenge qui consiste à tirer d'une
situation toutes les conséquences en termes de risques, à envisager le pire
pour en limiter l'impact, le pire dans l'univers des possibles n'étant pas une
figure statique, facile à saisir, bien au contraire, en matière de pire on peut
toujours faire mieux, et la réalité des incidents qui est riche et complexe est
toujours une leçon d'humilité.<br />
Quand au risque nucléaire, le circonscrire à l'enceinte de confinement,
idéalement on aimerait bien, on tend vers ça, pour finalement dans la pratique
s'en remettre aussi aux statistiques, la probabilité que ça arrive ou que ça
n'arrive pas, l'incertitude, son seuil de tolérance, etc., on imagine, des
heures et des heures passées à dresser la carte des cas connus et répertoriés
ou prévisibles, qui s'enrichit du retour d'expérience, et le reste,
l'impondérable, les taches blanches, qu'on ne se représente même pas. Quand
l'incident se produit, c'est grave ou c'est moins grave, sur l'échelle INES
notée de 1 à 7 de la sûreté nucléaire, ça peut être grave collectivement ou de
façon isolée pour un travailleur ou deux, les statistiques intègrent ça aussi,
le bien du plus grand nombre et la quantité négligeable. (p. 34-35)</p>
<p>Impénétrable, indestructible. Et ce que l'hermétisme du dehors traduit du
dedans. Elle séduit. Disons qu'elle peut séduire. Par ce qui est à l'œuvre au
cœur du réacteur dans l'assemblage minutieux des pastilles d'uranium, la
fission nucléaire, si simple dans son principe. Par ce qu'elle dit surtout de
la maîtrise acquise par l'homme des lois de la matière et de la manière d'en
libérer l'énergie. Une énergie colossale, contenue, tout est là, dans un
confinement qui ne demande qu'à être rompu pour donner toute sa mesure. En
salle de contrôle, un agent appuie sur le frein. Plusieurs freins à
disposition. Plusieurs variantes d'un seul principe, l'absorption des
neutrons.</p>
<p>Ce qui est à l'œuvre au cœur du réacteur, c'est l'illustration par l'exemple
de la fameuse équation d'Einstein, E = mc2, qui met face à face, dans un
rapport constant, l'énergie et la masse, deux choses qu'il n'allait pas de soi
de rapprocher, l'une établie comme proportionnelle à l'autre, tant il est vrai
que rien ne disparaît mais se transforme. Un neutron libre percute un atome.
Plus précisément, un atome lourd, uranium ou plutonium, capte au sein de son
noyau un neutron libre. Le noyau devient instable, se scinde en deux, et libère
deux ou trois neutrons. Parce qu'il perd en masse, sa fission dégage de
l'énergie. À l'échelle de l'atome, c'est une énergie considérable. À notre
échelle à nous, elle ne le devient que par le principe même de la fission
nucléaire qui veut qu'une fois amorcée, la réaction se propage à des milliards
d'atomes en quelques fractions de seconde. La sensation de l'homme qui comprend
ça, qui sait être le premier dans l'histoire des hommes à le comprendre ?
La sensation de cet homme, en l'occurrence une femme, Lise Meitner, réfugiée en
Norvège en 1940, à l'instant où l'idée jaillit qu'elle sait être la bonne,
d'une portée inimaginable, sans commune mesure avec ce qui a été mis au jour
jusqu'ici ? (p. 106-109)</p>
<p>Il se tient debout au bord de la piscine, vide. Il se tient debout en
combinaison étanche, heaume ventilé et masque à gaz sous le heaume, incapable
de franchir le pas qui lui permettrait d’agripper la rampe, de pivoter, puis de
poser son bottillon droit en caoutchouc blanc et semelle crantée sur le premier
barreau de l’échelle, en prenant bien garde de ne pas s’enrouler ou entortiller
le cordon d’alimentation, une fausse manœuvre qui couperait net l’arrivée d’air
au plus mauvais moment, une fois atteint le fond de la piscine ; pour
l’instant, en cas d’urgence ou sur un coup de tête, il peut encore agir,
arracher le heaume et le masque et respirer librement, mais quinze mètres plus
bas, ce qu’un homme sans tenue de protection est surtout libre de respirer, ce
sont les gaz et aérosols radioactifs libérés par les parois, tritium, cobalt,
césium, etc. Il entend la voix derrière lui, à travers le heaume, qui lui donne
l’ordre pour la deuxième fois de descendre. Il ne réagit pas. Il se tient
debout, tétanisé, sans rumination, sans conflit intérieur. Devant lui, la
piscine. Le trou béant d’un sarcophage en béton, vide. Sous le matériel de
manutention peinte en jaune, pont roulant, treuils et mâts de levage, non plus
la surface troublante et lisse de l’eau animée par une lumière intérieure, non
plus cette eau qui vous tend les bras, dont le charme par la seule magie de sa
couleur repousse les hésitations et les craintes, mais une fosse vide et grise
dans son cuvelage d’étanchéité. Il ne peut pas descendre. Il sait qu’il ne
pourra pas le faire. Il ne le sait pas à la manière d’un bipède doué de parole
et raisonnable, mais d’instinct. C’est en engagement massif de tout le corps
contre la volonté, si tant est que la volonté, depuis qu’il est entré ici, ait
eu son mot à dire. La voix est celle, identifiée du chef d’équipe qui en
appelle à la raison. Les gars de la première vague ont eu leur dose. Maintenant
c’est à eux de jouer, lui Bernard et ses collègues qui attendent le début de
l’intervention habillés comme lui en tenue Mururoa, tant qu’à faire, quitte à
devoir y aller, qui voudraient en être déjà débarrassés, et s’impatientent. Un
homme le double, suivi d’un deuxième, etc., lentement, avec précautions, ils
commencent à descendre. (p. 121-123)</p>
<p>Elisabeth Filhol, <a href="http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-84682-342-5">La
centrale</a> (POL, 2010)</p>
</blockquote>
<p>L’écriture lumineuse et rigoureuse de ce premier roman fait éprouver au plus
près la fascination pour la centrale, les centrales, le bleu ultraviolet de
leurs piscines, l’énergie inouïe enfouie dans leur cœur de béton ; mais
aussi l’étrange, rationnelle et inquiétante manière dont y sont organisé le
travail et gérées les fragiles ressources humaines ; et, surtout, les
émotions des hommes que la centrale dévore et use prématurément, entre excès
d’adrénaline et banalisation des gestes, peur de la surdose et peur du chômage,
anesthésie et angoisse.</p>
<p><a href="http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=6000">Elisabeth
Filhol</a> est née le 1er mai 1965 à Mende en Lozère. Elle travaille dans
l'industrie comme audit et analyste financière et vit à Angers.</p>
<p>::: <a href="http://www.pol-editeur.com/pdf/6283.pdf">lire les premières
pages</a><br />
::: <a href="http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1990">François
Bon</a><br />
::: <a href="http://www.martinesonnet.fr/blogwp/?p=5407">Martine
Sonnet</a><br />
::: <a href="http://www.telerama.fr/livres/la-centrale,51128.php">Nathalie
Crom</a> (Télérama)</p>labyrinthe est morturn:md5:1628cdae6b1c945b0fcbaf370b16e20f2010-01-08T03:39:00+01:00cgatblogs et internet <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_janv10/.renoir_jean_renoir_dessinant_1901_m.jpg" alt="renoir_jean_renoir_dessinant_1901.jpg" /></p>
<blockquote>
<p>Pierre-Auguste Renoir, <em>Jean Renoir dessinant</em> (1901)</p>
</blockquote>
<blockquote>
<p>Cinquante ans plus tard, le modèle se souvient des conditions précises dans
lesquelles ce portrait a été fait : « J'avais exactement sept ans
quand le portrait a été peint. Comme je ne pouvais pas aller à l'école parce
que j'avais la grippe, mon père en profita pour me prendre comme modèle. Pour
que je reste tranquille, il suggéra qu'on me donne un crayon et une feuille de
papier ; il me convainquit de dessiner des animaux pendant que lui
dessinait mon portrait » (Jean Renoir à John Roberts en 1952, lettre
conservée au Virginia Museum of Fine Arts de Richmond).</p>
</blockquote>
<p>Non, je ne suis pas entrée en hibernation (quoique...) ; mais j'ai
entrepris de configurer sous <a href="http://www.spip.net/">spip</a> un nouveau
site dont je ne donne pas l'adresse car elle devrait changer et parce qu'il est
encore complètement en chantier : je découvre (non sans peine) les joies
des squelettes, boucles et autres noisettes du logiciel au <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Polatouche">polatouche</a>, et cela prend du
temps !</p>
<p>Je ne sais pas encore ce que ce site deviendra mais j'aimerais y reprendre
certains des contenus de mes deux blogs successifs, <a href="http://consciences.blogspirit.com/">(con)science(s)</a> et lignes de fuite, et
aussi de <a href="http://pagesperso-orange.fr/labyrinthe/accueil.html">labyrinthe</a> :
vous avez sans doute remarqué que ce site cacochyme (11 ans, rendez-vous compte
!) était en coma dépassé depuis quelque temps déjà. En essuyant une petite
larme, je le déclare officiellement mort, mais il restera pour l'instant en
ligne à l’état d’archive 1999-2009.</p>meilleurs jeuxurn:md5:298025ada028e90a99a783b1fce3534b2010-01-01T00:01:00+01:00cgatcitations <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/veronese_porzia.jpg" alt="veronese_porzia.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" /><br />
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Meilleurs boeufs<br />
dit le pâtre<br />
Meilleurs deux<br />
dit le matheux<br />
Meilleurs feux<br />
dit l’amoureux<br />
Meilleurs gueux<br />
dit le hère<br />
Meilleurs jeux<br />
dit l’enfant<br />
Meilleurs meuhs<br />
dit la vache<br />
Meilleurs noeuds<br />
dit le marin<br />
Meilleurs peus<br />
dit l’ascète<br />
Meilleurs queux<br />
dit le Maître<br />
Meilleurs voeux<br />
dit celui qui n’a rien d’autre à faire.</p>
<p>Paul Fournel, <em>Anthologie de l’OuLiPo</em> (Gallimard, Poésie, 2009, p.
452)</p>un fil d'Ariane qui ne mène nulle parturn:md5:5f4d76cecb490ff70800198ad8a466e32009-12-30T01:49:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/.vinclair_barbares_s.jpg" alt="vinclair_barbares.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" /><br />
<br />
<br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Et le corps ébloui se diffracte, et s'abîme - il se perd, dans les
innombrables fragments (des bris de verre, déboîtant la lumière) d'une
bouteille que la main, ainsi, n'a plus tenue. On ne sait pas de quoi cet
aveugle au miroir impossible mourra de s'aimer trop s'il écoute l'hymen de
l'océan déchirer sa membrane au coin des éboulis et, par ces béances, se
disperser les légendes du monde, ou (...)</p>
<p>Un écho lui tiendrait lieu d'origine (sur la peau des éclaboussures de vin
en retracent la mémoire, le sang des mythes)</p>
<p>La main inutile, à la prise d'un schème où gazouillait jadis Tout, aboli,
reste le noeud d'un hymne sans chiffre. Je dis : ouvre ta gorge, Popée,
chante. (p. 16)</p>
<p>Popée va-t-en mêler tes larmes d'aveugle aux gouttes délogées qui payent, de
honte et en silence, la rançon du chaos, - presque rien. Mais j'oublie que tu
saignes, toi aussi, et tu dis : je suis le clochard de l'Être. Que le sang
de personne que tu laisses derrière toi est un fil d'Ariane qui ne mène nulle
part, sinon à la déchirure elle-même ? Que tu vis dans les éclats. Pas
dans un labyrinthe.</p>
<p>Autour, la boue remplace la terre. Doucement, ses pieds s'engouffrent au
fond des herbes vierges, coloriés par la vase. Il disparaît derrière les
falaises - je chante. (p. 19)</p>
<p>Pierre Vinclair, <a href="http://editions.flammarion.com/Albums_Detail.cfm?ID=36315&levelCode=litterature">
Barbares</a> (Flammarion, Poésie, 2009)</p>
</blockquote>
<p>« Un triptyque composé d’une épopée, d’une tragédie et d’un cantique »,
selon l'auteur.</p>
<p><a href="http://vinclairpierre.wordpress.com/qui/">Pierre Vinclair</a> est
né en 1982 à Aurillac. Il enseigne la philosophie à Rennes et a publié :<br />
- <a href="http://www.obiwi.fr/culture/1603-l-armee-des-chenilles-de-pierre-vinclair">L’Armée
des chenilles</a> : roman (Gallimard, 2007)<br />
- <a href="http://www.martinesonnet.fr/blogwp/?p=2103">Ce monde en
train</a> : recits (La Part commune, 2009)</p>
<p>Il est actuellement en résidence à la villa Kujoyama, à Kyoto, où il tient
un blog, <a href="http://vinclairpierre.wordpress.com/">Pierre Vinclair au
Japon</a>.</p>
<p>::: <a href="http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/11/barbares-de-pierre-vinclair-lecture-de-florence-trocm%C3%A9.html">
l'analyse critique de ce recueil</a> par Florence Trocmé, la <a href="http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/10/pierre-vinclair.html">notice
Poezibao</a> et <a href="http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/10/anthologie-permanente-pierre-vinclair.html">
d'autres extraits</a></p>
<p>::: <a href="http://www.lecorridorbleu.fr/Blog/2009/07/04/un-poeme-de-pierre-vinclair/">un
poème sur ré pon nou</a>, le blog des éditions du corridor bleu, et <a href="http://www.t-pas-net.com/libr-critique/?p=1271">un autre</a> chez
libr-critique.</p>lire en profondeururn:md5:3d6348b2aecd779604bf9103c4631c0b2009-12-26T23:36:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/.tavares_monsieur_kraus_m.jpg" alt="tavares_monsieur_kraus.gif" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /><br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Monsieur Kraus quitta le journal de bonne humeur. Il savait que, par les
temps qui couraient (à reculons ? de travers ?), « la seule façon
objective de commenter la vie politique, c'était d'en faire la satire ». (p.
9)</p>
<p>Le Chef aimait le changement parce qu'il n'aimait pas rester à ne rien
faire. Et il n'aimait pas rester à ne rien faire parce qu'il aimait le
changement. Telle était sa position sur la question. Le Chef pouvait faire
siennes des positions différentes, mais sur d'autres sujets. Sur le fait de
rester à ne rien faire ou de passer à l'action, il avait adopté cette position.
Ces deux positions.<br />
Il essayait d'alterner. Il tirait fierté tantôt de l'une, tantôt de l'autre. Le
Chef disait :<br />
- On appelle ça la propriété commutative du langage. De même que deux plus
trois égale trois plus deux, ne pas aimer rester à ne rien faire égale aimer le
mouvement. Tout comme aimer le mouvement égale ne pas aimer rester à ne rien
faire. Je ne sais pas si vous m'avez bien compris.<br />
Les deux Assesseurs avaient compris.<br />
- Donc, dit le Chef, en, désignant l'un d'eux, vous !<br />
- Moi ?<br />
- Oui, vous !<br />
- Qu'est-ce que j'ai fait ?<br />
- Rien. C'est justement le problème. Il faut faire quelque chose. On ne peut
pas rester sans rien faire. Je vous ai déjà expliqué l'idée de propriété
commutative ?<br />
- Oui, Chef. On a adoré ! Ça fait cinq. Trois, plus deux, ça fait
cinq.<br />
- Visiblement, vous n'avez rien compris. Ce qui importe, ce n'est pas le
résultat, c'est le mouvement. Vous saisissez ?<br />
Les deux Assesseurs avaient parfaitement saisi. Pour la deuxième fois.<br />
- Bien. Maintenant, tous les deux, vous allez vous asseoir et vous allez taper
par terre avec vos pieds, sans relâche, jusqu'à ce que je vous dise d'arrêter.
Allez, vous tapez jusqu'aux prochaines élections !<br />
- Quelle belle idée, Chef. (p. 25-26)</p>
<p>- De ce côté-là, des hommes obéissant aux ordres du Chef tirent sur les
oiseaux les plus lents, dit monsieur Kraus.<br />
De ce côté-ci, le Chef ramasse un ou deux oiseaux blessés et, au vu et au su de
tous, décide de les soigner, avec dévouement, en se consacrant exclusivement,
jour après jour, à leur complet rétablissement. Sauver au moins l'un de ces
oiseaux devient alors une obsession.<br />
Un homme ingénu pourra penser qu'il eût été plus simple de commencer par ne pas
donner l'ordre de tirer sur les oiseaux. Pourtant, l'année suivante, le
processus se répétera. (p. 49)</p>
<p>- Lire en profondeur... murmura monsieur Kraus.<br />
Un politicien ne lit pas de livres, dans le meilleur des cas il lit les titres.
Avec les gens, il fait pareil. (p. 101)</p>
<p>Gonçalo M. Tavares, <a href="http://www.viviane-hamy.fr/fiche-ouvrage.asp?O=245">Monsieur Kraus et la
politique</a> (Viviane Hamy, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Toujours aussi savoureux que les deux volumes précédemment traduits,
<a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2009/06/13/seul-completement-seul-comme-toujours">Monsieur
Valéry</a> (Viviane Hamy, 2008) et <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2009/09/29/aujourd-hui-l-insignifiant-sera-bleu">Monsieur Calvino et la
promenade</a> (Viviane Hamy, 2009), la suite des évocations par <a href="http://goncalomtavares.blogspot.com/">Gonçalo M. Tavares</a> des habitants de
son « bairro » en forme de bibliothèque idéale. Le « Chef »
évoque furieusement certain(s) dirigeant(s) actuel(s) de notre pays, et, dans
ce volume-ci, on trouve en prime une postface d’Alberto Manguel.</p>dans l'espèce le corps te persécuteurn:md5:a02f54fa882c6154c4ca70af2edca4422009-12-23T23:04:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/.brosseau_espece_s.jpg" alt="brosseau_espece.jpg" /></p>
<blockquote>
<p>S'il ne faut plus dire<br />
La sentence ou le panthéon<br />
La mort ou le rat<br /></p>
<p>En l'espèce,<br />
Plus fin que l'homme, l'âme, la triste,<br />
Plus illustre que les crustacés<br />
Plus tenace que les abeilles hésitantes<br /></p>
<p>S'il ne faut plus dire<br />
Les espèces ou la multiplicité<br />
L'un dans l'autre,<br />
La fuite en contre-jour (p. 17)</p>
<p>Et s'il fallait dire les signes de la parole,<br />
Et s'il fallait être la parole par son silence,<br /></p>
<p>Parce que, dans l'espèce, le corps<br />
Te persécute, il me faut lui signifier<br />
Qu'il est une mer des tremblements,<br />
Un lieu d'être en son absence,<br />
Une excitation, c'est-à-dire,<br />
Un refus qui se nie infiniment,<br />
Un corps meurtri,<br />
Rouleau d'algues et de rats tremblants,<br />
Qui se rongent, la carcasse, qui se tremblent,</p>
<p>Absente figure de l’espèce,<br />
Il n’y a plus d’espèce,<br />
Que son témoignage (p. 43-44)</p>
<p>Mathieu Brosseau, <em>L’espèce</em> (Mots Tessons, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Aux éditions <a href="http://motstessonsed.canalblog.com/">Mots Tessons</a>
également, un joli petit livre 10 par 15 qui arpente les espaces de l'espèce en
posant successivement deux questions :<br />
« Et s'il ne fallait plus dire<br />
Que les signes du silence ? » (p. 15)<br />
« Et s'il fallait dire l'absence<br />
Quels seraient les signes du silence ? » (p. 37)</p>
<p>Avec une belle préface de Fabrice Thumérel, dont on peut lire aussi un
<a href="http://www.t-pas-net.com/libr-critique/?p=1539">article dans
libr-critique</a>.</p>
<p>Mathieu Brosseau est né le 23 décembre 1977 à Lannion. Il est bibliothécaire
à Paris et anime la revue en ligne <a href="http://www.plexus-s.net/">plexus-s</a>.<br />
Il a publié :<br />
- <em>L’Aquatone</em> (La Bartavelle, 2000)<br />
- <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/12/29/le-defini-n-est-pas-l-oppose-de-l-infini">Surfaces :
Journal perpétuel</a> (Caractères, 2003)<br />
- <em>Dis-moi</em> (La Rivière échappée, 2008)<br />
- <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2009/03/03/sur-le-rythme-de-la-pensee-nous-nous-inventons">La
Nuit d’un seul</a> (la Rivière échappée, 2009<br />
- <a href="http://publie.net/tnc/spip.php?article260">UNS</a> (publie.net,
2009)</p>
<p>::: <a href="http://www.mathieubrosseau.com/">le site / blog de Mathieu
Brosseau</a></p>essaimer comme dispositif ou colonieurn:md5:b526b461740af17495d49d7bf673ddaf2009-12-23T01:24:00+01:00cgatécrivains <blockquote>
<p>Il y a des phrases qui façonnent et celles qui racontent. Les premières
appellent la constance, les secondes le changement. Le langage définit ainsi
deux manières de vivre : apprendre à obéir, ou apprendre à naître. Passé
le cap de choisir, arrive la littérature dépourvue de fonction, et la solitude
heureuse. Avec elles, la liberté de se tromper, comme celle de quitter l’humain
pour l’animal. (p. 11)</p>
<p>Ce ne sont ni le corps, ni l'esprit, qui parlent, mais leurs masses fondues
sous le blindage d'une fonction commune, partagée entre ligne de défense et
ligne de front. Quelqu'un agite la langue entre l'index et le majeur en V. Il
reprend cette idée de fusion, de communion, mais de façon obscène, comme l'y
pousse son statut, et la présence des autres subalternes. (p. 13)</p>
</blockquote>
<p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/.rahmy_dussel_cellules_souches_s.jpg" alt="rahmy_dussel_cellules_souches.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" /></p>
<blockquote>
<p>Nullité de la tentative qui prétendrait dépasser la description, nullité de
la description. Ecrire ne se peut qu'en l'absence d'histoire. Il ne s'agit pas
de raconter, mais d'occuper une position, et d'implanter des racines, ou des
neufs, sans considération pour l'idée de patrie, d'antériorité, de bon droit.
Se précipiter sur chaque terre vierge à portée. Essaimer, ne plus exister en
tant que personne, mais comme dispositif, essaim ou colonie. L'affirmation de
soi disparaît au profit d'une obstination collective où les relations se nouent
et se dénouent à la vitesse de l'éclair. Explosions d'écailles, horde
filandreuse, étirée le long du fleuve dont la boucle brille au soleil ; il
semble qu'un pouvoir opère encore, mais rien ne dit qu'il concerne les humains.
Des milliards de sardines font un va-et-vient au large de l'Afrique australe,
portées par un réflexe fossile qui les menait jadis très loin, vers le nord,
lorsque les eaux glaciaires emplissaient les océans, mais qui les pousse
désormais au-devant des courants chauds de l'équateur, contre lesquels elles
rebondissent avant de faire demi-tour, livrées aux prédateurs, baleines,
requins, dauphins, phoques, cormorans et toutes sortes de poissons tropicaux
affamés. Comme ce banc innombrable, l'écriture perpétue l'éclosion de vies
aberrantes et sacrifiées. Quelle que soit la langue, les mots parasitent un
hôte aveugle sourd et muet, un mouvement sans corps, mais tangible comme le
sexe. Surgi du fond des âges, ce vecteur pointe son épine sur les troupeaux
agenouillés. Arrosé de beurre fondu, de blé cuit avec de la viande, il est
couvert de mouches dont les yeux sont nos étoiles. Peu importe qu'on soit d'ici
ou d'ailleurs, nos sacs sont vides et nos chèvres sont sèches à force de
marcher. Nous nous sommes lavés dans la mort, mais le monstre ne laisse sortir
personne (p. 15)</p>
<p>Philippe Rahmy & Stéphane Dussel, <em>Cellules souches</em> (Mots
Tessons, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Une écriture pleine de lignes de fuite pour dire les lignes de défense, les
lignes de faille et les lignes de front du corps et de l'esprit.</p>
<p><a href="http://remue.net/spip.php?rubrique201">Philippe Rahmy</a> est né le
5 juin 1965.<br />
Il est l’un des membres fondateurs de <a href="http://remue.net/">remue.net</a>
et a publié notamment :<br />
- <a href="http://www.cheyne-editeur.com/grands_fonds/rahmy_mouvement.htm">Mouvement par
la fin. Un portrait de la douleur</a> (Cheyne, 2005)<br />
- <a href="http://www.cheyne-editeur.com/grands_fonds/rahmy_demeure_corps.htm">Demeure le
corps. Chant d’exécration</a> (Cheyne, 2007)<br />
- <a href="http://www.publie.net/tnc/spip.php?article148">SMS de la cloison</a>
(publie.net, 2008).</p>
<p>Il vient de créer son blog, <a href="http://kafkatransports.net/">kafkaTransports. Fret littéraire</a>, au titre
tout aussi magnifique que celui du présent livre.</p>
<p><em>Cellules souches</em> est l’un des premiers livres des éditions <a href="http://motstessonsed.canalblog.com/">Mots Tessons</a>, créées par Armand Dupuy
et Stéphane Dussel.</p>
<p>::: <a href="http://www.t-pas-net.com/libr-critique/?p=1539">un article de
Fabrice Thumérel</a> (libr-critique)</p>dans la prostration du langageurn:md5:5eec81c303d17b8604cde1c09daba2c62009-12-20T03:57:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/chauvier_Crise.jpg" alt="chauvier_Crise.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /><br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Aujourd'hui, la litanie de l'époque est éloquente.<br />
« C'est la crise pour tout le monde. La crise financière secoue les
économies. Elle modifie notre existence. Comment faire pour l'affronter ?
Elle altère de deux points le moral des Français. Il va falloir adapter nos
modes de vie. La fin de la crise n'est pas pour demain. Elle est pour demain.
La crise de système est devenue une crise de confiance. »<br />
Toutes ces phrases d'experts autoproclamés, que vous entendez dans les médias,
ont pour point commun de ne spécifier aucun contexte. Je peux aussi bien
remplacer le mot « crise » par le mot « dieu » ou par le
mot « diable », une question demeure : avez-vous une quelconque prise
sur la situation que désigne ce mot ? Si je reprends la dernière phrase,
soit « La crise de système est devenue une crise de confiance »,
pouvez-vous vous projeter distinctement dans ce « système », et comprendre
les liens réels qui le relient à votre existence ? Quant à cette
« crise de confiance », elle n'est pas plus claire. Qu'est-ce que cet
environnement glauque, sans localisation précise, où votre confiance serait en
berne ? Enfin, qu'est-ce que cette conversion d'une raison systémique en
raison psychologique ? Le manque de précision est évident. De quoi
parle-t-on au juste? Ces mots ne font référence à aucun contexte. Ce sont des
coquilles vides, qui planent très haut dans l'éther.<br />
Mais personne ne relève ces carences. Dès le petit déjeuner, à la radio, ces
phrases diffusent une angoisse sourde, qui vous retient de clarifier leur
usage. Elles vous intimident et réduisent à néant votre potentiel critique face
à ce qui apparaît comme un incommensurable et affligeant déterminisme. La crise
existe comme les monstres sous les lits des enfants. Lorsque vous reprenez
ensuite ces arguments pour les échanger dans des conversations ordinaires, vos
propos intimidés deviennent à leur tour intimidants. Ils rendent illégitime la
critique sociale, et subsidiaires les questions touchant essentiellement au
vivre-ensemble. C'est ainsi que prend forme le consensus de crise : dans
la prostration du langage. C'est ainsi que toute disposition individuelle à la
vulnérabilité psychologique est travaillée au corps par le langage ordinaire,
par ces mots qui n'ont l'air de rien.<br />
À un degré plus hollywoodien encore, cette intimidation peut devenir un
véritable instrument de communication, comme en attestent les récents propos
d'un ministre :<br />
« Je crois qu'il est très malvenu d'aller manifester dans la rue alors que
nous sommes en pleine crise (...) il faudrait plutôt penser à se serrer les
coudes. »<br />
Cette phrase vous atteint en vous culpabilisant. Sa rhétorique de l'urgence
vous fait percevoir que vous êtes, contre votre volonté, membre de
l'environnement de la crise. Mais pour que cette perception soit optimale, elle
doit rester imperméable au langage clarifié. Vous pourrez bien vous offusquer
de ces propos, ils vous atteindront profondément. Ils vous intimideront et vous
plongeront dans cette « nuit sans fin », inexprimable et inconcevable. Une
fois de plus : où vos mots s'éteignent, la crise apparaît. Pourtant, avec
un peu d'acuité, le message hollywoodien de ce ministre pourrait facilement
être retourné dans quelle mesure l'illusion métaphysique d'un déterminisme
affligeant nommé <em>crise</em> est réalisé et entretenu afin de vous empêcher
de descendre dans la rue pour rappeler aux dirigeants de ce pays que vous
n'êtes pas responsables de la crise et n'avez pas à en faire les frais ?<br />
<em>Vous n'êtes pas responsable de la crise et n'avez pas à en faire les
frais</em>. Soit, mais se dégager de cette responsabilité suppose désormais de
parvenir à identifier les conditions de sa vulnérabilité au niveau individuel.
Par-delà le clivage opposant l'angoisse vécue au quotidien et le divertissement
qui la rend supportable, une alternative critique consiste à reprendre le cours
de la conversation pour tenter de désigner la « nuit sans fin » qui
vous terrifie. Déjouer l'illusion métaphysique du langage permet d'identifier
les limites de la crise économique mondiale à l'échelle I. Les effets
désastreux constatés dans la vie de chacun sont les fruits d'arrangements qui
n'ont rien d'ésotérique. Ces dérives financières s'inscrivent dans des
pratiques réelles qui prennent forme dans des lieux réels, comme ceux que
fréquente le ministre cité plus haut : des salles de conseil
d'administration de multinationales ou de banques, des conseils des ministres,
des salles de réunion des grands de ce monde (Fonds Monétaire International,
Banque mondiale, G20, etc.), des lieux plus informels dévolus à la réflexion ou
à l'apprentissage de la gestion de crise, etc. De même, le mot
« bourse » ne désigne pas un événement qui cause votre perte, mais un
lieu identifiable sur une carte, un lieu où l'on spécule, avec des salles de
conférences, de séminaires, des bars lounge où l'on parle clairement de l'état
du monde. Ceux qui occupent de tels lieux succombent moins que vous à
l'illusion métaphysique de la crise. L'intimidation y est plus rare, le langage
n'y connaît pas de fin. Ceux-là savent que la crise n'est pas satellisée dans
un ciel métaphysique, qu'elle n'est qu'une illusion résultant d'un consensus
d'intimidation qui interdit d'investir pratiquement en mots et, par là, en
actes, les lieux où se noue le théâtre des opérations.<br />
Si, pour reprendre les mots de Claude Lévi-Strauss, « la crise est bonne à
penser », il reste à définir le cadre et la démarche de cette réflexion.
Laisser ce projet aux sciences économiques et aux sciences politiques revient à
occuper un niveau hollywoodien qui contribue à entretenir l'illusion
métaphysique. L'existence de chacun ne se renouvellera pas en profondeur sans
une clarification régulière de l'usage qui est fait du langage ordinaire.
Wittgenstein avait, en son temps, assigné ce projet à la philosophie - ce qui
constitue sa profonde modernité. Cet accès à la raison anthropologique de la
crise n'est pas la chasse gardée d'une élite de spécialistes. Elle est une
discipline de vie, une lanterne pour avancer dans les marais de ce que les
historiens et les politiciens nomment « civilisation ». Lorsque les mots
seront clairement prononcés, le temps sera venu de ne plus se faire
d'illusions.</p>
</blockquote>
<p>Éric Chauvier, <a href="http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=469">La Crise commence où
finit le langage</a> (Allia, 2009, p. 40-46)</p>
<p>::: voir aussi : <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2009/11/14/c%E2%80%99est-que-du-bonheur">C’est que du bonheur</a>
(Allia, 2009)</p>la moindre des politessesurn:md5:40635ffe09208c9e65da9ff7d0fb739d2009-12-13T15:07:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/.hokusai_the_sazai_hall_of_the_500_rakan_temple_m.jpg" alt="hokusai_the_sazai_hall_of_the_500_rakan_temple.jpg" /></p>
<blockquote>
<p>Si l’on peut s’imaginer avoir quelque chose d’important à dire, la moindre
des politesses consiste à faire sentir ― sans insister ― qu’on en doute
sérieusement.</p>
<p><a href="http://lesideesheureuses.over-blog.com/pages/Qui_suisje_-1658690.html">Didier
da Silva</a>, « <a href="http://haltela.over-blog.com/article-apophtegme-41068547.html">Pense-bête</a> »</p>
</blockquote>
<p>::: sur son nouveau blog <a href="http://haltela.over-blog.com">Halte
là</a> : si comme moi vous étiez jadis fan des <a href="http://lesideesheureuses.over-blog.com/">Idées heureuses</a> et que vous ne
l'avez pas encore découvert, précipitez-vous !</p>
<p>::: quant au dessin, il est de François Matton : si vous ne connaissez
pas encore son « blog à dessin », <a href="http://francois-matton.over-blog.com/">Tout va bien</a>, je vous conseille
aussi fortement une visite.</p>que la nuit les verticales disparaissenturn:md5:4db238971d11b3bebe290dba9904171a2009-12-10T03:06:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/mahgan_lepage.jpg" alt="mahgan_lepage.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" /><br />
<br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Quand comme moi en tout cas on ne connaît de Paris que l’approche par train,
c’est comme intégrer la ville de l’intérieur même de la ville. Il n’y a pas ce
moment où la ville s’apparaît comme image éloignée, on dirait que la voie
ferrée se fraye diffcilement chemin entre les maisons et les hangars, dans les
arrière-cours. Les maisons hautes et grêles s’écartent de justesse du passage.
On passe devant des fenêtres mais on ne voit rien des intérieurs derrière
ombrés. On franchit sans doute les murs de la ville et presque aussitôt on
s’enfonce dans le noir des tunnels. On ouvrira finalement la ville de bas en
haut comme on lève une trappe. On se trouvera dans une gare, on se déplacera
sur des tapis roulants, on prendra le métro, on remontera à la surface. Et là
et seulement là on se dira : je suis à Paris. (p. 20-21)</p>
<p>C’était comme si la nuit aplatissait l’hôtel, en nivelait les hauteurs, les
hiérarchies. Le parking souterrain creusait sous le massif de l’hôtel comme un
val abîmant les constructions au-dessus. La nuit j’étais mon propre patron.
J’ouvrais une porte dérobée dans le parking, je fumais un joint, je continuais
ma ronde. Je balayais le hall, je longeais les corridors, je contournais la
piscine. Mes déplacements étaient lents. J’avais beaucoup de temps, trop de
temps. Je hantais le café-bar plusieurs heures la nuit. J’apprenais à vivre au
pied d’un massif, dans l’idée de vallée. Banff tout entière avait été bâtie
vallée. La nuit les montagnes disparaissaient, reparaissaient le jour. J’avais
grandi au contraire sur des plateaux, où la montagne disparaît le jour, on est
dessus mais on ne la voit pas, et surgit brusquement dans les peurs et les
rêves, dans la possibilité d’un précipice et d’un gouffre. J’apprenais à vivre
dans une vallée, dans une ville-vallée, où la nuit camoufle les massifs et où
le val n’est plus surgissement et descente et vitesse mais marche et
déambulation et lenteur. Je venais du haut de la montagne et je ne savais rien
du pied de la montagne, pour moi le pied de montagne c’était une coulée noire
et inhabitée, et l’idée qu’on puisse habiter au pied d’une montagne m’a
toujours paru mystérieuse. Donc je ne comprenais rien à la ville-vallée. Et je
n’avais rien pour m’aider à m’approprier la ville-vallée. Alors je me perdais
tranquillement dans la ville-vallée. Je me soumettais aux ordres de la
ville-vallée. Mais qu’est-ce que je croyais ? Non mais qu’est-ce qu’on
croit ? Ça ne va pas de soi tout ça, la ville-vallée et son organisation.
Ça ne va pas du tout de soi. Que le niveau de la chaussée, vitrines, hall,
commerces, soit tissé de signes anglais et japonais et de signes de dollars.
Que la langue française soit mise en commun et élevée en nombre dans la salle
souterraine. Qu’un parcours dans la ville soit translation sur la rue
principale comme au long d’un talweg. Que la nuit les verticales disparaissent
et les groupes s’entrechoquent dans les bars du centre-ville. Que cette ville
enfin au bout de votre translation vous jetait aussi facilement qu’elle vous
avait pris, et vous remplaçait aussi vite. (p. 64-65)</p>
<p>L’avion c’est la ville. Cela monte et redescend sur le béton et le verre,
comme s’il n’y avait entre de prairies et de lacs et de forêts. Dans l’avion on
n’a pas l’impression d’avancer comme sur la route. On reste quelques heures
immobile au-dessus de la ville, on redescend. La ville a changé, mais c’est
toujours la ville. La première fois que j’ai pris l’avion je devais avoir
environ six ans. Mes parents m’avaient envoyé à Montréal pour subir une
opération à l’œil. L’avion décollait de l’aéroport de Charlot, au
Nouveau-Brunswick. Mes parents étaient restés sur la piste. Ma mère me
rejoindrait par la route quelques jours plus tard. Un oncle allait me cueillir
à l’aéroport de Montréal. Je portais au cou une cocarde avec l’inscription
ENFANT TOUT SEUL. Je me rappelle la vue du tapis de nuages à travers le hublot.
J’ai longtemps douté de cette vision, l’avion volait-il vraiment au-dessus des
nuages ? À Montréal j’avais raté ma descente d’avion. Tout le monde était
sorti, moi je ne savais pas quoi faire, j’étais un enfant tout seul. Je restais
assis. Finalement un agent de bord est venu, il m’a pris par la main et m’a
guidé dans les allées. Je n’avais pas compris encore que j’étais sorti de
l’avion. Il n’y avait pas eu de transition par l’extérieur. Pour moi c’était
toujours l’avion. Puis je me suis retrouvé dans une très grande salle, très
complexe, bruyante et lumineuse, et j’ai su que j’étais sorti de l’avion. Mon
oncle m’attendait. Il m’a dit Tu n’as pas de manteau ? C’était l’hiver. On
a attendu longtemps, des agents sont revenus avec mon manteau, je l’avais
laissé dans l’avion sans comprendre que j’en sortais. Et est-ce que le corps
comprend jamais, même plus tard adolescent ou adulte, ce sont les mêmes salles,
les mêmes sièges, l’avion c’est passer simplement d’un couloir à un autre, on
oublie toujours son manteau. (p. 67-68)</p>
<p>Mahigan Lepage, <a href="http://www.publie.net/tnc/spip.php?article286">Vers
l’ouest</a> (publie.net, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Avaler l’asphalte - découvrir, parcourir et habiter des villes - et repartir
vers l’ouest - en un seul long paragraphe haletant pour road-movie
désenchanté.</p>
<p>Mahigan Lepage est québécois. Pour l’instant son blog, <a href="http://mahigan.ca">Le dernier des Mahigan</a>, est en panne et fait planter
firefox, mais on espère que cela ne durera pas…</p>
<p>::: en attendant on peut en profiter pour <a href="http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1971">se promener dans la
nouvelle interface</a>, très réussie, de <a href="http://www.publie.net">publie.net</a>.</p>il n'y a pas de noticeurn:md5:b6b5ed69901d5e93add72ed1140bc4c92009-12-08T02:35:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/ovalde_vera_candida.jpg" alt="ovalde_vera_candida.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /><br />
<br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Pour ne pas être prise de pleurs ou d'un découragement paralysant (Tiens
voilà, je m'écroule ici au milieu de cette place, je ne suis plus qu'un tas
d'étoffes, je disparais même de ce tas d'étoffes, dans quelques heures quand
ils le soulèveront au moment du nettoyage de la place, ils ne découvriront rien
d'autre, je me serai volatilisée), Vera Candida lissa l'intérieur de son crâne,
elle en fit une coquille vide et parfaite, à la surface aussi polie et douce
que la nacre d'un coquillage. Ce fut la condition pour ne pas retourner sur ses
pas et pour se remettre en marche, la mémoire neuve et le crâne dépeuplé. Elle
voulait traverser ce bout d'océan, trouver la cousine à l'auberge espagnole et
se débarrasser du bébé qui grandissait dans ses entrailles. Elle ne pourrait
rien faire de tout cela si elle était emplie de remords. (p. 88)</p>
<p>Vera Candida resta interdite dans le couloir et se souvint de ce que disait
sa grand-mère Rose Bustamente, Dans la vraie vie, on ne comprend pas toujours
tout, il n'y a pas de notice, il faut que tu te débrouilles pour faire le tri.
(p. 150)</p>
<p>Les vies se transforment en trajectoires. Les oscillations, les hésitations,
les choix contrariés, les déterminations familiales, le libre arbitre réduit
comme peau de chagrin, les deux pas en avant trois pas en arrière sont tous
gommés finalement pour ne laisser apparaître que le tracé d'une comète. C'est
ainsi qu'Itxaga devint peu à peu ce qu'il est encore et que, de loin, on ne
pouvait lui imaginer une autre vie que la sienne. (p. 227)</p>
<p>Véronique Ovaldé, <a href="http://www.bibliosurf.com/Ce-que-je-sais-de-Vera-Candida">Ce que je sais de
Vera Candida</a> (L’Olivier, 2009)</p>
</blockquote>
<p>L’histoire, dans une l'île imaginaire de Vatapuna, d’une lignée de quatre
femmes qui se battent contre la fatalité, dans une écriture très singulière,
mélange, acidulé et empoisonné, de burlesque et de violence.</p>
<p>Véronique Ovaldé est née en 1972.<br />
Elle travaille dans l'édition et a publié auparavant :<br />
- <em>Le Sommeil des poissons</em> (Seuil, 2000)<br />
- <em>Toutes choses scintillant</em> (L'Ampoule, 2002)<br />
- <em>Les hommes en général me plaisent beaucoup</em> (Actes Sud, 2003)<br />
- <em>Déloger l'animal</em> (Actes Sud, 2005)<br />
- <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/04/14/le-danger-est-dhyperventiler">Et mon cœur
transparent</a> (L’Olivier, 2007) Prix du livre France Culture –
Télérama.<br />
- <em>Ce que je sais de Véra Candida</em> (L’Olivier, 2009) a obtenu le
Renaudot des lycéens et le Prix du Roman France Télévisions</p>
<p>::: <a href="http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2009/08/22/veronique-ovalde-un-pied-dans-lhistoire-lautre-dans-la-feerie">
Hubert Artus</a> (<em>Rue89</em>, 22 août 2009)<br />
::: <a href="http://www.cuneipage.com/archive/2009/08/22/ce-que-je-sais-de-vera-candida-veronique-ovalde.html">
Cuneipage</a>, 22 août 2009<br />
::: un <a href="http://www.liberation.fr/livres/0101587267-candida-a-son-conte">article de
Philippe Lançon</a> et un <a href="http://www.liberation.fr/livres/1201172-dialoguez-avec-veronique-ovalde">entretien</a>
(<em>Libération</em>, 25 août 2009).</p>observatoire des réalités non ordinairesurn:md5:9e23e5ec9d0a49e8c326f4bd44aed5c62009-12-06T02:38:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/.quintreau_mandalas_s.jpg" alt="quintreau_mandalas.gif" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" /><br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Il avait pourtant tout essayé. <em>Mantras</em>, marche à pied, méditations
en tout genre. Mais aucune des techniques que lui avait apprises Zangpô ne lui
était à présent d'une quelconque utilité pour se défendre contre celles que le
maître appelait les <em>ennemies publiques numéro un du bonheur</em> : les
Pensées. Si ingénieuses, si inventives quand elles s'occupaient de science, de
techniques ou d'organisation du quotidien, ces petites cheftaines avaient
tendance à faire valoir leurs droits dans toutes les sphères de l'existence,
surtout là où elles n'avaient aucune légitimité. Et encore plus lorsqu'elles
achoppaient sur un problème qu'elles étaient censées résoudre. Non contentes de
leur incompétence, elles finissaient par dérégler l'ensemble du système,
créant, par leur prolifération, insomnies, dystonies neurovégétatives,
dyspepsies, crises de tachycardie. Il leur faudrait une bonne guerre. Une
<em>blitzkrieg</em>. Un truc comme une machine à décerveler. Une société
anonyme d'actions non cotées en Bourse qui lutterait contre la logique
boursière. Maintenant, à quoi pourrait ressembler cette machine à
décerveler ? Des comprimés à ingurgiter ? Ça existait déjà, ça
s'appelait des médicaments ! Des écrans à regarder ? Ça existait
déjà, ça s'appelait la télé ! (p. 257-258)</p>
<p>OBSERVATOIRE DES RÉALITÉS NON ORDINAIRES (APRÈS UN JEÛNE DE DEUX JOURS ET
UNE TECHNIQUE YOGIQUE DE CONTEMPLATION CONTINUE DE LA PLACE)</p>
<p>Date : le 28 août à 20 heures<br />
Lieu : terrasse du café Saint-Sulpice, Paris 6e<br />
Temps chaud et sec<br />
Je fixe un arbre sans ciller<br />
Des personnes passent comme en surimpression<br />
Une jeune femme, une autre, un vieil homme et un enfant, deux autres
femmes<br />
Toujours l'arbre<br />
Des voitures passent, fixer l'arbre<br />
D’autres passants<br />
Passe un bus<br />
Yeux qui pleurent, tenir bon<br />
Toujours l'arbre, bruits de klaxon<br />
L'arbre<br />
Arrêter, mal aux yeux<br />
Maintenant l'église<br />
Je fixe l'église sans ciller<br />
Les voitures continuent de passer<br />
Devant l'église, quelques clochards, ils se chamaillent<br />
Je fixe l'église, mes yeux pleurent, je tiens bon comme j’ai tenu bon ces deux
derniers jours pour le jeûne, je ne bats pas des paupières, toujours
l'église<br />
Ciel magnifique, lumière orangée<br />
Des passants se découpent dans cette lumière sidérale<br />
Toujours l'église, elle vibre au milieu de l'air<br />
Elle se gondole comme sous l'effet d'un psychotrope puissant, et pourtant je
n'ai rien pris, je n'ai même pas bu une goutte d'alcool<br />
Où va la beauté du monde ?<br />
Douleur, pleurs, je suis obligé de fermer les yeux<br />
Les passants, je me décide à les fixer<br />
Un, deux, trois, quatre, ils passent dans mon champ de vision et
disparaissent<br />
Vertige et tristesse du monde<br />
Je fixe une grande blonde, quelle partie au juste ? Elle est déjà
partie<br />
Je fixe un couple de quinquagénaires, ils mangent une glace, déjà
disparus<br />
Je fixe un photographe qui s'est arrêté pour prendre un cliché de
l'église<br />
Je fixe son visage de dolichocéphale rasé<br />
Je fixe<br />
Tout à coup, son visage explose, comme s’il se confondait avec le monde
extérieur<br />
Phénomène visuel plus curieux encore, les personnes qui passent m'apparaissent
comme des taches remuantes à la façon d'amibes qui se mélangent les unes aux
autres<br />
des larmes<br />
trop de larmes<br />
m'obligent à arrêter<br />
…<br />
(p. 308-310)</p>
<p>Laurent Quintreau, <a href="http://www.denoel.fr/Denoel/Control.go?action=rech">Mandalas</a> (Denoël,
2009)</p>
</blockquote>
<p>La méditation emprunte d’étranges cercles, Perec est réécrit sous peyotl,
des vies s’entrecroisent en formant des mandalas inédits … <em>Mandalas</em>
est le deuxième roman de Laurent Quintreau, qui avait auparavant publié
<a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2006/08/30/une-autre-technique">Marge</a> <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2006/08/30/saloperie-de-corps">brute</a>
(Denoël, 2006).</p>une vérité jumelle du mensongeurn:md5:5347d00b6e0d4140c48cdcff29120ea52009-12-01T01:51:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/toussaint-verite-sur-Marie.jpg" alt="toussaint-verite-sur-Marie.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /><br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Nos regards se croisèrent, et je fis un pas en avant pour rejoindre Marie,
mais je fus arrêté par le tourniquet, et je compris d'instinct que je ne
pourrais pas passer, sans même devoir demander l'autorisation aux hôtesses. Je
continuais de regarder Marie dans les yeux, Marie qui s'éloignait de moi, à la
fois immobile et en mouvement sur les marches de l'escalator, comme prisonnière
d'un soudain engourdissement du réel, d'un appesantissement du monde, Marie,
paralysée, incapable d'aller dans le sens contraire de la marche et de revenir
vers moi, de braver les convenances et de redescendre l'escalier roulant à
contresens en se tenant à la rampe, luttant à contre-courant pour venir me
rejoindre et m'étreindre sous les yeux effarés des témoins. Je voyais Marie
s'éloigner de moi au rythme lent de l'escalator qui montait - Marie, immobile,
de la détresse dans les yeux - je ne pouvais pas la retenir, je ne pouvais pas
l'atteindre, j'étais bloqué au pied de l'escalator, et elle ne pouvait pas me
rejoindre, elle ne me faisait aucun signe, le visage perdu, triste, qui
s'éloignait de moi au rythme de l'escalator qui montait. Je la regardais
s'éloigner de moi avec le sentiment qu'elle était en train de passer sur une
autre rive, qu'elle s'éloignait vers l'au-delà, un audelà indicible, un au-delà
de l'amour et de la vie, dont je devinais les profondeurs rougeoyantes en haut
de l'escalator, derrière les portes capitonnées des salons privés de
l'hippodrome. L'escalator les menait vers ces territoires mystérieux auxquels
je n'avais pas accès, l'escalier roulant était le vecteur de leur passage, un
Styx vertical - marches métalliques striées verticalement, rampe en caoutchouc
noir - qui les emportait vers l'Hadès.<br />
Marie ne bougeait pas, les yeux voilés, fixes, absents, elle se laissait
emporter par l'escalator, impuissante, triste et passive, et moi ne la quittant
pas des yeux, contournant l'escalator et marchant à côté d'elle pour maintenir
constante la distance qui nous séparait, mais la sentant irrémédiablement
s'éloigner de moi, continuant de la suivre des yeux pour ne pas la laisser
disparaître de ma vue, sentant qu'elle était en train de m'échapper à jamais,
mais ne tentant rien non plus pour la rejoindre, ne cherchant pas à passer en
force l'obstacle du tourniquet pour essayer de l'arracher à son destin. Je
croyais, sur le moment, que c'était la dernière fois que je la voyais, je la
regardais s'éloigner lentement sur l'escalator, et j'avais envie de la serrer
une dernière fois dans mes bras pour un ultime adieu. J'eus alors, à l'instant,
la certitude que, si Marie disparaissait de ma vue maintenant, si elle passait
le seuil de ces lourdes portes capitonnées des salons privés de l'hippodrome,
ce serait la dernière fois que je la verrais - et qu'elle mourrait (mais ce que
j'ignorais alors, c'est que, si mon affreux pressentiment allait bien se
vérifier dans les mois à venir, ce n'était pas Marie qui allait mourir, mais
l'homme qui l'accompagnait). (p. 148-150)</p>
<p>Je savais qu'il y avait sans doute une réalité objective des faits - ce qui
s'est réellement passé cette nuit-là dans l'appartement de la rue de La
Vrillière -, mais que cette réalité me resterait toujours étrangère, je
pourrais seulement tourner autour, l'aborder sous différents angles, la
contourner et revenir à l'assaut, mais je buterais toujours dessus, comme si ce
qui s'était réellement passé cette nuit-là m'était par essence inatteignable,
hors de portée de mon imagination et irréductible au langage. J'aurais beau
reconstruire cette nuit en images mentales qui auraient la précision du rêve,
j'aurais beau l'ensevelir de mots qui auraient une puissance d'évocation
diabolique, je savais que je n'atteindrais jamais ce qui avait été pendant
quelques instants la vie même, mais il m'apparut alors que je pourrais
peut-être atteindre une vérité nouvelle, qui s'inspirerait de ce qui avait été
la vie et la transcenderait, sans se soucier de vraisemblance ou de véracité,
et ne viserait qu'à la quintessence du réel, sa moelle sensible, vivante et
sensuelle, une vérité proche de l'invention, ou jumelle du mensonge, la vérité
idéale. (p. 165-166)</p>
<p>Aussi curieux que cela puisse paraître, je plaisais à Marie, je lui avais
toujours plu. D'ailleurs, je m'étais aperçu que je plaisais, peut-être pas aux
femmes en général, mais à chaque femme en particulier, chacune croyant être la
seule, par sa perspicacité singulière, son regard pénétrant et son intuition
féminine, à repérer en moi des qualités secrètes qu'elles s'imaginaient être
les seules à pouvoir détecter. Chacune d'elles était en fait persuadée que ces
qualités invisibles, qu'elles avaient décelées en moi, échappaient à tout autre
qu'ellemême, alors qu'elles étaient en réalité très nombreuses à être ainsi les
seules à apprécier mes qualités secrètes et à tomber sous le charme. Mais, il
est vrai que ces qualités secrètes ne sautaient pas aux yeux, et que, à force
de nuances et de subtilités, mon charme pouvait passer pour terne et mon humour
pour éteint, tant l'excès de finesse finit par confiner à la fadeur.<br />
En regagnant la Rivercina, j'avais tout de suite été malade en voiture, je
m'étais senti barbouillé dès que la route avait commencé à tourner. Marie avait
dû s'arrêter sur un promontoire, et j'étais sorti précipitamment de la voiture
pour me mettre à vomir (ah, quel séducteur, j'avais dû lui manquer). Les mains
sur les genoux, le front en sueur, j'étais pris de spasmes infructueux, ne
laissant plus échapper que de longs filets de salive élastiques qui coulaient
entre mes pieds sur le gravier. Marie s'était éloignée pour aller cueillir des
fleurs au bord de la route, elle était descendue dans le maquis et cheminait
avec insouciance à flanc de colline en composant un bouquet, croquant au
passage une tige de fenouil entre ses lèvres. Je l'avais dans mon champ de
vision, et j'imaginais avec délices la saveur fraîche que devait avoir le
fenouil sur sa langue. Lorsqu'elle vint me rejoindre, j'esquissai un sourire
pour m'excuser, avec la timidité conquérante qui me caractérise. (p.
169-171)</p>
<p>Jean-Philippe Toussaint, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=2621">La
Vérité sur Marie</a> (Minuit, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Ces quelques fragments pour faire goûter ce que j’aime dans l’écriture de
Jean-Philippe Toussaint, un subtil mélange de trivialité et de références
intertextuelles (très simoniennes ici - peut-être en raison de la présence
centrale du cheval), d’autosatisfaction et d’auto-dérision, de goût pour le
mensonge et de quête d'une vérité ultime, d’épuisement du réel et d’énergie
romanesque.</p>
<p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_dec09/toussaint.jpg" alt="toussaint.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" /></p>
<p>C'est l'occasion aussi de signaler (avec un peu de retard pour cause de
vacances!) la mise en ligne d’un <a href="http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1955">nouveau</a> site -
<a href="http://www.jptoussaint.com">http://www.jptoussaint.com</a> - assez
original par sa forme et par la collaboration internationale qui lui a donné
naissance. La <a href="http://www.jptoussaint.com">vidéo</a> réalisée lors
d'une soirée de lancement permet de comprendre comment il a été conçu. On y
trouve notamment de nombreux <a href="http://www.jptoussaint.com/la-verite-sur-marie.html">manuscrits, brouillons et
documents divers</a>.</p>va en cerclesurn:md5:4f7f993f53bcc044db8f985d3552622b2009-11-20T02:26:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_nov_09/.macau_m.jpg" alt="macau.jpg" /><br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>7.<br />
On arrive par la mer depuis Hong Kong, on est comme enivré par sa propre
émotion en face du paysage, devant cette expérience de beauté pure, de
splendeur simple, on vient de glisser pendant une heure entre des îlots
inhabités et une côte qui paraît déserte, inondée de lumière, pelée, dépourvue
d'arbres ; on n'a cessé de frôler une surface où rien n'ondule, d'un vert
de jade sombre, sur quoi les chalutiers de rencontre arborent des drapeaux
rouges et se balancent comme des jonques. Plus loin, à bâbord, il y a des
pirates, comme dans les livres d'aventure. En direction des Philippines, la
traversée n'est pas sûre ; mille équipages suspects écument le vide
immense - des pêcheurs réduits au banditisme, des déserteurs de la flotte
chinoise, des va-nu-pieds qui ont appartenu aux guérillas musulmanes et qui les
ont quittées, par manque de foi ou parce que, en quarante ou cinquante ans
d'activité, elles n'ont toujours pas obtenu de victoire décisive. Sur les flots
calmes, dans ce Sud de rêve, à l'écart de tout, on recense de temps à autre des
tueries à la Kalachnikov, au sabre, des abordages féroces. Le soleil scintille
au-dessus de ces massacres obscurs. Il scintille aussi sur les vaguelettes du
port, juste ici, au-delà des vitres de l'hydrofoil. L'hydrofoil ou le jetfoil,
ou le turbocat, ou le turbojet, la dénomination exacte importe peu, car pour le
passager rien ne les distingue. La chaleur vibre. À l'intérieur, l'air est
glacial et, sur le ponton de débarquement, la chaleur vibre. On arrive par la
mer à Macau, et, dans l'humidité brûlante qui asphyxie aussitôt, on sent qu'on
va enfin avoir le droit de dire adieu à tout, d'habiter ailleurs, le droit de
flotter en exotisme de nouveau et comme pour toujours, c'est-à-dire au moins
jusqu'à son dernier jour. Voilà ce qu'on sent: on est en terre d'accueil.
L'impression est immédiate et très forte. On est là où il fallait aller, à sa
place, dans un lieu d'exil idéal. Tu verras. Il est impossible que tu ne sois
pas sensible à cela, puisque toi aussi tu pars pour ne jamais revenir. On vient
de présenter son passeport à des jeunes femmes en uniforme qui ont oublié la
notion même du sourire, des policières qui ont autant de majesté que des
divinités ou des actrices, et, en réalité, on a jeté l'ancre dans la rade où on
compte décliner et mourir. Sans douleur déjà on est passé avec armes et bagages
au profond de la terre chinoise. Tu verras. Et toi aussi tu seras
fantastiquement à ton aise, dès la première minute, comme pour le dernier
voyage.</p>
<p>8.<br />
Il en fallait, de la fidélité, de l'aveuglement volontaire, pour rester
amoureux de cet endroit !... Je l'avais découvert dix ans plus tôt sous sa
forme de bourgade coloniale, figée dans les années quarante, et ensuite je
l'avais vu se métamorphoser à grande vitesse en une affreuse banlieue, sous
l'impulsion de médiocres architectes qui par tous les moyens en arrachaient
l'âme séculaire, la vieille âme luso-asiate. Et je savais que bientôt, je
savais qu'aujourd'hui j'allais assister à la phase ultime de l'enlaidissement,
à la transformation du territoire en un terminal de fret, avec saunas et
maisons de jeu pour y entretenir encore une image négociable chez les
négociants en touristes. Je n'aimais pas cette vision de l'avenir proche, Macau
dont des prophètes de malheur annonçaient qu'il allait ressembler à un arrière
d'hypermarché combiné avec une gare de triage. Cela ne m'excitait pas l'esprit,
même quand je savais que je venais ici pour mourir. N'oublie pas que celui qui
te parle a connu la baie de Praia Grande, cette courbe parfaite où coulaient
les eaux jaunes, et n'oublie pas que lors de mes premiers voyages je débarquais
encore sous les ventilateurs coloniaux, dans les galeries sur pilotis de
l'ancien terminal du jetfoil, et n'oublie pas qu'alors sur l'île de Taipa la
plupart des maisons n'avaient pas plus d'un étage. À Taipa il fallait longer
des marais et de grands terrains vagues pour atteindre la clinique où était
enfermée Gloria. Taipa était vide. Il n'y avait rien, seulement un village
décrépit au bout de la route, et des palissades qui entouraient des chantiers
encore silencieux, où l'herbe peu à peu gagnait sur les poutrelles de plus en
plus rousses. C'était une année de Singe d'eau, puis ce fut une année de Coq,
d'eau, également, puis une année de Chien de bois. Je me doutais qu'un jour
cela n'existerait plus. Je me doutais bien qu'un jour il faudrait aimer ici
autre chose, d'autres mystères humains, d'autres corps. Un jour ici il faudrait
apprendre à aimer différemment, et peut-être accepter d'aimer le pire.<br />
Or ce jour était advenu. Maintenant j'allais habiter ici de nouveau : non
pour un bref séjour de plus, mais pour une relégation vertigineuse. J'étais
revenu au cœur du passé. C'était une année de Lièvre. J'allais une fois encore
m'installer ici avec mes résidus de souvenirs, avec en tête des photographies
qui disaient autrefois, qui disaient l'interdit moite, la passion moite et de
longues attentes somnambulaires. Et j'apportais avec moi toujours les mêmes
rudiments grotesques de putonghua, et une fascination toujours intacte pour les
visages chinois, jamais déçue, et mon humeur passive, bonne pour l'écriture
d'inepties et pour nulle part. Quoi qu'il arrive, disais-je, il faut aimer
cette terre qui t'accueille. Il n'y a plus rien d'autre à tenter. Ne tente
rien. Admets la fin. C'est la dernière étape, tu vas te cacher là, tu vas te
dissoudre là. Quoi que cette terre ou toi aient déjà subi, même le pire, il
faut aimer cette terre encore.</p>
<p>9.<br />
Ne t'inquiète pas si l'espace à explorer est désormais très maigre. Les
plaisirs de la découverte ne dépendent que de toi. Tu peux à chaque instant
imaginer que tu ne connais rien, que ton regard est neuf. Tu n'as qu'à errer
ici comme un mort qui aurait préservé en lui toutes les instructions du
<em>Livre des morts</em>. Tu transportes en toi des photogrammes magiques
capables d'alimenter tes rêveries chinoises jusqu'à ta fin, et même après.
Appelle en toi ces images. Tu te souviens des aventures que tu t'es racontées
ou que tu as vécues avant le voyage. Tu te souviens de la fin de l'année du
Coq, du début de l'année du Chien, de tes rencontres avec Gloria, des heures de
nuit, des heures de folie, des étreintes étranges, des phrases étranges.
Appelle en toi ce beau et douloureux théâtre. Tu sais marcher dans les rues
comme entre les pages d'un livre, tu as appris cela il y a longtemps, appelle
en toi cette science, réfugie-toi dans l'ombre qui brûle entre les murs. C'est
là. Va en cercles. Tu aimes ces rues. De toute façon, tes vaticinations
amoureuses sont assez fortes pour sécréter à chaque instant de nouvelles
racines, de nouvelles raisons de continuer l'amour.</p>
<p>Antoine Volodine, <em>Macau</em> ; avec des photographies d’Olivier
Aubert (Seuil, 2009, p. 21-25)</p>
</blockquote>
<p>Trois des 49 (!) chapitres de ce retour au « port intérieur » pour
vous donner envie de suivre l'errance ironique et tragique de Breughel dans un
Macau résolument post-exotique.</p>
<p>::: <a href="http://auteurs.contemporain.info/antoine-volodine/">Auteurs
contemporains.info</a><br />
::: <a href="http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-bassmann-2.html">Page des
éditions Verdier</a><br />
::: <a href="http://www.lutzbassmann.org/bio.html">Lutz Bassmann</a><br />
::: <a href="http://remue.net/spip.php?rubrique208">Page remue.net</a><br />
::: <a href="http://blog.bnf.fr/lecteurs/index.php/2009/11/09/rv-du-samedi-a-la-bnf-antoine-volodine-macau-aux-editions-du-seuil/">
BnF</a><br />
::: et, sur <em>lignes de fuite</em>, <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2007/08/25/perceptible-par-toute-intelligence">ici</a>, <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/04/22/ce-sera-inhabituel-et-magnifique">là</a>, <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/04/23/deguise-en-lecteur">là</a>, <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/06/12/je-suis-contenu-dans-une-peau">là</a>, <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/06/12/charpente-en-desordre">là</a>, <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/06/12/quelque-chose-se-charpente">là</a> et <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2008/11/03/perversement-amoureuses-dune-musique-de-l-illisible">là</a></p>des milliers de solitudes se livraienturn:md5:8c13e548c239bbc8f1c6d4478a343d1c2009-11-18T02:04:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_nov_09/.Carl_Spitzweg_alchimiste_1860_m.jpg" alt="Carl_Spitzweg_alchimiste_1860.jpg" /></p>
<blockquote>
<p>Puis il capitula. Oh, les justifications ne manquèrent pas ! On faisait
maintenant des portables si discrets, si légers. Bon gré mal gré, on ne pouvait
échapper à son époque. Monsieur Spitzweg se garda bien dans un premier temps
d'évoquer sa seule motivation réelle. Elle portait l'étrange nom de blog. La
première fois qu'il entendit ce mot, Arnold haussa les épaules. Cela sonnait
comme une espèce de borborygme scandinave, moitié blizzard et moitié grog. Il
eut bientôt l'occasion d'écouter des commentaires consacrés à ce nouveau mode
d'expression.<br />
- Si on tient un journal intime, ce n'est pas pour le propager sur les ondes
d'Internet !<br />
Monsieur Spitzweg aurait dû se méfier de ce commentaire abrupt. Si seuls les
imbéciles ne changent pas d'avis, Arnold est loin de la bêtise. Il devrait
commencer à se connaître. Bientôt, mine de rien, il interrogea Clémence Dufour,
d'un ton faussement détaché. Comment faisait-on pour tenir un blog ?<br />
- Rien de plus simple ! lui fut-il répondu.<br />
Pour noyer le poisson, il fit mine de se poser des questions sur l'ampleur du
phénomène. Qui tenait des blogs ? Comment pouvait-on y accéder ?<br />
Et certes, les premiers temps, il devint seulement lecteur de blogs. C'était
vertigineux. Depuis plus de quarante ans, Arnold avait appris à composer avec
la solitude. Et voilà que des milliers de solitude se livraient à portée de
clavier et d'écran, révélaient sans apprêt leur différence. Car Arnold évita
les blogs à caractère politique, érotique, thématique. Non, ce qui
l'intéressait, c'était le journal intime, jeté comme une bouteille à la mer sur
les ondes d'Internet. Il y avait pas mal de confessions fêlées, de paranoïa et
de schizophrénie. Dans la découverte de ces épanchements, parfois bien
embarrassants, Monsieur Spitzweg étaya le désir qui naissait en lui d'un blog
léger, baladeur, à la surface des choses, sans philosophie ni morale - celui
qu'il eût aimé lire, assurément. C'était désespérant de voir comment les gens
pensaient se dire en déballant à l'infini des tartines de psychologie, en
déplorant le cours défavorable du destin, en se situant dans une
histoire.<br />
Arnold ne pénétrait pas ces existences qui ne donnaient rien à voir, à humer, à
regarder. Un temps déçu, il se sentit encouragé à rédiger un blog sans requête,
sans exhibitionnisme, sans affectivité exacerbée. Sans partage ? La
question méritait d'être posée. Le blog de Monsieur Spitzweg commençait ainsi
:<br />
« Il pleut. Les enfants ont quitté le square Carpeaux. Accoudé au balcon,
j'ai allumé un petit cigare. Difficile d'éprouver le même plaisir depuis que la
boîte est balafrée de ce rectangle noir et blanc : fumer tue. » (p.
28-30)<br /></p>
<p>C'est incroyable. www.antiaction.com est pris d'assaut. La prose de Monsieur
Spitzweg est lue par des milliers d'internautes. Arnold n'en revient pas. On le
visite. Le terme ne tire pas à conséquence, s'avère assez cocasse pour
quelqu'un qui ouvre aussi peu sa porte. On s'exprime aussi. Beaucoup de
compliments, qu'Arnold a d'abord trouvé outranciers, mais on s'habitue vite.
« Enfin quelqu'un qui voit la vie comme il faut la voir... Merci pour
votre apologie du présent. Pour ma part... » Oui, il y a beaucoup de
« pour ma part ». Ces enthousiasmes suivis d'épanchements sont souvent
signés d'un prénom féminin accompagné d'une adresse e-mail, mais Monsieur
Spitzweg s'est promis de ne pas répondre. La réelle inflation de ces réactions
non sollicitées lui donne raison : comment pourrait-il faire ?
Certaines correspondantes comprennent cette attitude « Ne perdez pas votre
temps. Continuez seulement à cueillir le meilleur des jours. » Cueillir le
meilleur des jours pour des Stéphanie, des Valérie, des Sophie ou des Leila,
voilà qui n'est pas sans flatter l'ego d'Arnold, même s'il cueille davantage
encore pour des Huguette ou des Denise. Parfois, c'est lui qui se fait
cueillir. « Ce n'est pas avec des mentalités comme la vôtre qu'on sortira
le pays de l'ornière ! Des spectateurs, on n'en a que trop engraissés. Il
faudrait un peu retrousser ses manches ! » Et c'est signé Raoul, Roger,
quelquefois Marceline. (p. 107-108)</p>
<p><a href="http://auteurs.contemporain.info/philippe-delerm/">Philippe
Delerm</a>, <a href="http://www.mercuredefrance.fr/titres/bartleby.htm">Quelque
chose en lui de Bartleby</a> (Mercure de France, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Le succès du blog d’Arnold Spitzweg l’arrache à sa solitude … mais il
préfèrerait ne pas.</p>c’est que du bonheururn:md5:2da9f87f80ade754d2709df865655d8c2009-11-14T00:05:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_nov_09/chauvier_que_du_bonheur.jpg" alt="chauvier_que_du_bonheur.jpg" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" /><br />
<br />
<br />
<br /></p>
<blockquote>
<p>Percevez-vous parfois votre propre dissonance ? Vous arrive-t-il
d'éprouver ce sentiment flottant de perdre la face lorsque quelques mots
étrangement scandaleux prononcés par d'autres vous font soudain vous sentir
parfaitement excentrés des attentes du monde social ? On vous exhorte à
reprendre ces mots, mais vous devinez que les prononcer reviendrait à renoncer
à un capital autobiographique indistinct mais précieux, et à faire acte
d'allégeance à une sorte de pacte qui vous définit à l'emporte-pièce. Ces mots
vous intimident, vous neutralisent, vous mettent hors-jeu, et vous cantonnent
au rang de fautif. Ils vous dénudent affreusement, sans cesser de vous écraser,
et vous laissent l'impression de ne pas être dignes du rang qui marque
théoriquement l'accomplissement d'un être humain en société. Vous pressentez
aussi que votre absence de réaction fait de vous le principal responsable de
cette destitution. En général, vous n'avez pas les moyens d'investir plus avant
les effets de ce malaise, car l'animosité et le désarroi qui s'emparent de
vous, vous condamnent presque toujours à l'accablement. Seules s'imposent des
réactions épidermiques, qui, la plupart du temps, par un processus de digestion
dont vous ignorez les rouages, vous poussent finalement à accepter les termes
d'une communication qui vous semblait encore intolérable quelques instants plus
tôt. Alors, vous pressentez que vous pouvez aussi refuser d'adhérer à cette
normalisation. Vous pouvez essayer de la transgresser en considérant qu'il
existe une alternative critique à ces mots que votre for intérieur refuse
viscéralement. Vous êtes devenu une anomalie. Soit. Mais à cela correspond un
enseignement qui nourrit durablement la compréhension de ces mots qui vous
semblent parfaitement imprononçables, telle une authentique trahison du corps,
lequel ne vous apparaît plus comme un appareillage physiologique, mais comme le
cimetière d'un langage à inventer. Voilà ce que personne ne commente, voilà le
scandale qui justifie cette enquête. (p. 7-9)</p>
<p>L'isolement du dissonant est grand. Il se perçoit comme un être sinistre,
vérifiant douloureusement que derrière la légèreté apparente de ces mots, il y
a mille accusations que, par respect pour la bienséance du bonheur sans
contexte, personne n'évoquera. Mais on peut aujourd'hui en dresser un
inventaire non exhaustif : se masturber l'esprit, être un triste sire
quand tout le monde danse, un individu lourd quand tout le monde est léger,
être un poids d'angoisse, un boulet critique, un écorché vif, un être
théâtralement obscène, une escarre sur la peau de soie de l'époque, un
énergumène minable, un velléitaire, un irresponsable - cette dernière
accusation étant au fond la plus répandue. Le langage du bonheur sans contexte
essentialise l'époque en éliminant ce qui lui porte préjudice. Il oblige le
dissonant à se convaincre de son incapacité à jouir de la vie proposée selon
ces termes, ce qui le ramène ce pauvre psalmiste à sa condition de
non-jouisseur, convergeant vers cette intolérable et pourtant inéluctable
issue : sa propre gravité. À partir de cet état de perception, à l'instant
où, entendant ces mots aberrants, le dissonant se pince la lèvre inférieure de
désarroi, il se découvre dans le miroir déformant que lui tendent, sans avoir
l'air d'y toucher, ces gens raisonnablement passionnés par le monde social tel
que le définit le langage du bonheur sans contexte. Des mots se forment, mais,
comme la flamme dans le vide, s'éteignent instantanément dans l'environnement
de ce bonheur ésotérique. Le dissonant devient l'isolement même, avec des
nuances identifiables a posteriori (dans l'instant, il est tout à sa
mortification) : un triste sire, un infâme, effrayant rabat-joie,
pisse-froid, tue l'amour, criticiste du système nourricier, sous-être ingrat,
crachant dans la soupe, un fou incertain, un flou, nébuleux serviteur d'une
cause indiscernable, voire opaque, un martyr stupide, ou dangereux, un abject,
un dissident crapuleux, un terroriste - comment savoir ? Je ne sais si
l'on vous a, un jour, fait comprendre que vous étiez trop grave pour l'époque,
mais c'est quelque chose d'être jugé de cette façon, d'être privé de langage,
comme dénudé. (p. 38-40)</p>
<p>Éric Chauvier, <a href="http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=473">C’est que du
bonheur</a> (Allia, 2009)</p>
</blockquote>
<p>Entre enquête et étude, entre récit et essai, ce petit livre dense tourne
autour d’un énoncé qui en dit beaucoup sur l’époque qui l’a engendré :
« c’est que du bonheur ».</p>
<p><a href="http://www.alliaeditions.com/Cataloguelist.asp?showmaster=1&IDAutore=21">Éric
Chauvier</a> est né en 1971 et a publié aussi :<br />
- <a href="http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=403">Anthropologie</a>
(Allia, 2006)<br />
- <a href="http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=409">Si l'enfant
ne réagit pas</a> (Allia, 2008)<br />
- <a href="http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=469">La Crise
commence où finit le langage</a> (Allia 2009)</p>est-ce le papier qui fait le livre ?urn:md5:56a2aa03eb84c81a71311941de627d082009-11-11T01:53:00+01:00cgatécrivains <p><img src="http://blog.lignesdefuite.fr/public/images_nov_09/suel_rose.jpg" alt="suel_rose.jpg" /></p>
<blockquote>
<p>SE<br />
DIRE<br />
QUE LA<br />
ROSE DES<br />
VENTS PERD<br />
DEUX PÉTALES<br />
LE SUD-EST EST<br />
À PORTÉE DE VÉLO<br />
LOVE INVERSANT LES<br />
ROUES ÉBOURIFFANT LA<br />
CHEVELURE ÉVAPORANT LA<br />
SUEUR SÉCHANT LES DUVETS</p>
<p>Luciel Suel, <a href="http://blog.contre-mur.com/post/2009/10/24/Arriv%C3%A9e-de-%22ROSE-DEVANT-ROSE-DERRI%C3%88RE%22-de-Lucien-Suel">
ROSE DEVANT ROSE DERRIÈRE</a> (Contre-mur, 2009)<br />
(à la pointe sud-est de la rose des vents, bien sûr!)</p>
</blockquote>
<p>« Il s'agit d'un poème en vers arithmogrammatiques, huit triangles
formant une rose des vents simplifiée » écrit <a href="http://blog.lignesdefuite.fr/post/2009/09/03/%C3%A9toile-point-%C3%A9toile">Luciel Suel</a> à propos de
<a href="http://academie23.blogspot.com/2009/11/rose-devant-rose-derriere.html">ROSE
DEVANT ROSE DERRIÈRE</a></p>
<p>C'est le premier ouvrage publié par les éditions <a href="http://blog.contre-mur.com/">Contre-mur</a>, créées par <a href="http://autresetpareils.free.fr/artistes/scherb.htm">Caroline Scherb</a> et
<a href="http://nicolas.tardy.free.fr/">Nicolas Tardy</a>, à Marseille, qui
forment le projet de publier des textes sous forme de posters de format A1
imprimés en noir sur un beau papier ivoire 120 grammes et vendus (pour la
modique somme de 2 euros) pliés en 8 au format A4 ; à paraître :
<em>Bien des années que</em> d’Éric Suchère.</p>prenant congé, prenant la fuiteurn:md5:3930eb4e9d9e56f0a325bfdb35fb47fe2009-11-09T02:22:00+01:00cgatcitations <blockquote>
<p>Des cancres ? Vraiment ? Vous pensez ?... Vous croyez, monsieur le
proviseur, qu'il n'y a aucun espoir ?... Silence qui se prolonge, n'en finit
pas... Ce sont évidemment des questions auxquelles on ne doit pas se hâter de
répondre. C'est grave d'enfermer dans des catégories rigides, d'étiqueter ce
qui est encore fluctuant, changeant... Bien sûr, il y a toujours un espoir...
Mais... éclaircissant sa voix, tapotant d'un air embarrassé, agacé, avec son
stylo fermé les cahiers, les carnets de notes étalés sur son bureau, se
penchant encore pour les scruter... - Oui, il faut bien constater... Il y a là
un manque de curiosité... comme une atrophie... Dans le vide qui s'est creusé
en lui les mots se répercutent, sont renvoyés... Une atrophie... Oui, un manque
de souplesse, une sorte de rigidité. C'est comme un muscle qui ne fonctionne
pas. On a beau essayer... Tous les professeurs sont d'accord sur ce point.
Certains ont vu là une volonté perverse, un besoin de détruire, de se
détruire... comme un acharnement à résister à tout prix... - Ah oui ? À
résister ? Résister ? À tout prix...<br />
La voilà, il la voit, une faible lueur au bout de la galerie sombre, une
lumière... vers elle il court... Oui, c'est cela : résister. Ça arrive,
n'est-ce pas ? Mais ça alors, ça vient de moi... - De vous? Vous
m'étonnez... - Oui, de moi... d'une voix essoufflée... de moi. J'ai commis des
erreurs. Ce besoin de partager. De donner. De gaver. Sans prendre garde que
pour un être si jeune c'est indigeste, c'est rebutant... Je suis coupable.
C'est ma faute, ma très grande faute. Je ne peux m'en prendre qu'à moi. Je suis
impardonnable. La brute insensible, c'est moi...<br />
L'autre l'observe avec une expression indulgente, apitoyée... Il connaît
cela : d'abord la consternation, la résignation humiliée, la fureur...
Faites-en ce que vous voulez, punissez-le, chassez ce fainéant, ce petit
vaurien, il ne mérite pas ce qu'on fait pour lui... ça lui apprendra... il ira
travailler de ses mains... Et dès qu'on ose y toucher se précipitant pour
protéger de leur corps leur cher petit qu'un ennemi commun menace... C'en est
touchant... - Je crois que vous exagérez. Vous vous chargez injustement. Il y a
des enfants, et j'en connais beaucoup, qui seraient trop contents... qui se
jetteraient avidement sur ce que vous prodiguez avec tant de générosité... Chez
les bons sujets, bien vivants, la curiosité, le besoin de savoir sont les plus
forts... Ce qu'on leur propose provoque une excitation... vous la connaissez
bien... c'est elle qui l'emporte... - Oui, je vois, oui je vous remercie, oui,
je comprends...<br />
Se levant, prenant congé, prenant la fuite, fuyant à travers les tristes cours
couvertes de gravier, de ciment, le long des hideux couloirs à l'odeur de
poussière humide, de désinfectants, le long des mornes salles vitrées où des
médiocres ingurgitent docilement des bouillies insipides... Des dociles, des
faibles, comme il était, lui, le plus soumis, le plus sage de tous, lui, la
joie de ses maîtres, la fierté de ses parents, lui, le bon sujet, si brillant,
toujours inscrit au tableau d'honneur, modestement satisfait de ses carnets
couverts de bonnes notes, des piles de livres illisibles rapportés des
distributions de prix, lourds de leurs rigides reliures de faux cuir, de leurs
pages épaisses dorées sur tranche...<br />
Fuyant hors d'ici, courant vers eux... Impatient de se joindre à eux, de
rejoindre en eux cette parcelle secrète de lui-même qu'il avait toute sa vie
aidé à écraser, qu'il avait crue enterrée et qui en eux a ressuscité... se
hâtant de retrouver cela, ce qu'il y avait en lui de meilleur...<br />
Ils ont su le conserver, le préserver en eux, ils le laissent s'épanouir
librement au grand jour, eux qui ont toujours refusé les compromissions, les
abdications. Eux qui osent - ils ont ce courage - quand ils jugent le moment
venu, si tel est leur désir, leur bon plaisir, s'étirer légèrement, étouffer un
bâillement, se lever avec un naturel parfait, prendre congé, partir...</p>
</blockquote>
<p>Nathalie Sarraute, <em>Vous les entendez</em> (Gallimard, Le Chemin,
1972)<br />
<em>Œuvres complètes</em> (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, p.
757-758)</p>