04 mars 2006
le cadavre du travail
" Un cadavre domine la société, le cadavre du travail " : ainsi s'ouvre le Manifeste contre le travail (1999) du groupe allemand Krisis. En voici quelques extraits :
Avec la troisième révolution industrielle, celle de la micro-informatique, l'ancien mécanisme de compensation par expansion s'arrête peu à peu. [...] pour la première fois, l'innovation de procédés va plus vite que l'innovation de produits. Pour la première fois, on supprime davantage de travail qu'on ne peut en réabsorber par l'extension des marchés. Conséquences logiques de la rationalisation : la robotique remplace l'énergie humaine, les nouvelles techniques de communication rendent le travail superflu. Des pans entiers de la construction, de la production, du marketing, du stockage, de la vente et même du management disparaissent. Pour la première fois, l'idole Travail se met involontairement à un régime draconien durable, causant ainsi sa propre mort.
mais ...
Après des siècles de dressage, l'homme moderne est tout simplement devenu incapable de concevoir une vie au-delà du travail. En tant que principe tout-puissant, le travail domine non seulement la sphère de l'économie au sens étroit du terme, mais pénètre l'existence sociale jusque dans les pores de la vie quotidienne et de l'existence privée. Le « temps libre » (l’expression évoque déjà la prison) sert lui-même depuis longtemps à consommer des marchandises pour créer ainsi les débouchés nécessaires. […] par-delà même le devoir de consommation marchande intériorisé et érigé en fin en soi, l'ombre du travail s'abat sur l'individu moderne en dehors du bureau et de l'usine. Dès qu'il quitte son fauteuil télé pour devenir actif, tout ce qu'il fait prend aussitôt l'allure du travail. Le jogger remplace la pointeuse par le chronomètre, le turbin connaît sa renaissance post-moderne dans les clubs de gym rutilants et, au volant de leurs voitures, les vacanciers avalent du kilomètre comme s'il s'agissait d'accomplir la performance annuelle d'un routier. Même le sexe suit les normes industrielles de la sexologie et obéit à la logique concurrentielle des vantardises de talk-shows. […] face à un sentiment tel que le deuil, le sujet de travail se trouve désemparé, mais la transformation du deuil en « travail du deuil » fait de ce « corps étranger émotionnel » une donnée connue dont on peut parler avec autrui. Même les rêves sont déréalisés et indifférenciés en « travail du rêve », la dispute avec un être aimé en « travail relationnel » et le contact avec les enfants en « travail éducatif ». Chaque fois que l'homme moderne veut insister sur le sérieux de son activité, il a le mot « travail » à la bouche. […]
Aucune caste dominante dans l'histoire n'a mené une vie aussi peu libre et aussi misérable que les managers surmenés de Microsoft, Daimler-Chrysler ou Sony. N'importe quel seigneur du Moyen Age aurait profondément méprise ces gens. Car, tandis que celui-ci pouvait s'adonner aux loisirs et gaspiller sa richesse de manière plus ou moins orgiaque, les élites de la société de travail n'ont droit à aucun répit. En dehors du turbin, elles ne savent pas quoi faire, sauf retomber en enfance : l'oisiveté, le plaisir de la connaissance et la jouissance sensuelle leur sont tout aussi étrangers qu'à leur matériel humain. Elles ne sont elles-mêmes que les esclaves de l'idole Travail, de simples élites de fonction au service de la fin en soi irrationnelle qui régit la société.
Pour lire le reste : la traduction du texte a publié chez Léo Scheer (2002) puis 10/18 (n° 3650) en 2004. On le trouve également en ligne là ou là, par exemple.
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