25 juillet 2006
la narration idéale
Ce « collage religieux », utilisé dans Attache-moi !, est de Pedro Almodóvar, qui déclare :
J'aime beaucoup l'idée du collage, sous toutes ses formes, pas seulement dans l'art pictural. J'ai montré une multitude de collages dans mes films, presque toujours signés de l'artiste Dis Berlin. Le collage inclut, sur un même rapport, divers éléments appartenant à des mondes différents, mais qui tous ensemble, finissent par créer un univers unique.
Pour une personne comme moi, aux goûts si éclectiques, qui ne respecte pas les règles des genres, mais qui a l'habitude de tous mélanger, l'idée du collage serait, d'un point de vue dramaturgique, la narration idéale.
Almodóvar-exhibition est aussi l'occasion de découvrir de nombreux collages de Dis Berlin, et des tableaux de Guillermo Perez Villalta, Antonio López García ou Sigfrido Martin Begué (l'intéressante Maquina de cine).
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24 juillet 2006
la figure humaine
Un qui a plusieurs corps aussi, c'est le cinéaste espagnol Pedro Almodóvar. La foisonnante et kitsch « exhibition » que lui consacre la Cinémathèque nouvellement installée à Bercy est l'occasion de le vérifier.
Tout le corps est expressif. Tout entier et par morceaux. Devant et derrière. Le gros plan a monopolisé le visage comme principal transmetteur d'émotions. Le visage contient les yeux et les lèvres. Et le regard et la parole sont les premières lettres de l'abécédaire de n'importe quelle narration. Le déguisement, lui, m'intéresse lorsque le personnage se déguise en lui-même ou en ce qu'il rêve d'être.
J'adore les films où les actrices jouent des actrices. Je sais que ce n'est pas un genre en soi, sauf pour moi. Je pourrais citer de nombreux films, des bons, des moins bons, des franchement kitsch. Je suis bouleversé par les uns, je regarde les autres avec un peu d'ironie ; le plaisir est différent, mais l'attirance est la même.
Pedro Almodóvar
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28 juin 2006
corps sans organes
À la notion de machine désirante répond celle de Corps sans organes (CsO) traquée dans les textes de Beckett et la peinture de Francis Bacon, notamment.
Le corps n'est jamais un organisme […] le corps sans organes s'oppose moins aux organes qu'à cette organisation des organes qu'on appelle organisme.
Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation (La différence, 1981, p. 33)
Le syntagme « corps sans organes » est emprunté au schizophrène emblématique Antonin Artaud :
Le corps sous la peau est une usine surchauffée,
et dehors,
le malade brille,
il luit,
de tous ses pores,
éclatés.
Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société
Le corps est le corps
il est seul
et n'a pas besoin d'organe
le corps n'est jamais un organisme.
Antonin Artaud, 84, n°5-6, 1948
(cité dans Gilles Deleuze ; Félix Guattari, L'Anti-OEdipe, Minuit, 1973, p. 9 et p. 15)
La notion me reste assez mystérieuse, à vrai dire, mais les textes qui l'évoquent sont très beaux :
Les automates s'arrêtent et laissent monter la masse inorganisée qu'ils articulaient. Le corps plein sans organes est l'improductif, le stérile, l'inengendré, l'inconsommable. Antonin Artaud l'a découvert, là où il était, sans forme et sans figure. Instinct de mort, tel est son nom, et la mort n'est pas sans modèle.
Gilles Deleuze ; Félix Guattari, L'Anti-OEdipe (Minuit, 1973, p. 14)
Le corps sans organe est un œuf : il est traversé d'axes et de seuils, de lattitudes, de longitudes, de géodésiques, il est traversé de gradients qui marquent les devenirs et les passages, les destinations de celui qui s'y développe […] Rien que des bandes d'intensité, des potentiels, des seuils et des gradients. Expérience déchirante, trop émouvante, par laquelle le schizo est le plus proche de la matière, d'un centre vivant et intense de la matière […] ce point insupportable où l'esprit touche la matière et en vit chaque instant, la consomme.
Gilles Deleuze ; Félix Guattari, L'Anti-OEdipe (Minuit, 1973, p. 26)
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14 juin 2006
pour fêter bébé
En visitant au Grand Palais l'exposition consacrée à Henri Rousseau (je n'aime pas l'appeler « douanier Rousseau » : ça a un coté « woaah l'autre il veut faire le peintre alors qu'il n'est que douanier ») l'inquiétante étrangeté du tableau intitulé Pour fêter bébé (1903) m'a semblé illustrer à merveille les questions que posent les mutations de l'humanité (même s'il s'agit là d'un sentiment très personnel et circonstancié, cela va sans dire).
Ce bébé disproportionné au corps rose et dilaté me semble représenter la « nature humaine » certaine de son éternité, de son innocence et de son bon droit dont se targuent les tenants de l'immobilisme. Le jeune géant a l'air bûté et le regard cruel, on ne voit pas ses pieds qui semblent comme enracinés dans la terre (au même titre que le tronc de l'arbre) et les fleurs coupées dans son giron lui appartiennent, au même titre que la marionnette de polichinelle qu'il brandit avec dégoût (l'artiste, la mécanique, l'adulte, l'homme futur?).
Coïncidence, l'inépuisable Boîte à images de KA, qui parle beaucoup mieux que moi de la peinture, s'interroge aujourd'hui sur les images des robots, les méchants et les gentils.
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24 mai 2006
une essence d'acier
Jean-Claude Carrière évoque aussi Metropolis, le film de Fritz Lang :
L’héroïne du film, jouée par Birgit Helm, tombe entre les mains d’un savant qui donne son apparence à un robot métallique, par une sorte de transmission de substance.
Ce personnage maléfique, à la fin du film, est brûlé par les esclaves révoltés, montrant par là qu’ils sont devenus des prolétaires. Au fur et à mesure que le feu l’attaque, la chair de la femme disparaît et la carcasse de métal luisant apparaît. Cette image est presque le contraire de la notre. Nous voulons donner à tout prix une apparence de solidité et notre intimité est friable. Le robot de Metropolis a toute l’apparence d’une femme et son intérieur est indestructible, ou presque. (Fragilité, p. 58)
Sans doute est-ce une des choses qui nous séduisent quand nous imaginons des robots et autres androïdes : leur indestructible essence d'acier.
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23 mai 2006
ce morceau de verre qui hurle
Jean-Claude Carrière montre bien comment l'homme, pour nier et oublier lui-même sa fragilité, fait la guerre, caparaçonné sous des armures, cherche à imposer sa religion à grand renfort de croisades et d'attentats, recherche le pouvoir, caché sous le masque de la force :
Ainsi, chez les puissants, la fragilité me saute aux yeux. Je ne peux pas regarder et écouter un discours éructant de Hitler, ses petits poings serrés par la haine, sans l’imaginer, quelques années plus tard, vaincu dans son bunker berlinois, tendant d’une main tremblante un revolver chargé vers sa bouche. Avec l’aide de l’histoire, je vois sur l’estrade de Nuremberg cette silhouette pitoyable, ce morceau de verre qui hurle, et je ne vois même que ça. (Fragilité, p. 79)
Ce passage entre en résonnance avec une sculpture de Maurizio Cattelan, que je n'ai malheureusement vue que dans un reportage sur l'ouverture au public de l'exposition d'une partie de la collection Pinault au palazzo Grassi :
Him (2001) (ci-dessus) est une cire qui représente d'abord, pour le visiteur qui l'aborde de dos, un premier communiant agenouillé, malingre et pitoyable. Mais en le contournant le visiteur s'aperçoit qu'il s'agit d'Adolf Hitler, sur le visage de qui se lit la peur.
Cattelan est aussi l'auteur de La nona ora (1999) (ci-contre) qui montre Jean-Paul II terrassé par une météorite au milieu des éclats de verre.
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02 mai 2006
rendre vivante la peinture
Les tableaux de Pierre Bonnard, qui déclarait :
Il ne s'agit pas de peindre la vie, il s'agit de rendre vivante la peinture.
ne sont pas si éloignés des précédents propos. Les humains, de plus en plus au fil des années, s'y fondent dans la peinture jusqu'à quasiment disparaître. Son modèle et sa femme, Marthe si souvent peinte, devient dans une de ses dernières oeuvres (L'atelier au mimosa, 1939-1946) un demi buste transparent à peine discernable (en bas à gauche).
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30 avril 2006
le regard de bonnard
Tout au long de sa vie, Pierre Bonnard a peint de remarquables autoportraits dont le regard impénétrable fascine.
Le premier, ci-contre, date de ses débuts : en 1889, Bonnard a 22 ans, il débute et affirme classiquement, en tenant ses pinceaux et palette, sa vocation de peintre ; mais son regard est fixe et comme fou.
Ces deux autres sont datés de 1945, deux ans avant sa mort : le premier observe lucidement son corps vieilli dans le miroir de sa salle de bain ; le deuxième est au premier abord comme apaisé (il a l'air d'un moine zen) mais ses yeux, qui ne sont plus que béances violettes soulignées d'un trait sombre et de cils stylisés, effraient.
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30 mars 2006
les images de la boîte
Encore une illustration de la guerre de l'internet, entre marchands et citoyens (pour reprendre le beau titre du bon livre de Mona Chollet, qui j'en suis sûre ne m'en voudra pas).
L'inépuisable Boîte à images qui presque chaque jour offre gratuitement à tous des analyses tellement passionnantes sur l'art et les images se voit intimer l'ordre de passer à la caisse pour avoir publié sans autorisations quelques photographies. Lamentable !
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23 mars 2006
mélancolies. 2
Le parcours historique très documenté de Jean Clair se terminait au 20e siècle et ne faisait qu'effleurer le 21e, mais c'était avec une oeuvre extrêmement marquante de l'australien Ron Mueck, une sculture sans titre baptisée Gros homme (2000). Ce mélancolique hyperréaliste (ou plutôt trop réaliste pour l'être encore) posé dans le coin au fond nous touche car il montre - avec quelle évidence charnelle - comment la conscience, née de la matière, la dépasse, et comment le corps, parfois, nous semble enfermer l'esprit.
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