27 mai 2006
fiabilité paradoxale
Von Neumann inscrit le paradoxe dans la différence entre la machine vivante (auto-organisatrice) et la machine artefact (simplement organisée). En effet, la machine artefact est constituée d’éléments extrêmement fiables (un moteur d’auto, par exemple, est constitué de pièces vérifiées, et constituées de la matière la plus durable et la plus résistante possible en fonction du travail qu’elles ont à fournir). Toutefois, la machine, dans son ensemble, est beaucoup moins fiable que chacun de ses éléments pris isolément. En effet, il suffit d’une altération dans l’un de ses constituants pour que l’ensemble se bloque, entre en panne, et ne puisse se réparer que par intervention extérieure (la garagiste).
Par contre, il en va tout autrement de la machine vivante (auto-organisée). Ses composants sont très peu fiables ; ce sont des molécules, qui se dégradent très rapidement, et tous les organes sont évidemment constitués de ces molécules ; du reste, on voit que dans un organisme, les molécules, comme les cellules, meurent et se renouvellent, à ce point qu’un organisme reste identique à lui-même bien que tous ses constituants se soient renouvelés. Il y a donc, à l’opposé de la machine artificielle, grande fiabilité de l’ensemble et faible fiabilité des constituants.
Cela ne montre pas seulement la différence de nature, de logique entre les systèmes auto-organisés et les autres, cela montre aussi qu’il y a un lien consubstantiel entre désorganistion et organisation complexe, puisque le phénomène de désorganisation (entropie) poursuit son cours dans le vivant, plus rapidement encore que dans la machine artificielle ; mais, de façon inséparable, il y a le phénomène de réorganisation (néguentropie). Là est le lien fondamental entre entropie et néguentropie, qui n’a rien d’une opposition manichéenne entre deux entités contraires ; autrement dit, le lien entre vie et mort est beaucoup plus étroit, profond, qu’on n’a jamais pu métaphysiquement l’imaginer.
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe (1990) (Points Seuil, 2005), p. 43-44
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