22 juin 2006
lignes de fuite
Cette cartographie des contrées à venir passe par des lignes de fuite. Ce beau concept me plaît car il entremêle les « lignes » que trace l'écriture, sur l'écran ou sur le papier, les « lignes de fuite » de toutes les perspectives de la Renaissance, rappelle l' « éloge de la fuite » de Laborit, évoque les liens que l'on suit lorsqu'on navigue sur internet. Ce concept qui revient souvent chez Deleuze est par exemple décrit ainsi dans le chapitre de Dialogues consacré à la « supériorité de la littérature anglaise-américaine » sur la littérature française, trop attachée aux arbres et aux jugements, trop enracinée dans ses certitudes :
Partir, s'évader, c'est tracer une ligne. […] La ligne de fuite est une déterritorialisation. Les Français ne savent pas bien ce que c'est. Evidemment, ils fuient comme tout le monde, mais ils pensent que fuir, c'est sortir du monde, mystique ou art, ou bien que c'est quelque chose de lâche, parce qu'on échappe aux engagements et aux responsabilités. Fuir, ce n'est pas du tout renoncer aux actions, rien de plus actif qu'une fuite. C'est le contraire de l'imaginaire. C'est aussi bien faire fuir, pas forcément les autres, mais faire fuir quelque chose, faire fuir un système comme on crève un tuyau. […] Fuir, c'est tracer une ligne, des lignes, toute une cartographie. On ne découvre des mondes que par une longue fuite brisée.
Il se peut qu'écrire soit dans un rapport essentiel avec les lignes de fuite. Écrire, c'est tracer des lignes de fuite, qui ne sont pas imaginaires, et qu'on est bien forcé de suivre, parce que l'écriture nous y engage, nous y embarque en réalité. Écrire, c'est devenir, mais ce n'est pas du tout devenir écrivain. C'est devenir autre chose.
Gilles Deleuze ; Claire Parnet, Dialogues (1977, réed. Flammarion Champs, p. 47 et 54)
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