08 avril 2006
modifications du paysage
On doit le dire : une des caractéristiques majeures du système nerveux réside sans aucun doute dans sa plasticité. Le cerveau ne saurait être considéré comme un réseau de câbles définitivement établis, et le vieillissement cérébral comme la mise hors réseau d'un nombre de plus en plus élevé d'éléments de ce circuit. Même si cela n'a été formellement démontré que dans quelques modèles expérimentaux, nous pouvons supposer que, chaque jour, des fibres nerveuses poussent, que des synapses se défont et que d'autres, nouvelles, se forment. Ces modifications du paysage neuronal [...] marquent notre adaptation, nos capacités d'apprentissage et de perfectionnement qui se maintiennent jusqu'à un âge avancé de la vie, en fait jusqu'à la mort.
Alain Prochiantz, La construction du cerveau, Hachette, 1989, p. 66
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07 avril 2006
une oeuvre unique
Quelques lignes plus bas, Joseph Ledoux compare un cerveau en activité à « un grand cocktail pendant une soirée, où des centaines de personnes se tiennent debout et discutent entre elles » (p. 67). Comme dans un cocktail mondain, les groupes se font et se défont, certains arrivent d'autres s'en vont. Notre cerveau est en effet non seulement complexe mais aussi extrêmement mobile et changeant : c'est la plasticité neuronale, l'extraordinaire capacité du cerveau humain à se modifier dans sa structure ou sa fonction à la suite de blessures, au cours de son développement, et surtout au fil de l'expérience.
On a découvert cette propriété d'abord concernant la plasticité postlésionnelle, en remarquant que le cerveau était capable de se réparer ou de réaffecter à certaines taches des zones qui ne leur étaient pas dévolues après une blessure, une hémorragie, une opération.
Les scientifiques se sont alors penchés sur le modelage des connexions neuronales durant le développement de l'embryon puis de l'enfant : la plasticité est grande là aussi. L'homme est le mammifère dont à la naissance le cerveau est le moins fini (son poids est de 30% de celui du cerveau adulte, contre 75% chez le singe), ce qui permet à chaque enfant de devenir un homme différent.
Enfin et surtout, la modification des connexions neuronales se poursuit durant toute la vie, et ce jusqu'à la mort. On a longtemps cru que l'homme perdait peu à peu des neurones : on pense maintenant qu'il n'en est rien, et même que des neurones peuvent apparaître à tout âge. Durant toute la vie et au fil des expériences, se modifient et se recomposent, surtout, les connexions et les groupements entre neurones :
Si une synapse appartient à un circuit souvent utilisé, elle tend à augmenter de volume, sa perméabilité devient plus grande et son efficacité augmente. À l'inverse, une synapse peu utilisée tend à devenir moins efficace. La théorie de l'efficacité synaptique permet donc d'expliquer le modelage progressif d'un cerveau sous l'influence de l'expérience de l'individu qui le porte jusqu'à pouvoir, en principe, rendre compte des caractéristiques et particularités individuelles de chaque cerveau. Nous avons déjà parlé de ce mécanisme d'individuation qui fait de chaque cerveau un objet unique en dépit de son appartenance à un modèle commun. [...]
La plasticité synaptique survenant au cours de l'apprentissage, au cours du développement comme à l'âge adulte, sculpte le cerveau de chacun de nous. L'éducation, l'expérience, l'enchaînement font de chaque cerveau une oeuvre unique.
(Marc Jeannerod, « Voir le cerveau fonctionner », Le cerveau intime, Odile Jacob, 2002, p. 63 et p. 66)
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06 avril 2006
des conversations électrochimiques
La séquence complète de la communication entre neurones est ainsi en général électrique-chimique-électrique: des signaux électriques progressant le long des axones sont convertis à leurs extrémités en messages chimiques qui permettent le déclenchement de signaux électriques. [...] Aussi difficile que cela puisse être à imaginer, ce sont des conversations électrochimiques entre neurones qui rendent possibles les merveilleuses (et parfois terribles) réalisations de l'esprit humain. Le fait même de comprendre cela est en lui-même un événement électrochimique.
Joseph Ledoux, « La plus inexplicable des machines », Neurobiologie de la personnalité, Odile Jacob, 2003, traduction française de Synaptic Self, 2002, p. 65-67.
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05 avril 2006
plus vaste que le ciel. 2
Le neurobiologiste Gérald M. Edelman a choisi cette citation d’Emily Dickinson pour titre de son ouvrage Plus vaste que le ciel. Un nouvelle théorie générale du cerveau (Odile Jacob, 2004, traduction de Wider than the sky. The Phenomenal Gift of consciousness, 2004). Il est aussi l’auteur notamment de Biologie de la concience (Odile Jacob, 1992) et Comment la matière devient conscience (Odile Jacob, 2000, traduction française de A Universe of Consciousness. How matter becomes imagination, 2000).
Le cerveau, écrit-il, est vaste par ses dimensions : s'il ne pèse qu’un kilo environ, il comporte dans sa partie superficielle, le cortex (un réseau extrêmement dense de neurones), de nombreux plis (tout comme l’univers que d'aucuns disent chiffonné) :
Si on dépliait le cortex cérébral (en faisant disparaître les gyrus, ses bosses, et les sulcus, ses fissures), il aurait la taille et l'épaisseur d'une grande nappe. Il contient au moins trente milliards de neurones, ou cellules, et un million de milliards de connexions, ou synapses. Si vous commenciez maintenant à compter ces synapses à raison d'une par seconde, vous n'en finiriez que dans trente-deux millions d'années. (Edelman, p. 30-31)
Mais le cerveau est vaste surtout par l'extrême complexité de son fonctionnement :
le processus de la conscience est une manifestation dynamique de l'activité de populations de neurones réparties dans de nombreuses aires différentes du cerveau (Edelman, p. 21-22)
Le cortex d’un individu conscient est animé d’une myriade d’étincelles. En effet, la communication neuronale résulte de la combinaison d’événements électriques (potentiels d’actions) et chimiques (libération de neurotransmetteurs de d’hormones). La perception ou le mouvement le plus élémentaire réveille des circuits neuronaux dans plusieurs zones du cortex. L'ensemble ne peut fonctionner que grâce à plusieurs structures anatomiques situées à l’intérieur ou sous le cortex (le thalamus, l'hypothalamus, l’hippocampe, les ganglions de la base, le cervelet, l’amygdale, etc.), mais aucune de ces structures n’occupe un rôle central et encore moins centralisateur.
Il y a par conséquent dans le cerveau humain de nombreux systèmes qui font des choses différentes, mais s’informent en permanence les uns les autres de ce qu’ils sont en train de faire (en d'autres termes, un grand nombre de spécifications fonctionnelles complétées par un grand nombre de liaisons fonctionnelles). La conscience n’est donc pas un objet, mais un ensemble de processus intégrés :
Le cerveau humain est l’objet matériel le plus compliqué qu’on connaisse dans l’univers. (Edelman, p. 29)
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04 avril 2006
à quoi pensent les calamars ?
Même si, comme le souligne mon lecteur lacanien, on ne sait toujours pas ce qu’est la conscience, même si une majorité d’humains considère encore que la conscience et l’esprit ne sauraient être des objets d’études scientifiques, les scientifiques qui se penchent sur le cerveau humain pour tenter d’expliquer et de comprendre son fonctionnement sont aujourd’hui très nombreux.
Pourtant, en dépit de quelques titres chocs (La conscience expliquée de Daniel Dennett, 1991 ou Comment fonctionne l’esprit ? de Steven Pinker, 1999), la conscience est un phénomène que chacun ressent mais qu’il est encore bien difficile d’observer : il est difficile d’aborder la conscience avec des méthodes expérimentales, l’introspection ne présente pas les garanties d’objectivité suffisantes, l’imagerie est encore superficielle et l’examen clinique de la conscience au travail n’est pas envisageable.
Alors, certes, les progrès des neurologues, neurobiologistes et autres semblent parfois trop lents et leurs hypothèses trop prudentes, certes il est souvent agaçant de devoir se passionner pour les synapses des aplysies et des calamars (le titre de ce post est le sous-titre d’un livre d’Alain Prochiantz, L’anatomie de la pensée : à quoi pensent les calamars ?), les descriptions circonstanciées des résultats de lésions diverses et variées, les expériences redondantes avec imagerie irm et tep ; certes ces spécialistes me paraissent fréquemment confinés voire englués dans leur spécialité, certes je suis souvent frustrée par leur absence de perspectives, j’ai parfois envie de leur conseiller de lire un peu de science fiction ou de philosophie.
Pourtant il y a beaucoup d’éléments de compréhension - de soi, des autres, de la réalité - à glaner à leur lecture. Et il se pourrait que dans quelques années soit devenue caduque la séduisante remarque d'Emerson Pugh (en 1977) :
Si le cerveau humain était assez simple pour que nous puissions le comprendre, nous serions si simples d’esprit que nous ne pourrions pas le comprendre.
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03 avril 2006
lituraterre
(ce jeu de mot là est dans Littérature, 3, octobre 1971)
Ça n’est pas pour me vanter mais j’ai un lecteur lacanien ! Je le remercie pour sa réaction rapide. Grâce à lui je peux préciser que la citation de Lacan est extraite de « Freud per sempre », un entretien de Jacques Lacan avec Emilia Granzotto pour le journal Panorama (Rome, 21 novembre 1974), et la citer plus largement, ce qui permet de s’apercevoir que le but de Lacan n’est nullement de faire l’éloge de la science-fiction, mais bien de dire du mal, de manière assez drôle, il faut l'avouer, de ses collègues scientifiques et leurs prétendus progrès :
Question. – Quel rapport y a-t-il aujourd’hui entre la science et la psychanalyse ?
Lacan – Pour moi l’unique science vraie, sérieuse, à suivre, c’est la science fiction. L’autre, celle qui est officielle, qui a ses autels dans les laboratoires avance à tâtons sans but et elle commence même à avoir peur de son ombre.
Il semble que soit arrivé aussi pour les scientifiques le moment de l’angoisse. Dans leurs laboratoires aseptisés, revêtus de leurs blouses amidonnées, ces vieux enfants qui jouent avec des choses inconnues, manipulant des appareils toujours plus compliqués, et inventant des formules toujours plus abstruses, commencent à se demander ce qui pourra survenir demain et ce que finiront par apporter ces recherches toujours nouvelles. Enfin, dirai-je, et si c’était trop tard ? On les appelle biologistes, physiciens, chimistes, pour moi ce sont des fous.
Seulement maintenant, alors qu’ils sont déjà en train de détruire l’univers, leur vient à l’esprit de se demander si par hasard ça ne pourrait pas être dangereux. Et si tout sautait ? Si les bactéries aussi amoureusement élevées dans les blancs laboratoires se transmutaient en ennemis mortels ? Si le monde était balayé par une horde de ces bactéries avec toute la chose merdeuse qui l’habite, à commencer par les scientifiques des laboratoires ?
Aux trois positions impossibles de Freud, gouverner, éduquer, psychanalyser, j’en ajouterais une quatrième : la science. À ceci près que eux, les scientifiques, ne savent pas qu’ils sont dans une position insoutenable.
Q. – C’est une vision assez pessimiste de ce qui communément se définit comme le progrès.
L. – Pas du tout, je ne suis pas pessimiste. Il n’arrivera rien. Pour la simple raison que l’homme est un bon à rien, même pas capable de se détruire. Une calamité totale promue par l’homme, personnellement je trouverais ça merveilleux. La preuve qu’il aurait finalement réussi à fabriquer quelque chose avec ses mains, avec sa tête, sans intervention divine ou naturelle ou autre.
Toutes ces belles bactéries bien nourries se baladant dans le monde, comme les sauterelles bibliques, signifieraient le triomphe de l’homme. Mais ça n’arrivera pas. La science a sa bonne crise de responsabilité. Tout rentrera dans l’ordre des choses, comme on dit. Je l’ai dit, le réel aura le dessus comme toujours, et nous serons foutus comme toujours.
On peut lire le reste de l’entretien sur le site de l’École Lacanienne de Psychanalyse, qui propose, dans la rubrique « Pas-tout Lacan » de lire en ligne ou de télécharger de nombreux inédits de Jacques Lacan. J’en profite pour signaler qu'on peut aussi lire en ligne la transcription des Séminaires, sur le site Gaogoa, et Les Mathèmes de Lacan par Jacques Sibony, sur le site Lutecium.
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02 avril 2006
science sérieuse
Pour moi, la seule science vraie, sérieuse, à suivre, c'est la Science-Fiction. L'autre, l'officielle, qui a ses autels dans les laboratoires, avance à tâtons, sans juste milieu. Et elle commence même à avoir peur de son ombre.
Jacques Lacan
J’ai trouvé cette citation, que j’aime bien, dans la dossier du Magazine littéraire sur la Psychanalyse (428, février 2004). Si quelque lacanien passe par ici et peut me confirmer qu’elle est bien de Lacan et m'indiquer où on peut la lire dans son contexte, je l’en remercie par avance. Peu nombreux sont (encore ?) à ce jour les visiteurs de ce blog et que parmi eux se trouvent des lacaniens me paraît improbable … mais ayant lu (dans un blog !) que la plupart des blogs créés après 2005 ne seront jamais lus, je remercie aussi les visiteurs non lacaniens d'être passés.
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01 avril 2006
toutes les sciences
Pas seulement la religion, toutes les sciences sont l’objet du pari de Pascal.
« Commencez par admettre ceci et vous verrez comme tout est simple, et qu’il n’y a rien à perdre de toute façon. Même si c'est faux, puisque vous aurez acquis des connaissances que, faute de liaison, vous eussiez dû laisser là ». Mais certains se révoltent, ne veulent pas de ces a priori, de ces approximatives théories, de ces procédés, syllogismes, conclusions hâtives tirées d'apparences concordantes (je souligne) et se révoltant trop tôt se barrent le chemin de connaissances ultérieures. Car l’appareil scientifique est un bloc.
Henri Michaux, Ecuador (p. 74).
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31 mars 2006
goûter à un certain fruit
J'ai emprunté ces ponts qui unissent - ou devraient unir - culture scientifique et culture littéraire, franchissant un fossé qui m'a toujours semblé absurde. [...] Il s'agit d’une coupure artificielle, arbitraire et nuisible, héritage de lointains tabous et de la Contre-Réforme, voire d'une interprétation étroite de l'interdit biblique qui défend de goûter à un certain fruit. Ni Empédocle, ni Dante ni Léonard de Vinci ni Galilée ni Descartes ni Goethe ni Einstein ne connaissaient ce triste cloisonnement.
Primo Levi, Le Métier des autres
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30 mars 2006
les images de la boîte
Encore une illustration de la guerre de l'internet, entre marchands et citoyens (pour reprendre le beau titre du bon livre de Mona Chollet, qui j'en suis sûre ne m'en voudra pas).
L'inépuisable Boîte à images qui presque chaque jour offre gratuitement à tous des analyses tellement passionnantes sur l'art et les images se voit intimer l'ordre de passer à la caisse pour avoir publié sans autorisations quelques photographies. Lamentable !
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