03 juin 2006
oiseaux de bureau
Chers oiseaux était le titre d'un morceau de prose sur la vie de bureau que j'ai écrit il y a quelques années, quand j'échangeais encore beaucoup de temps contre peu d'argent, et que cet échange était pour moi une souffrance quotidienne. Chers oiseaux était une lettre envoyée de la cage, une lettre d'adieu adressée à mes coprisonniers qui allaient rester derrière les barreaux. Une fois la lettre d'adieu terminée, j'ai donné ma démission.
écrit Anne Weber dans Cendres & Métaux (Seuil, 2006, p. 51)
Cela donne une petite fable sans prétention mais très réjouissante sur le travail de bureau.
Citons le dernier chapitre, une lettre d'adieu qui se termine comme un roman de Philip K. Dick :
L'adieu aux oiseaux.
Chers vautours, chères vautourelles, chers amis colibris,
le moment est venu de nous quitter. Vous avez toujours été bons pour moi, aussi tenais-je à vous remercier. Quand j'avais des monceaux de bêtises sur le bout de la langue, vous m'avez bâillonnée scrupuleusement. Quand les bras me démangeaient, pales d'hélice frémissantes, vous m'avez ligotée soigneusement, de peur que je ne me fasse mal. Quand ma voix menaçait de geler, vous l'avez endormie à coups de verveine. Vous avez été méchants pour que je connaisse la méchanceté. Vous avez été bêtes pour que je n'ignore pas la bêtise. Vous avez été mesquins, vous avez été tristes, vous avez été sordides pour mon seul enseignement. Petits soldats de l'abrutissement et du devoir, vous m'avez montré la meilleure manière de crever le temps sans se crever. Vous m'avez appris qu'une journée peut tenir debout grâce aux courants d'air.
Je vous regardais. Vous étiez occupés à voir venir. Les coursiers arrivaient et repartaient, la machine à photocopier crachait triait recto verso recommençait, amalgamant vos visages jusqu'à ce que, sous la lumière des néons, l'immeuble entier s'ébranle et s'active dans une cadence frénétique afin d'oublier à tout prix le silence, et le prix du silence.
Chers oiseaux qui trimez depuis toujours et qui sans doute trimerez encore quand le soleil sera éteint et que les étoiles ne seront plus qu'un souvenir, je vous dis aujourd'hui adieu sans rancune ni repentir. Vous m'avez sauvé la vie.
Je vous regardais. Et j'ai enfin compris ce que vous aviez à me dire. Vous me disiez : Nous sommes morts.
Anne Weber, Chers oiseaux (Seuil, 2006, p. 77-78)
01:05 Publié dans littérature, travail | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note
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