je m’en vais escornifflant

Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire, et laissons l’entendement et la conscience vuide. Tout ainsi que les oyseaux vont quelquefois à la queste du grain, et le portent au bec sans le taster, pour en faire bechée à leurs petits : ainsi nos pedantes vont pillotans la science dans les livres, et ne la logent qu’au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement, et mettre au vent.

C’est merveille combien proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est-ce pas faire de mesme, ce que je fay en la plus part de cette composition ? Je m’en vay escornifflant par-cy par-là, des livres, les sentences qui me plaisent ; non pour les garder (car je n’ay point de gardoire) mais pour les transporter en cettuy-cy ; où, à vray dire, elles ne sont non plus miennes, qu’en leur premiere place. Nous ne sommes, ce croy-je, sçavants, que de la science présente : non de la passée, aussi peu que de la future.

Michel de Montaigne (Essais, Livre I, 24. « Du pédantisme »)
La Page de Trismegiste offre une version en ligne des Essais, d’après l’édition de 1595.