la femme qui rit

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Le court essai un peu énigmatique d’Isabelle Sorente, La femme qui rit. Le marché noir de la réalité (Descartes & Cie, 2007) rappelle que « la femme » n’existe pas ; mais, comme le souligne le (joli!) titre, que les femmes sont plus à même d’accepter, et de supporter, les mutations à venir pour l’humain : si l’intelligence humaine, par exemple, se voyait dépassée par l’intelligence artificielle, peut-être ne serait-ce pour les femmes, à qui l’homme n’a consenti l’intelligence que depuis finalement assez peu de temps, que matière à éclater de rire.

Que passe la femme sous le manteau, la jupe ? La femme, le sexe : de cette réalité je ne connais rien, sauf l’intimité de mon travestissement. Quand je dis femme, je pose l’inconnue.
C’est tout.
De la Femme, du rôle, je sais quelques postures. Après tout, je la joue depuis la naissance. Elle, chiffre 2 de ma carte vitale. Elle, mon personnage. Ou elles, mes personnages ? (Le bordel, déjà.) Le pluriel semble moins injuste, mais dans mes personnages, il y a aussi des ils, et des ni l’un ni l’autre.
Alors disons Elle, la Femme et ses postures. (p. 29)

Une joie immense attend, dans le ventre des femmes, elle attend l’heure des causes désespérées. Elle est le joker de l’humain, lové en elle pour lui. Lorsque l’asservissement devient la norme, alors la femme rit. C’est un rire inespéré. Ça n’est pas un déchaînement. Ça n’est pas un soupir, ni un gémissement. Peut-être un cri. Peut-être un regard qui défaille en silence. Presque rien. Mais cet œil qui défaille est ouvert sur l’abîme, la jouissance travestie soudain se révèle, le sexe n’est pas, le visage n’est pas…
Une joie qui dresse les cheveux sur la tête.
(…) Plus on l’insulte, plus la femme rit.
C’est un rire presque imperceptible, à peine si la femme l’entend. Sous l’insulte, elle perçoit autre chose, un manque de mots pour dire ce qu’elle est. Un aveu devant un autre monde. L’insulte sous le manteau signifie, Bon voyage ! C’est un rire faible, terrifiant, Bon voyage !
Ce pourrait être un cri, qui proclame en l’humain la faillite du réel, l’illusion de l’humain. L’exclamation du voyageur face à la Terra Incognita. Si c’était un mot, ce pourrait être ça, Terre ! Mais ça ne proclame rien. Ça ne dit rien. C’est détaché de ça aussi. Dans la nuit, c’est le seul éclat. C’est un rire. Parfois, on l’entend. (p. 49-51)

Isabelle Sorente est née en 1971 à Marseille.
Elle est polytechnicienne et journaliste.
Elle a a publié des nouvelles, deux pièces de théâtre (Hard copy, 2001, L’Ogre, 2004) et quatre romans :
L (Lattès, 2001)
La prière de septembre (Lattès, 2002)
Le Coeur de l’ogre (Lattès, 2003)
Panique (Grasset, 2006)
– un texte à lire en ligne « Je suis une créature » (15 juin 2004).