peur d’absence

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Connaître soudain la peur que le lien au monde soit interrompu. Se retourner vers ce qui est accumulé, confusément. Dans ce fouillis fouiller de façon de plus en plus désordonnée, secoué par la crainte qui a motivé la fouille de ne pas trouver de quoi renforcer le lien déjà si distendu qu’il menace de céder et dévoiler la différence entre le monde conservé par le monde et le monde conservant le monde ; tout mettre sens dessus dessous dans ce désordre sans direction et à mesure que croît la confusion distinguer de moins en moins de présence et sentir la peur de rupture se muer en peur d’absence – qu’il n’y ait là rien qui ait été et que le lien n’ait jamais été qu’une foi en ne plus savoir distinguer quoi, de toute manière infondée – qu’effectivement il n’y ait plus rien de ce qui se révèle n’avoir jamais été que le cri muet de la chute dans la différence des mondes : dans l’absence d’un soi qui somme toute devait constituer une manière de liant d’une sorte perdue, mais n’avait pas de profondeur, ce qui absente la chute même du mouvement. Cependant au fond de l’effroi distinguer dans la commotion de l’air dérangé par le cri une forme de mouvement si belle, si parfaite et vraie qu’elle se libère elle-même de la condition de visibilité, – et que la peur disparaît sous l’émerveillement et avec elle l’intuition de la forme. L’équanimité retrouvée révèle que ce qui était à craindre était de ne pas pouvoir saisir la forme afin de la conserver : l’approche de l’idée suscitant la peur qu’elle ne paraisse que de se dissiper. Cependant cette frayeur n’a pas été vaine : l’espoir vient de trouver à l’interruption que la disparition de la peur a recouverte et rendue impossible à localiser une forme pour la conserver : une idée.

Marc Cholodenko, « Idée », Glossaire (POL, 2007, p. 40-41)