l’œuvre est amère et non triomphale

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G. qui a inspiré ce livre, et qui nourrit la même ambition, m’a dit, il faut bien occuper sa vie. (p. 14)

À Lausanne, dans une rue descendante et par grand soleil, une femme d’une soixantaine d’années attend gentiment, assise à un arrêt de bus. La rue est un peu déserte en ce jour d’été, peut-être l’est-elle toujours, c’est une rue calme avec des immeubles bas. La femme est bien habillée, elle est droite, propre et fraîche. Elle attend le bus sagement pour aller visiter une amie (dont j’imagine aussi l’appartement suisse, rangé et un peu obscur) ou déjeuner chez un parent, sa fille, son fils… Elle aussi occupe sa vie.
Occuper sa vie, dans la bouche de G., signifie se tenir hors de soi. Peut-on l’imaginer assis, seul, en attente là où rien ne bouge ?
Celui que j’observe, et que j’ai encore du mal à nommer, non plus. Bien qu’on soit saisi par l’isolement que révèlent certaines images, certaines photos. (Une impression assez marquante pour être également à la source de ces lignes.) (p. 16)

« Je cherche le silence et la nuit pour pleurer », les mots de Chimène dans Le Cid. Les hommes que je contemple veulent le contraire. Surtout pas la nuit, surtout pas le silence. Encore moins les pleurs. Rien qui puisse ressembler au temps. (p. 23)

C’est véritablement un de vos personnages, dit un ami à qui je viens de lire certains passages de ce texte. (p. 85)

Mon cahier des jours derniers. Que de répétitions. Dans mon cahier, les jours s’égrènent et se confondent, frénésie monotone où cependant l’histoire s’écrit.
Il n’y a pas de lieux dans la tragédie. Et il n’y a pas d’heures non plus. C’est l’aube, le soir ou la nuit. (p. 126)

Samuel me dit, toi tu as forcément gagné. Quoi qu’il arrive. Et si on n’est pas au deuxième tour, tu auras gagné sur toute la ligne. Tu auras une vraie tragédie.
J’éprouve le saugrenu du mot gagné.
Par essence, l’œuvre est amère et non triomphale.
Celle-ci en particulier. (p. 147)

(…) et c’est exactement cela, me dis-je, que fuient les hommes don je parle, l’endroit où il n’y a rien à attendre, les lambeaux d’hier, le train monotone, l’existence qui passe inaperçue. (p. 181)

Yasmina Reza, L’aube le soir ou la nuit (Flammarion, 2007)

Sentant venir le commentaire assassin, je précise que j’ai acheté et lu ce livre, en dépit d’une couverture médiatique assez dissuasive :
1. pour me faire mon avis moi-même
2. par esprit de contradiction
3. parce que comme personnage romanesque, N. m’intéresse (comme président, moins, mais mon avis n’a pas été suivi par la majorité)
4. parce que j’aime beaucoup la causticité de Yasmina Reza et la manière très singulière dont ses livres en prose notamment (Une désolation, Dans la luge d’Arthur Schopenhauer) décrivent la complexité des comportements humains.
5. parce que je me demande avec insistance pourquoi elle a fait ce livre
6. pour faire comme tout le monde
7. pour faire parler les commentateurs !?

… et j’ai bien fait, car j’y lis autre chose que ce qu’on veut nous vendre : une sorte de tentative d’épuisement d’un homme politique, tentative impressionniste, voire pointilliste (un peu comparable, finalement, au projet de Philippe Vasset scrutant les blancs des cartes) et qui débouche sur un sentiment de vide absolu, malgré l’agitation affolée des jambes terminées par les « pompons » remuants des chaussures (l’un des leitmotiv).

Yasmina Reza est née le 1er mai 1959 à Paris.
La pièce qui l’a rendue célèbre, Art (1994), est disponible en vidéo.

Si vous souhaitez des extraits plus « politiques », voyez le NouvelObs ou Rue89 ; et pour lire des articles plus complets, le NouvelObs, Libé, le Monde, Livres Hebdo, L’Express ou Pierre Assouline (rien que trois billets !)