j’existe péniblement

D’abord j’ai eu un peu de mal, car ma pente naturelle est à la phrase longue. Or, dans ce livre, presque pas de phrases. Des bribes seulement … et puis je me suis laissée emporter et comme fasciner par le rythme haletant et haché de Béatrice Rilos :

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Selon toi ai-je l’air normale. J’exhibe mes dessins mes objets personne ne bronche. Terrorisée. Il faudrait t’enfermer. J’exhibe mes tripes ils ne me le reprochent pas. Au contraire ils t’ont félicitée. Ils ne me comprennent pas ils veulent que j’aille plus loin. Ils ne te comprennent pas… Si tu vas plus loin. Les tissus ne retiendront pas mes viscères pourrissants ils s’abattront fumants sur le sol. Tu parles d’un spectacle. J’existe péniblement. Cela me dévore l’intérieur. Petit à petit. D’une euphorie paroxystique à la mélancolique sidération du néant. En moins d’une heure. Instable. Tu crains de risquer ta peau. De vivre. J’apprécierais autant que possible de ne pas avoir à choisir. Rester là. Seule. Sans espoir sans obligation d’avancer. Perpétuellement. Un véritable monstre. Indigne de l’air pénétrant dans tes poumons. Je vous l’offre. Faites-en ce que bon vous chante. Toutefois prenez-en grand soin. Moi je n’en peux plus. Tu en es incapable. Continuer à s’alimenter. Je ne désire pas vivre. Lâche. Je n’ai ni l’énergie ni le courage de parvenir à un quelconque terme. Répéter cette phrase ce geste. Sans cesse. À l’identique. Aucune variation. Je m’éparpille me dissous. Dans ce reflet. Est-ce moi. Forcément puisque ça t’imite. Je l’examine. Ignorant sa véritable nature. T’interrogeant sur l’éventuelle présence de sa chair de son sang. Ce n’est peut-être pas moi.

Béatrice Rilos, Enfin. On fera silence (Seuil, Déplacements, 2007, p. 31-32)

Comment étais-je comme petite fille. Ai-je toujours eu l’œil inquiet triste de ceux qui subissent pourtant ne discernent pas d’où leur vient cette mélancolie. Ceux de mon bord de mon clan le savent également. Que l’agitation de leur tête folle échevelée ne les mènera nulle part. Que les grands cris les grands rires ceux qui déboîtent les mâchoires dévissent les troncs les colonnes vertébrales ne signifient ne changent rien. Aucune révolution. Aucune mutation. Aucune solution. Problèmes. Problèmes. Ceux marchant dans la nuit prenant invariablement le chemin le plus long le savent également. Qu’ils n’auront rien de beau de brillant de concluant à exposer au vu au su des autres. Là. Aucune bénédiction. Ni salut ni Ave Maria réchauffant le corps illuminant l’esprit. Qu’ils seront seuls. Ensemble. La souffrance leur servira de coiffe ternira leur cristallin d’un brouillard opaque. Qu’ils effrayeront les enfants de cette exhalaison putride s’échappant de leur bouche. Décomposition. Qu’il n’y a ni merveille ni répit. Leurs os s’entrechoquent. Leurs souvenirs se confondent se diluent par les pluies. Qu’il n’est point de soleil sur ces terres-là. Uniquement un faible rayon perdu prenant ses jambes à son cou lorsqu’il a saisi dans quel merdier il était tombé. Les êtres ces êtres me ressemblent.

Béatrice Rilos, Enfin. On fera silence (Seuil, Déplacements, 2007, p. 59-60)