dessiner l’écoulement du temps
Je voulais dessiner la conscience d’exister et l’écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. Ou encore, en plus restreint, ce qui apparaît lorsque, le soir venu, repasse (en plus court et en sourdine) le film impressionné qui a subi le jour. Henri Michaux, « Dessiner l’écoulement du temps », Passages (1957, Gallimard, Tel, [...]
je me chiffonne
J’ai rarement rencontré dans ma vie des gens qui avaient besoin comme moi d’être regonflés à chaque instant. On ne m’invite plus dans le monde. Après une heure ou deux (où je témoigne d’une tenue au moins égale à la moyenne), voilà que je me chiffonne. Je m’affaisse, je n’y suis presque plus, mon veston [...]
en somme une infirmité
Le style, cette commodité à se camper et à camper le monde, serait l’homme ? Cette suspecte acquisition dont, à l’écrivain qui se réjouit, on fait compliment ? Son prétendu don va coller à lui, le sclérosant sourdement. Style : signe (mauvais) de la distance inchangée (mais qui eût pu, eût dû changer), la distance où à tort [...]
versez la sauce énigmatique
POUR UN ART POÉTIQUE (suite) Prenez un mot prenez-en deux faites-les cuir’ comme des œufs prenez un petit bout de sens puis un grand morceau d’innocence faites chauffer à petit feu au petit feu de la technique versez la sauce énigmatique saupoudrez de quelques étoiles poivrez et puis mettez les voiles où voulez-vous en venir [...]
un poète du soir
TOUJOURS LE TRAVAIL je serai courageux je me lèverai à la première heure pour écrire des poèmes à onze heures du matin j’en aurai produit au moins un avant dix heures même lever laver petit déjeuner et hop à la selle en selle sur Pégase dans le ptit air frumeux de l’aube j’aperçois pourtant là-bas [...]
balafre légère tracée dans le temps
De tels traits (ce mot convient au haïku, sorte de balafre légère tracée dans le temps) installent ce qu’on a pu appeler « la vision sans commentaire ». (…) ce qui est aboli, ce n’est pas le sens, c’est toute idée de finalité : le haïku ne sert à aucun des usages (eux-mêmes pourtant gratuits) concédés à [...]
saison mentale
Cet automne-ci pourquoi donc dois-je vieillir ? oiseau dans les nuages. kono aki wa nande toshiyoru kumo ni tori Bashô Matsuo (1644–1694) Cent onze haïku de Bashô (Verdier, 2002, Traduction de Joan Titus-Carmel) de Bashô, j’aime aussi beaucoup celui-ci : (mais je ne parviens pas à décider quelle traduction je préfère — c’est le problème [...]
agent pathogène
Pour une affection que les médecins guérissent avec les médicaments (on assure, du moins, que cela est arrivé quelquefois), ils en produisent dix chez les sujets bien portants, en leur inoculant cet agent pathogène plus virulent mille fois que tous les microbes, l’idée qu’on est malade. Marcel Proust, Le côté de Guermantes, À la recherche [...]
dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs
Que peut-on connaître du monde ? De notre naissance à notre mort, quelle quantité d’espace notre regard peut-il espérer balayer ? Combien de centimètres carrés de la planète Terre nos semelles auront-elles touché ? Parcourir le monde, le sillonner en tous sens, ce ne sera jamais qu’en connaître quelques ares, quelques arpents : minuscules incursions dans des vestiges désincarnés, [...]
alternative nostalgique (et fausse)
Alternative nostalgique (et fausse) : Ou bien s’enraciner, retrouver, ou façonner ses racines, arracher à l’espace le lieu qui sera vôtre, bâtir, planter, s’approprier, millimètre par millimètre, son « chez-soi » : être tout entier dans son village, se savoir cévenol, se faire poitevin. Ou bien n’avoir que ses vêtements sur le dos, ne rien garder, vivre [...]
« go back — keep looking »