taf d’écrivain médiatisé

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Voilà qui va plaire à Berlol, fan de Ce soir (ou jamais!) : Frédéric Taddeï tente de confronter le féminisme de Virginie Despentes à celui de Gisèle Halimi mais le dialogue tourne très vite court, la jeune outrecuidante étant renvoyée au caractère par trop léger et individualiste de sa révolte.

Mieux vaut lire le manifeste autobiographique jubilatoire de Virginie Despentes, qui tord le cou à pas mal d’idées trop communément admises et vengera toutes les femmes qui (j’en suis!) se reconnaitront dans son autoportrait en « prolotte de la féminité » :

C’est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j’ai parlé hier et que je recommence aujourd’hui. Quand j’étais au RMI, je ne ressentais aucune honte d’être une exclue, juste de la colère. C’est la même en tant que femme : je ne ressens pas la moindre honte de ne pas être une super bonne meuf. En revanche, je suis verte de rage qu’en tant que fille qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais même pas être là. (p. 9-10) (…) Après plusieurs années de bonne, loyale et sincère investigation, j’en ai quand même déduit que : la féminité, c’est la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour. Ça n’est un sport de haut niveau que dans très peu de cas. Massivement, c’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure. (p. 136)

Drôle et juste également ce qu’elle écrit sur son passage assez fluide de la prostitution au « taf d’écrivain médiatisé » (dont elle parlait aussi fort bien le 6 octobre dernier dans l’autre émission de télévision où l’on fait semblant d’être au café dans la vraie vie, Café Picouly) :

(…) puis je suis devenue Virginie Despentes. La partie promotionnelle de mon taf d’écrivain médiatisé m’a toujours frappée par ses ressemblances avec l’acte de se prostituer. Sauf que quand on dit « je suis une pute » on a tous les sauveurs de son côté, alors que si on dit « je passe à la télé », on a les jaloux contre soi. Mais le sentiment de ne pas tout à fait s’appartenir, de vendre ce qui est intime, de montrer ce qui est privé, est exactement le même. Je ne fais toujours pas la différence nette, entre la prostitution et le travail salarié légal, entre la prostitution et la séduction féminine, entre le sexe tarifé et le sexe intéressé, entre ce que j’ai connu ces années-là et ce que j’ai vu les années suivantes. Ce que les femmes font de leurs corps, du moment qu’autour d’elles il y a des hommes qui ont du pouvoir et de l’argent, m’a semblé très proche, au final. Entre la féminité telle que vendue dans les magazines et celle de la pute, la nuance m’échappe toujours. Et, bien qu’elles ne donnent pas leurs tarifs, j’ai l’impression d’avoir connu beaucoup de putes, depuis. Beaucoup de femmes que le sexe n’intéresse pas mais qui savent en tirer profit. (p. 81-82)

Quand vous devenez une fille publique, on vous tombe dessus de toutes parts, d’une façon particulière. Mais il ne faut pas s’en plaindre, c’est mal vu. Il faut avoir de l’humour, de la distance, et les couilles bien accrochées, pour encaisser. Toutes ces discussions pour savoir si j’avais le droit de dire ce que je disais. Une femme. Mon sexe. Mon physique. Dans tous les articles, plutôt gentiment, d’ailleurs. Non, on ne décrit pas un auteur homme comme on le fait pour une femme. Personne n’a éprouvé le besoin d’écrire que Houellebecq était beau. S’il avait été une femme, et qu’autant d’hommes aient aimé ses livres, ils auraient écrit qu’il était beau. Ou pas. Mais on aurait connu leur sentiment sur la question. Et on aurait cherché. dans neuf articles sur dix, à lui régler son compte et à expliquer, dans le détail, ce qui faisait que cet homme était aussi malheureux, sexuellement. On lui aurait fait savoir que c’était sa faute, qu’il ne s’y prenait pas correctement, qu’il ne pouvait pas se plaindre de quoi que ce soit. On se serait foutu de lui, au passage : non mais t’as vu ta gueule ? On aurait été extraordinairement violent avec lui, si en tant que femme il avait dit du sexe et de l’amour avec les hommes ce que lui dit du sexe et de l’amour avec les femmes. À talent équivalent, ça n’aurait pas été le même traitement. Ne pas aimer les femmes, chez un homme, c’est une attitude. Ne pas aimer les hommes, chez une femme, c’est une pathologie. Une femme qui ne serait pas très séduisante et viendrait se plaindre de ce que les hommes sont infoutus de bien la faire jouir ? On en entendrait parler de son physique, et de sa vie familiale, dans les détails les plus sordides, et de ses complexes, et de ses problèmes. (p. 126-127)

Les femmes qu’on entend s’exprimer sont celles qui savent faire avec eux. De préférence celles qui pensent le féminisme comme une cause secondaire, de luxe. Celles qui ne vont pas prendre la tête avec ça. Et plutôt les femmes les plus présentables, puisque notre qualité première reste d’être agréables. Les femmes de pouvoir sont les alliées des hommes, celles d’entre nous qui savent le mieux courber l’échine et sourire sous la domination. Prétendre que ça ne fait même pas mal. Les autres, les furieuses, les moches, les fortes têtes, sont asphyxiées, écartées, annulées. Non grata dans le gratin. Moi, j’aime Josée Dayan. Je ronronne de plaisir chaque fois que je la vois à la télé. Parce que le reste du temps, même les romancières, les journalistes, les sportives, les chanteuses, les présidentes de boîtes, les productrices, toutes les bonnes femmes qu’on voit se sentent obligées de jouer un petit décolleté, une paire de boucles d’oreilles, les cheveux bien coiffés, preuves de féminité, gages de docilité. (p. 132-133)

Virginie Despentes, King Kong Théorie (Grasset, 2006)

On peut lire en ligne, si on ne traîne pas trop, l’article de Josyane Savigneau, « Despentes, un cri pour les femmes » (Le Monde des livres, 6 octobre 2006). (ps : l’article est aussi disponible là)

Virginie Despentes a été l’une des première parmi les écrivains, en 2004, à jouer le jeu du blog, une expérience qu’elle commente là.