mille plateaux

mémoire des lignes de fuite

cerveau frémissant

Posted on | février 25, 2006 | Commentaires fermés

Et avoir un corps, c’est la grande menace pour l’esprit. La vie humaine et pensante, dont il faut sans doute moins dire qu’elle est un miraculeux perfectionnement de la vie animale et physique, mais plutôt qu’elle est une imperfection, encore aussi rudimentaire qu’est l’existence commune des protozoaires en polypiers, que le corps de la baleine, etc., dans l’organisation de la vie spirituelle. Le corps enferme l’esprit dans une forteresse ; bientôt la forteresse est assiégée de toutes parts et il faut à la fin que l’esprit se rende. […]
Je savais très bien que mon cerveau était un riche bassin minier, où il y avait une étendue immense et fort diverse de gisements précieux. Mais aurais-je le temps de les exploiter ? J’étais la seule personne capable de le faire. Pour deux raisons : avec ma mort eût disparu non seulement le seul ouvrier mineur capable d’extraire ces minerais, mais encore le gisement lui-même ; or, tout à l’heure, quand je rentrerais chez moi, il suffirait de la rencontre de l’auto que je prendrais avec une autre pour que mon corps fût détruit et que mon esprit, d’où la vie se retirerait, fût forcé d’abandonner à tout jamais les idées nouvelles qu’en ce moment même, n’ayant pas eu le temps de les mettre plus en sûreté dans un livre, il enserrait anxieusement de sa pulpe frémissante, protectrice, mais fragile.

Marcel Proust, Le temps retrouvé, p. 613-614

que faire de notre cerveau ?

Posted on | février 24, 2006 | Commentaires fermés

Cette question est empruntée à Catherine Malabou. C’est le titre d’un petit livre très stimulant dans lequel elle expose avec clarté certaines découvertes récentes des neurosciences.
Philosophe et impatiente, elle incite les scientifiques qui travaillent sur le cerveau à tirer toutes les conséquences humaines et politiques de leurs découvertes. Elle invite également tout un chacun qui se sert du sien à se tenir au courant de ces découvertes et à prendre conscience de ce qu’implique par exemple la notion de plasticité neuronale :  » les hommes font leur propre cerveau mais ils ne savent pas qu’il le font  » (p. 7)

C’est aussi le propos de ce blog : utiliser les connections de mon propre cerveau, mettre en relation ce que j’ai lu, vu, entendu ici, là, ailleurs, chez Proust ou Greg Egan, Damasio ou Sloterdijk, dans les tableaux de Bosch, les films de Wong Kar Wai ou les épisodes de Star Trek, mêler littérature et cognisciences, peinture et actualité, philosophie et science fiction pour ouvrir des pistes et des lignes de fuite, parce que le monde tel qu’il va ne me plait pas plus que ça. Pour lire, aussi, les commentaires qui pourraient naître d’autres cerveaux en me lisant.

Une citation plus longue pour finir :

La plasticité du Soi, qui suppose qu’il reçoit et se donne à la fois sa propre forme, implique une nécessaire scission et la recherche d’un équilibre entre le maintien d’une constance (ou Soi autobiographique en effet) et l’exposition de cette constance aux accidents, au dehors, à l’altérité en général (l’identité, pour durer, doit paradoxalement s’altérer ou s’accidenter). Il en résulte une tension née de la résistance que constance et création s’opposent mutuellement. C’est ainsi que toute forme porte en elle sa propre contradiction. Et c’est précisément cette résistance qui rend la transformation possible.
Catherine Malabou, p. 145

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