mille plateaux

mémoire des lignes de fuite

j'existe péniblement

Posted on | juin 1, 2007 | Commentaires fermés

D’abord j’ai eu un peu de mal, car ma pente naturelle est à la phrase longue. Or, dans ce livre, presque pas de phrases. Des bribes seulement … et puis je me suis laissée emporter et comme fasciner par le rythme haletant et haché de Béatrice Rilos :

beatrice_rilos.jpg

Selon toi ai-je l’air normale. J’exhibe mes dessins mes objets personne ne bronche. Terrorisée. Il faudrait t’enfermer. J’exhibe mes tripes ils ne me le reprochent pas. Au contraire ils t’ont félicitée. Ils ne me comprennent pas ils veulent que j’aille plus loin. Ils ne te comprennent pas… Si tu vas plus loin. Les tissus ne retiendront pas mes viscères pourrissants ils s’abattront fumants sur le sol. Tu parles d’un spectacle. J’existe péniblement. Cela me dévore l’intérieur. Petit à petit. D’une euphorie paroxystique à la mélancolique sidération du néant. En moins d’une heure. Instable. Tu crains de risquer ta peau. De vivre. J’apprécierais autant que possible de ne pas avoir à choisir. Rester là. Seule. Sans espoir sans obligation d’avancer. Perpétuellement. Un véritable monstre. Indigne de l’air pénétrant dans tes poumons. Je vous l’offre. Faites-en ce que bon vous chante. Toutefois prenez-en grand soin. Moi je n’en peux plus. Tu en es incapable. Continuer à s’alimenter. Je ne désire pas vivre. Lâche. Je n’ai ni l’énergie ni le courage de parvenir à un quelconque terme. Répéter cette phrase ce geste. Sans cesse. À l’identique. Aucune variation. Je m’éparpille me dissous. Dans ce reflet. Est-ce moi. Forcément puisque ça t’imite. Je l’examine. Ignorant sa véritable nature. T’interrogeant sur l’éventuelle présence de sa chair de son sang. Ce n’est peut-être pas moi.

Béatrice Rilos, Enfin. On fera silence (Seuil, Déplacements, 2007, p. 31-32)

Comment étais-je comme petite fille. Ai-je toujours eu l’œil inquiet triste de ceux qui subissent pourtant ne discernent pas d’où leur vient cette mélancolie. Ceux de mon bord de mon clan le savent également. Que l’agitation de leur tête folle échevelée ne les mènera nulle part. Que les grands cris les grands rires ceux qui déboîtent les mâchoires dévissent les troncs les colonnes vertébrales ne signifient ne changent rien. Aucune révolution. Aucune mutation. Aucune solution. Problèmes. Problèmes. Ceux marchant dans la nuit prenant invariablement le chemin le plus long le savent également. Qu’ils n’auront rien de beau de brillant de concluant à exposer au vu au su des autres. Là. Aucune bénédiction. Ni salut ni Ave Maria réchauffant le corps illuminant l’esprit. Qu’ils seront seuls. Ensemble. La souffrance leur servira de coiffe ternira leur cristallin d’un brouillard opaque. Qu’ils effrayeront les enfants de cette exhalaison putride s’échappant de leur bouche. Décomposition. Qu’il n’y a ni merveille ni répit. Leurs os s’entrechoquent. Leurs souvenirs se confondent se diluent par les pluies. Qu’il n’est point de soleil sur ces terres-là. Uniquement un faible rayon perdu prenant ses jambes à son cou lorsqu’il a saisi dans quel merdier il était tombé. Les êtres ces êtres me ressemblent.

Béatrice Rilos, Enfin. On fera silence (Seuil, Déplacements, 2007, p. 59-60)

une forme supérieure de tact

Posted on | mai 31, 2007 | Commentaires fermés

Plutôt que de citer, comme il me le suggère, la « scène de pornographie boursière avec Ruby », j’ai envie de citer Guy Tournaye citant autrui dans Le décodeur, son précédent roman – en espérant qu’il m’aidera à situer, dans la longue bibliographie de la fin de son livre, les auteurs remixés dans le passage ci-dessous : Ménard ? Schuhl ? Sollers ? Bourriaud ? d’autres ?

tournaye_decodeur.jpg

La citation était chez lui une seconde nature. Il la pratiquait de façon systématique, non pour donner de l’autorité à ses propos, encore moins pour faire étalage de son érudition – « Mon ignorance est encyclopédique », ironisait-il – mais au contraire pour s’effacer et se dissoudre dans la voix des autres. Il n’y avait là aucune coquetterie de sa part. Juste une forme supérieure de tact : « Le monde est plein au point qu’on y suffoque. L’homme a mis sa marque sur chaque pierre. Chaque mot, chaque image est louée, hypothéquée. À quoi bon en rajouter une couche ? » Expert dans l’art du montage, Charles était avant tout un ébéniste hors pair. Avec lui, la citation savait se faire marqueterie, hologramme, anamorphose. Rien à voir avec la prose en kit, 100% contreplaquée, distillée par les DJs en vogue…

« Voyez-vous, disait-il – mais sans doute ses propos n’étaient-ils pas de lui -, il est temps d’inventer un nouveau langage. Les mots que nous employons ne correspondent plus au monde. Lorsque les choses avaient encore leur intégrité, nous ne doutions pas que nos mots puissent les exprimer. Mais, petit à petit, ces choses se sont cassées, fragmentées, elles ont sombré dans le chaos. Et malgré cela nos mots sont restés les mêmes. Ils ne sont pas adaptés à la nouvelle réalité. Par conséquent, chaque fois que nous essayons de parler de ce que nous voyons, nous parlons à faux, nous déformons cela même que nous voulons représenter. Ce qui fait un gâchis terrible. C’est pourquoi seule me plaît maintenant une écriture anonyme, fragmentée. Ni centre, ni centres, ni histoire, ni personnages, ni sens vectoriel, flux impersonnel, multitudes d’éclats, évidé, criblé, atone, suspendu, miroir prismatique ne se fermant sur rien – pas d’univers de l’auteur -, multiplicité de traces aussitôt recouvertes : comment produire un tel langage, un langage qui ne sorte pas de la tête de quelqu’un (ni de sa plume) mais qui soit immanent, qui sourde du sol à la façon d’une momie exhumée ? »

Guy Tournaye, Le décodeur (Gallimard, 2005, p. 79-80)

un gage de docilité

Posted on | mai 30, 2007 | Commentaires fermés

Sur les aberrations actuelles de la divinité « travail », Guy Tournaye publie Radiation, un livre drôle et atypique, entre le roman et l’essai, à l’image de sa 4ème de couv’ : « Radiation. Docu-fiction. Fr. 2007. Réal.: Franck Valberg. 16/9. Stéréo. Musique : Bryan Ferry & Roxy Music. Portrait d’un réfractaire au service du travail obligatoire, qui décide à trente-cinq ans de vivre du RMI et de ses SICAV. Notre avis : des idées peuvent heurter. »

tournaye_radiation.jpg

C’est un fait, les élites sont fatiguées. Elles n’ont plus le cœur à rire. Elles n’ont même plus le cœur à l’ouvrage. Au fond, tous ces brillants cadres supérieurs ne rêvent que d’une chose : débrancher, prendre le large, fuir ce système qu’ils ne peuvent littéralement plus encadrer. Il est loin le temps où, frais émoulus des grandes écoles, ils se faisaient fort de concilier vie professionnelle et aspirations personnelles. Vingt ans plus tard, après un parcours sans faute dans les secteurs les plus porteurs (médias, pub, mode, industrie culturelle), la désillusion est totale. (…)
Le capitalisme serait-il menacé par la « baisse tendancielle du taux de motivation » ? Rien n’est moins sûr. Le thème récurrent du malaise des cadres est en fait une aubaine pour le marché. Qui dit manque dit nouveaux besoins à satisfaire et donc nouvelles sources de profit potentielles. Qu’est-ce qu’un bon client, sinon un individu à fort pouvoir d’achat avec des problèmes, des failles, des états d’âme susceptibles d’être compensés de façon sonnante et trébuchante ? La frustration nourrit la consommation, qui elle-même soutient la croissance. Il suffit de voir la profusion d’articles, d’essais, de romans dénonçant les turpitudes de la vie en entreprise et les ravages de la mondialisation pour mesurer à quel point le filon est devenu juteux. Les professeurs de désespoir font salle comble, les marchands d’antidépresseurs en tout genre prospèrent et l’industrie de la consolation ne s’est jamais aussi bien portée. Même la misère affective des cadres en mal de rencontres ouvre de nouveaux horizons au business, comme l’illustre le succès en Bourse du titre Meetic. (…)
On aurait tort de voir là un simple phénomène de récupération. Tous les discours anti- ne font en définitive que renforcer ce qu’ils prétendent dénoncer. Peu importe au fond d’être pour ou contre le système. L’essentiel est d’être convaincu de sa toute-puissance. De ce point de vue, les contempteurs les plus radicaux de l’idéologie néolibérale remplissent parfaitement leur office, en reprenant à leur compte la vision totalitaire défendue par leurs adversaires celle d’un empire dominé par quelques maîtres du monde, intégralement soumis à la logique marchande, et ne laissant plus aucune marge de manœuvre à ses vassaux. Dans cette optique, il n’y a pas d’échappatoire possible et toute tentative de se situer en dehors du jeu apparaît vouée à l’échec. Les discours misérabilistes et compatissants sur l’exclusion contribuent du reste à entretenir ce sentiment d’impasse. Entre la peur de se retrouver sur la touche et l’aspiration à un « autre monde possible », la schizophrénie s’impose comme le nouveau mode de régulation du système – de la même façon que la paranoïa a pu être érigée par certains patrons en règle de management. D’un côté on exalte les lendemains qui chantent, de l’autre on continue au quotidien à faire tourner la machine, de manière certes désabusée mais parfaitement fonctionnelle, conformément aux schémas dictés par les contrôleurs de gestion. L’utopie ne contient plus en germe la révolte, elle est devenue un outil de domestication parmi d’autres, une valeur refuge qui console à bon compte, une soupape qui permet d’aller toujours plus loin dans la mise sous pression. Merveilleuse thermodynamique ! La baisse tendancielle du taux de motivation n’est donc pas en soi une menace. Elle est au contraire un gage de docilité – la contrepartie nécessaire à la taylorisation du travail des cadres.

Guy Tournaye, Radiation (Gallimard, 2007, p. 54-57)

Guy Tournaye est né à Tours en 1965.
Il a publié un autre roman : Le Décodeur (Gallimard, 2005), entièrement constitué de citations.

Pour compléter, on peut lire sur le site Actu>Chomage un article et un entretien.
Un blog à billet unique est également en ligne.

la meilleure des polices

Posted on | mai 29, 2007 | Commentaires fermés

champ_magnetique_soleil2.jpg

Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité ; et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme une divinité suprême.

Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, 1881, § 173

lignes de forces du web

Posted on | mai 28, 2007 | Commentaires fermés

lignes_de_force.jpg

Comme la « désobéissance civile » de Thoreau, la « TAZ » (Temporary Autonomous Zone) d’Hakim Bey (1991) est un texte dont beaucoup ont entendu parler mais sans l’avoir forcément lu.
Les éditions de L’éclat en proposent en ligne une traduction Lyber.

La TAZ est « utopique » dans le sens où elle croit en une intensification du quotidien ou, comme auraient dit les Surréalistes, une pénétration du Merveilleux dans la vie. Mais elle ne peut pas être utopique au vrai sens du mot, nulle part, ou en un lieu-sans-lieu. La TAZ est quelque part. Elle existe à l’intersection de nombreuses forces, comme quelque point de puissance païen à la jonction de mystérieuses lignes de forces, visibles pour l’adepte dans des fragments apparemment disjoints de terrain, de paysage, des flux d’air et d’eau, des animaux. Aujourd’hui les lignes ne sont pas toutes gravées dans le temps et l’espace. Certaines n’existent qu’à « l’intérieur » du Web, bien qu’elles croisent aussi des lieux et des temps réels. Certaines sont peut-être « non ordinaires », en ce sens qu’il n’existe aucune convention permettant de les quantifier. Il serait sans doute plus aisé de les étudier à la lumière de la science du chaos qu’à celle de la sociologie, des statistiques, de l’économie etc. Les modèles de forces qui génèrent la TAZ ont quelque chose de commun avec ces « attracteurs étranges » du chaos, qui existent, pour ainsi dire, entre les dimensions.

Hakim Bey, TAZ. Zone Autonome Temporaire (1991, traduction 1997)

pas né pour qu’on me force

Posted on | mai 27, 2007 | Commentaires fermés

thoreau.jpg

De grand coeur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. (…)

Ainsi l’État n’affronte jamais délibérément le sens intellectuel et moral d’un homme, mais uniquement son être physique, ses sens. Il ne dispose contre nous ni d’un esprit ni d’une dignité supérieurs, mais de la seule supériorité physique. Je ne suis pas né pour qu’on me force. Je veux respirer à ma guise. Voyons qui l’emportera. Quelle force dans la multitude ? Seuls peuvent me forcer ceux qui obéissent à une loi supérieure à la mienne. Ceux-là me forcent à leur ressembler. Je n’ai pas entendu dire que des hommes aient été forcés de vivre comme ceci ou comme cela par des masses humaines – que signifierait ce genre de vie ? Lorsque je rencontre un gouvernement qui me dit : « La bourse ou la vie », pourquoi me hâterais-je de lui donner ma bourse ? Il est peut-être dans une passe difficile, aux abois ; qu’y puis-je ? Il n’a qu’à s’aider lui-même, comme moi. Pas la peine de pleurnicher. Je ne suis pas responsable du bon fonctionnement de la machine sociale. Je ne suis pas le fils de l’ingénieur. Je m’aperçois que si un gland et une châtaigne tombent côte à côte, l’un ne reste pas inerte pour céder la place à l’autre ; tous deux obéissent à leurs propres lois, germent, croissent et prospèrent de leur mieux, jusqu’au jour où l’un, peut-être, étendra son ombre sur l’autre et l’étouffera. Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépérit ; un homme de même.

Henri David Thoreau, La désobéissance civile (1849)

Dans la Revue des ressources encore, on peut lire dans son intégralité ce texte, la première partie ici, la deuxième partie là. On y trouve également de beaux extraits de son Journal.

L’esprit commercial des temps modernes… est la réédition par les éditions Le Grand Souffle d’un très court texte écrit en 1837 par David Henry Thoreau. On peut déjà y lire :

L’ordre des choses devrait plutôt être inversé – le dimanche devrait être le jour du labeur de l’homme, pour ainsi gagner sa vie à la sueur de son front ; et les six autres jours consisteraient en le repos des sentiments et de l’âme, – pour parcourir ce jardin ouvert, et boire aux doux effluves et aux sublimes révélations de la nature. (p. 30)

tricher la langue

Posted on | mai 26, 2007 | Commentaires fermés

structuralisme2.jpg

Mais la langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.
Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent : l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition. D’une part la langue est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers ; ce que les linguistes appellent la modalité n’est jamais que le supplément de la langue, ou ce par quoi, telle une supplique, j’essaye de fléchir son pouvoir implacable de constatation. D’autre part, les signes dont la langue est faite, les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus, c’est à dire pour autant qu’ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu’en ramassant ce qui traîne dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète.
Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Si l’on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c’est un huis clos. On ne peut en sortir qu’au prix de l’impossible : par la singularité mystique, telle que la décrit Kierkegaard, lorsqu’il définit le sacrifice d’Abraham, comme un acte inouï, vide de toute parole, même intérieure, dressé contre la généralité, la grégarité, la moralité du langage ; ou encore par l’amen nietzschéen, ce qui est comme une secousse jubilatoire donnée à la servilité de la langue, à ce que Deleuze appelle son manteau réactif. Mais à nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part : littérature.

Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978 (Œuvres complètes, Seuil, 2005, V, p. 432-433)

La Revue des ressources a eu la bonne idée de mettre en ligne une version audio de la totalité de cette « Leçon inaugurale » de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, prononcée le 7 janvier 1977.

Un autre extrait dans lignes de fuite 1.

on a perdu l'égarement

Posted on | mai 25, 2007 | Commentaires fermés

Charles Pennequin dit : c’est vivant. Et de plus en plus. Et c’est de plus en plus la merde. Plus ça vit et plus c’est la merde. Que faire ? Continuer. Faire avec, avec la vie et avec les emmerdements. Plus on sera emmerdé et plus on sera vivant (c’est un cercle vicieux). Charles Pennequin vit. C’est vicieux. Il est comme encerclé, comme entouré, comme encadré, comme encaissé, comme contre un mur. Oui, il est là planté, il est à rester planté durant des heures en attendant qu’on vienne éteindre. Après il fera tout noir dans la vie de Charles Pennequin. Après, quand on aura éteint les loupiotes dans la vie de Charles Pennequin, on verra plus rien. Mais pour le moment ça reste allumé. Tant qu’y a de la lumière je campe là, dit Charles Pennequin. Charles Pennequin campe toujours un rôle de vivant jusqu’au prochain numéro (à suivre.)

pennequin2.jpg

La place de Charles Pennequin est vacante. Ce n’est pas une raison pour vouloir l’occuper.

Charles Pennequin, La ville est un trou ; suivi de Un jour (POL, 2007, p. 81)

Le penseur est solitaire. Sa pensée se fera toujours dans la solitude, avec un interlocuteur sans visage. Il développe sa pensée et au bout d’un moment, il arrive à un certain stade. Un certain degré. Il peut évaluer ce degré, le noter. Seulement sa pensée dans sa totalité se perd, car on a perdu l’égarement. On a perdu l’égarement de la pensée.

Charles Pennequin, La ville est un trou ; suivi de Un jour (POL, 2007, p. 108)

la pensée c'est la peur

Posted on | mai 24, 2007 | Commentaires fermés

Je travail dans l’ingérable. Je suis pas gérable. Je suis travaillé. On me gère. Qu’est-ce qu’on fait déjà avec soi-même. Qu’est-ce qu’on en a à faire de soi dans la voix. Et soi le corps. Qu’est-ce qu’on en a à faire de soi le corps et de soi la voix. Soi dans le bain du social, soi qu’on retrempe à sa sauce, c’est la sauce à soi-même. Soi confronté de quoi. De quoi est-on confronté. Quel lieu nous confronte. Quel autre vient en confrontation. La confrontation est déjà en soi-même. La chose confrontée, c’est déjà d’être à l’autre et au lieu, alors qu’on voudrait disparaître. On passe son temps à être porté disparu. Le travail, c’est l’histoire du porté disparu qui réapparaît dans le lieu grâce à l’écrit. L’autre et le lieu ne réapparaîtront pas sinon. Sinon ce n’est que vide. Je n’ai toujours été que dans le vide ignorant du monde.

pennequin.gif

Vide de soi dans ce lieu vide, vide de l’autre qui est venu me vider. Il faudrait alors avoir son vide autre. Il faudrait alors se vider autrement de soi-même. Soi-même lieu du vide, mais d’un vrai vide cette fois. Vider les lieux de notre fausse présence, et quitter l’autre. L’autre entravé de soi, l’autre grossement travaillé d’entravements. Entravé car ne voyant pas la vie, la vraie vie qu’il pourrait réclamer. L’autre enchaîné depuis la naissance. Il n’y a pas de vraie relation, car il n’y a pas de vrai autre. Il n’y a pas un autre en face. Il y a soi. Soi qu’on entrave à tout va, soi l’entravé de tout un tas de tics humains. Tics de parole, tics de perception, tics de regard, tics d’être. Soi bourré de tics, de tous les tics de tous les soi appelés les autres. Sinon il faut accepter à l’autre sa possibilité de retrait face au lieu, sa façon bien à lui de s’en soustraire, pour mieux apparaître, et dans le lieu et pour lui-même.

Soi note, il note pour oublier, pour effacer les traces avec de nouvelles notes. L’autre l’entrave, lui reste en travers. Tous les rapports le travaillent, c’est-à-dire qu’il ne digère pas le refus à un moment donné de l’autre. Le refus très profond, le refus de quelque ordre que ce soit, et qui arrivera tôt ou tard. Car ce refus c’est lui-même qui le porte. Soi n’a jamais si bien porté le refus de l’autre en lui. Il le connaît intimement.

Tous les livres sont des testaments inscrits sur le dos de l’auteur.

La pensée c’est la peur. C’est parce qu’on a peur de crever qu’on pense. La conscience fait penser. Penser provient donc de la douleur. Douleur à vivre, douleur à être. Douleur à devoir exister en séparé du monde et de soi qu’on voudrait sentir un peu mieux. Comment sentir mieux soi ? on sent mieux soi quand on sait que c’est la fin. On dit alors : ça sent le sapin son histoire.

C’est l’histoire de soi qui a toujours senti le sapin.

Charles Pennequin, La ville est un trou ; suivi de Un jour (POL, 2007, p. 103-104)

voir aussi :
- le blog, l’autre blog et l’espace myspace de Charles Pennequin, né en 1965 à Cambrai
- trois autres beaux extraits dans Tiers livre

danser me permet de ne pas dire que j'écris

Posted on | mai 22, 2007 | Commentaires fermés

Ce livre au titre mystérieux (et qui le reste), et dont la 4ème de couv’ précise qu’il « est un livre sur beaucoup de choses. Des couples de choses. », est une machine poétique et jubilatoire qui convoque et imbrique des motifs totalement hétéroclites, par exemple :

elbaz_mouvement_en_montagne.jpg

Si l’on tape le titre de mon premier livre on découvre que « les internautes qui ont acheté cet article ont également acheté Triptyque de Claude Simon, La Route des Flandres de Claude Simon, et Le fantôme de Éric Chevillard ». Il y a chez le chien une immobilité au cour même du plus grand mouvement qui n’est rien d’autre que l’attente que quelqu’un soit là. Il est littéraire comme tout, et pictural, mais je ne le trouve pas cinématographique. Danser me permet de ne pas dire que j’écris quand on me demande ce que je fais. (p. 9-10)

Pourquoi l’anglais choisit-il always, tous les chemins, pour dire toujours. Je ne sais pas ce qui vient de mourir. Je sais que c’est mort. Une inquiétude typique des sous-bois, l’horaire. L’arrivée de la nuit ne devriant pas empêcher la prise d’une décision. Oui, ne devriant. Mais il semble que quelqu’un meurt dans la partie hachurée. Comme le lapin, always est une vitesse locale. L’escargot que j’avais trouvé en parlant émettait un cliquetis tandis que je le tapais en argumentant sur mon genou. Une microscopique hélice, vide elle aussi, prise dans la terre coincée dans le colimaçon, était apparue pendant la lutte. Je ne pouvais pas tout expliquer. Je regardais l’automne avancer, il allait bientôt faire nuit noire. Il fallait penser à rebrousser. Il fallait rebrousser. Il s’est mis à le faire (nuit noire). Nous rentrions. (p. 83)

Judith Elbaz, Le Mouvement en montagne (POL, 2007)

Judith Elbaz est née à Montréal en 1971.
Elle vit à Paris, où elle danse et enseigne le tango argentin. Elle réalise également des travaux vidéo et chorégraphiques.
Elle avait publié un premier roman : Colourful (POL, 2003), auquel on espère que le lapidaire décompte de la page 76 : « Ventes 409. Autres (gratuits, pilon, soldes) 420. » ne s’applique pas !
On peut aussi la lire en ligne dans la revue Écriture.

« go backkeep looking »
  • twitter

  • admin