qui-je-fus me parlent
Posted on | décembre 23, 2006 | Commentaires fermés
Je suis habité ; je parle à qui-je-fus et qui-je-fus me parlent. Parfois, j’éprouve une gêne comme si j’étais étranger. Ils font à présent toute une société et il vient de m’arriver que je ne m’entends plus moi-même.
Henri Michaux, Qui je fus, Gallimard, Poésie, p. 173
disposition à ne rien faire
Posted on | décembre 22, 2006 | Commentaires fermés
Chaque fois que je reçois dans ma boîte mail le feuilleton offert actuellement par les éditions POL (après Winckler, Camille Laurens, Jacques Jouet, etc.) j’ai envie d’en parler, tant les dessins de François Matton sont poétiques, énigmatiques et émouvants. De plus, dans sa notice biographique (POL), on lit :
Vivant de peu, se contentant d’un rien, son existence frappe par son absence totale de faits remarquables : aucun voyage à l’étranger, aucune aventure amoureuse, aucune rencontre fondatrice, aucune ambition sociale, nulle tentative de sortir de l’ordinaire. (…)
Mis à part de fréquentes promenades non loin de chez lui, son principal plaisir consiste à rester seul dans son appartement à ne rien faire. Il a d’ailleurs pour cela une disposition qui, pour le coup, semble exceptionnelle. C’est un peu comme si ne rien faire coïncidait chez lui avec le plus grand sentiment d’être.
Être quoi ? Essentiellement rien – et c’est de cela qu’il tire sa joie. (…)
(« Même pas vrai ! »)
En outre il a publié jadis un recueil intitulé Lignes de fuite (Dumerchez, 1999) !
On peut consulter aussi en ligne son site et surtout son intéressant blog à dessin.
et in arcadia ego
Posted on | décembre 20, 2006 | Commentaires fermés
( (…) quelque chose pour être écrit — ou décrit — en latin, à l’aide de ces mots latins, non pas crus, impudiques, mais, semble-t-il, spécialement conçus et forgés pour le bronze, les pierres maçonnées des arcs de triomphe, des aqueducs, des monuments, les rangées de mots elles-mêmes comme maçonnées, elles-mêmes semblables à d’indestructibles murailles destinées à durer plus longtemps que le temps même, avec la compacte succession de leurs lettres taillées en forme de coins, de cubes, de poutres, serrées, ajustées sans ponctuation, majuscule, ni le moindre interstice, à la façon de ces murs construits sans mortier, les mots se commandant les uns les autres, ajustés aussi par cette syntaxe impérieuse inventée sans doute en prévision des mutilations futures et à seule fin de pouvoir être reconstitués mille ou deux mille ans plus tard, après avoir été dispersés, oubliés, enterrés, recouverts de ronces, submergés et redécouverts, épelés par la main des bergers qui suit du doigt sur le marbre du fronton dans l’herbe folle de la verte Arcadie, récités, ânonnés par les futures générations de cancres aux doigts tachés d’encre, cherchant, le feu aux joues (dans les dictionnaires tachés d’encre, aux pages cornées, à la reliure démantibulée, rafistolés, rapiécés, recouverts de papier d’emballage bleu ou beige et où des générations successives de grands frères ont déjà cherché avant eux — sorte de Bibles de la connaissance, transmises de mains en mains, et sur la page de garde desquelles les noms successifs des possesseurs s’alignent, s’étagent, maladroitement calligraphiés en des encres jaunies), cherchant les vieux, les indestructibles mots latins (matrone, mentule, menstrues), les lèvres tachées de violet mordillant le porte-plume rongé comme si, avec l’encre qui les souille, elles suçaient sans comprendre le lait, le principe, non pas même d’une civilisation, de la poussiéreuse culture aux inutiles et poussiéreux bouquins, mais de la vie même),
Claude Simon, L’Herbe (Minuit, 1958, p. 129-131)
je m'en vais escornifflant
Posted on | décembre 18, 2006 | Commentaires fermés
Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire, et laissons l’entendement et la conscience vuide. Tout ainsi que les oyseaux vont quelquefois à la queste du grain, et le portent au bec sans le taster, pour en faire bechée à leurs petits : ainsi nos pedantes vont pillotans la science dans les livres, et ne la logent qu’au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement, et mettre au vent.
C’est merveille combien proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est-ce pas faire de mesme, ce que je fay en la plus part de cette composition ? Je m’en vay escornifflant par-cy par-là, des livres, les sentences qui me plaisent ; non pour les garder (car je n’ay point de gardoire) mais pour les transporter en cettuy-cy ; où, à vray dire, elles ne sont non plus miennes, qu’en leur premiere place. Nous ne sommes, ce croy-je, sçavants, que de la science présente : non de la passée, aussi peu que de la future.
Michel de Montaigne (Essais, Livre I, 24. « Du pédantisme »)
La Page de Trismegiste offre une version en ligne des Essais, d’après l’édition de 1595.
je n'aime pas la campagne
Posted on | décembre 17, 2006 | Commentaires fermés
Juste pour l’aphorisme-titre de ce recueil de Jean-Michel Ribes calligraphiés par Stéphane Trapier (Xavier Barral, 2006) !
depuis maintenant
Posted on | décembre 15, 2006 | Commentaires fermés
Inventaire/Invention, l’irremplaçable « pôle (multimedia) de création littéraire » fondé en octobre 1999 par Patrick Cahuzac, a refondu sa présentation et sa maquette, mais offre un contenu de plus en plus riche à lire, à voir, à écouter.
Les petits livres d’Inventaire/Invention sont disponibles en ligne et pourtant très souvent leur qualité donne envie de les acheter (pour ne prendre qu’un exemple, ce texte un peu ancien mais que j’aime beaucoup de Tanguy Viel, Maladie).
Dans la revue, en ce moment, un bel article de Pascal Gibourg, « Souffle un vent imbécile », sur Stupidity d’Avital Ronell, et un intéressant entretien de Florine Leplâtre avec Éric Chevillard.
Enfin de Leslie Kaplan (à qui j’emprunte le titre de ce post, qui est le titre générique de plusieurs de ses romans, publiés chez POL) on peut lire là « L’enfert est vert », « Les mots, qu’est-ce que c’est ? », « Consommation » et une page autour de sa résidence aux Lilas.
les coulisses du désordre
Posted on | décembre 13, 2006 | Commentaires fermés
Philippe De Jonckheere entrouvre une fenêtre sur les coulisses soigneusement (ré)organisées de son Désordre, dont il a tenu à « augmenter la dimension labyrinthique (…) compliquer les choses, brouiller les repères » ; il nous dévoile même une bribe du code css.
énigmatiques
Posted on | décembre 12, 2006 | Commentaires fermés
Le dernier roman publié par les éditions Comp’Act que j’ai lu est Chants de Mars : ce premier roman de Marc Ory n’est pas totalement réussi mais il est très intéressant car énigmatique, à la fois drôle et métaphysique ; commençant dans un panier à salade sur la corniche de Marseille comme un roman de Philippe Carrese, il se termine dans le royaume himalayen du Mustang dans des accents à la Volodine, autour d’un personnage à la Dantec :
La peau de chagrin rugueuse de la carte globale se déchirait lentement sur le grand territoire. Omar lisait le monde vivant comme une partition d’ADN, les êtres directement via leurs codes karmiques. Il lisait la lumière et les années lumières, dans les pensées la danse des neurones, le tintement des synapses. Il entendait le langage machine de la vie. (p. 118-119)
Il y a beaucoup d’autres écritures énigmatiques à découvrir chez Comp’Act : celle, par exemple de Céline Minard (R., Comp’Act, 2004) ou celle de Véronique Vassilliou dans la trilogie N.O., le détournement (Comp’Act, 2003), Le Coefficient d’échec (Comp’Act, 2006) et Le + et le – de la gravité (Comp’Act, 2006).
une chambre pleine de livres
Posted on | décembre 11, 2006 | Commentaires fermés
Pour devenir écrivain, il faut avoir, avant la patience et le goût des privations, un instinct de fuir la foule, la société, la vie ordinaire, les choses quotidiennes partagées par tout le monde, et de s’enfermer dans une chambre. Nous, écrivains, avons besoin de la patience et de l’espérance pour rechercher les fondements, en nous-mêmes, du monde que nous créons, mais le besoin de nous enfermer dans une chambre, une chambre pleine de livres, est la première chose qui nous motive. Celui qui marque le début de la littérature moderne, le premier grand exemple d’écrivain libre et de lecteur affranchi des contraintes et des préjugés, qui a le premier discuté les mots des autres sans rien écouter que sa propre conscience, qui a fondé son monde sur son dialogue avec les autres livres, est évidemment Montaigne. Montaigne est un des écrivains à la lecture desquels mon père revenait sans cesse et m’incitait toujours. Je veux me considérer comme appartenant à cette tradition d’écrivains qui, que ce soit en Orient ou en Occident, se démarquent de la société, quelle qu’elle soit, où ils vivent, pour s’enfermer dans une chambre pleine de livres. Pour moi , l’homme dans sa bibliothèque est le lieu où se fonde la vraie littérature.
Extrait de « La valise de mon papa » (7 décembre 2006), belle Conférence de Prix Nobel d’Orhan Pamuk, traduite en français par Gilles Authier.
incertitude sur tout
Posted on | décembre 10, 2006 | Commentaires fermés
Dans son journal intime, Benjamin Constant, utilisait un code chiffré pour éviter de devoir se répéter, ce qui donne des résultats est assez surprenants, par exemple :
« Juin 1805
Le 15 : Lettres de Mme de Staël. 7. 8. 12. 13 sur tout cela, excepté sur 2. Je penche pour 7. Ecrit à Meylan. 13. 13. 8. 8. 4 pas très bien, à cause de 2.
Le 22 : 4 tant bien que mal, à bâtons rompus. Quelle perte de temps. 2. 2. 2. 12. Lettre de mon père. Dîné chez Mme Récamier. 2. 2. 12-13. 12.
Le 30 : Écrit à Mme de Staël, à Mme Dutertre. 12. 12. 2. Lettre Mme de Staël. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. 13 sûr mais 2 bien décidement. »
légende :
2 = désir de rompre mon éternel lien dont il est si souvent question.
4 = travail.
7 = projets de voyage.
8 = projets de mariage.
12 = amour pour Mme Dutertre.
13 = incertitude sur tout.
J’apprécie particulièrement ce dernier item ! il pourrait en outre être importé sans problème dans un blog non intime comme le mien … je vais y songer.