le richard virenque du blog
Posted on | novembre 29, 2006 | Commentaires fermés
Son premier post (l’unique, pour l’heure) commence ainsi :
« À la demande générale, soit quatre personnes, je continue à vous communiquer mes pensées passionnantes, par l’intermédiaire de ce blog. La chronique « un mois » avec David Foenkinos se transforme en « une vie » avec David Foenkinos. Il vous faudra du souffle, et de l’aisance dans la souris, pour pouvoir assurer le rythme que je vais vous imposer. Mon but : être le Richard Virenque du blog. Tiens, à propos (art négligé de la digression en continuité), je l’ai rencontré l’année dernière au salon du livre où il dédicaçait son livre publié aux Editions Privat. J’avais le choix entre lui et Kundera, mais une rencontre avec Virenque, ça ne se refuse pas. Son livre repose dans ma bibliothèque tout contre Vialatte et Vian. (…) »
Joignant ma voix aux quatre personnes sus-dites, je souhaite longue vie (sans abus de substances illicites!) au blog de ce romancier souvent drôle et parfois profond, dont l’écriture jubilatoire s’entend à « inverser l’idiotie », pour rendre universel le (très) singulier.
David Foenkinos est né le 28 octobre 1974 à Paris. Il a publié cinq romans :
- Inversion de l’idiotie. De l’influence de deux polonais (Gallimard, 2002)
- Entre les oreilles (Gallimard, 2002)
- Le Potentiel érotique de ma femme (Gallimard, 2004) Prix Roger-Nimier
- En cas de bonheur (Flammarion, 2005)
- Les coeurs autonomes (Grasset, 2006)
Il a également écrit pour le cinéma, le théâtre et la bande dessinée (trilogie Pourquoi tant d’amour avec Benjamin Reiss, EP Editions 21)
On peut lire en ligne :
- sa notice Wikipedia
- sa notice Grasset
- un amusant entretien (@ la lettre)
Ce qui est dommage, c’est que son arrivée semble rendre son voisin de blog dans Livres hebdo, Christian Sauvage, tout mélancolique face à l’immensité de la blogosphère …
des poissons rouges dans un bocal
Posted on | novembre 28, 2006 | Commentaires fermés
L’élégance du hérisson (Gallimard, 2006) de Muriel Barbery est un beau livre, drôle, émouvant, acide parfois, écrit dans une langue très inventive qui mérite son Prix Georges Brassens. Dans le microcosme de la cage d’escalier d’un immeuble de la rue de Grenelle, les voix alternées de deux narratrices (la concierge qui cultive une apparence revêche et inculte alors qu’elle est très érudite et passionnée de lecture et de cinéma et une adolescente surdouée bien décidée à se suicider le jour de ses 13 ans) brossent une satire sociale toute en nuances ; toutes deux sont solitaires et totalement opaques pour leur entourage :
Elle a l’élégance du hérison : à l’extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j’ai l’intuition qu’à l’intérieur, elle est aussi simplement raffinée que les hérissons, qui sont des petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes. (p. 153)
Muriel Barbery est née le 28 mai 1969.
Elle a publié en 2000 un premier roman : Une gourmandise (Gallimard) (qui vient d’être repris en Folio)
On peut consulter, pour voir quelques unes des images évoquées dans le roman, son blog qui n’en est pas vraiment un… et en profiter pour jeter un oeil au site intéressant de Stéphane Barbery, son mari.
Deux citations plus longues (les deux passages des chapitres 1 et 3 où l’on fait la connaissance des deux narratrices) pour se faire une idée :
Qui sème le désir
— Marx change totalement ma vision du monde, m’a déclaré ce matin le petit Pallières qui ne m’adresse d’ordinaire jamais la parole. Antoine Pallières, héritier prospère d’une vieille dynastie industrielle, est le fils d’un de mes huit employeurs. Dernière éructation de la grande bourgeoisie d’affaires — laquelle ne se reproduit que par hoquets propres et sans vices —, il rayonnait pourtant de sa découverte et me la narrait par réflexe, sans même songer que je puisse y entendre quelque chose. Que peuvent comprendre les masses laborieuses à l’œuvre de Marx ? La lecture en est ardue, la langue soutenue, la prose subtile, la thèse complexe.
Et c’est alors que je manque de me trahir stupidement.
— Devriez lire l’Idéologie allemande, je lui dis, à ce crétin en duffle-coat vert sapin.
Pour comprendre Marx et comprendre pourquoi il a tort, il faut lire l’Idéologie allemande. C’est le socle anthropologique à partir duquel se bâtiront toutes les exhortations à un monde nouveau et sur lequel est vissée une certitude maîtresse : les hommes, qui se perdent de désirer, feraient bien de s’en tenir à leurs besoins. Dans un monde où l‘hubris du désir sera muselée pourra naître une organisation sociale neuve, lavée des luttes, des oppressions et des hiérarchies délétères.
— Qui sème le désir récolte l’oppression, suis-je tout près de murmurer comme si seul mon chat m’écoutait.
Mais Antoine Pallières, dont la répugnante et embryonnaire moustache n’emporte avec elle rien de félin, me regarde, incertain de mes paroles étranges. Comme toujours, je suis sauvée par l’incapacité qu’ont les êtres à croire à ce qui fait exploser les cadres de leurs petites habitudes mentales. Une concierge ne lit pas l’Idéologie allemande et serait conséquemment bien incapable de citer la onzième thèse sur Feuerbach. De surcroît, une concierge qui lit Marx lorgne forcément vers la subversion, vendue à un diable qui s’appelle CGT. Qu’elle puisse le lire pour l’élévation de l’esprit est une incongruité qu’aucun bourgeois ne forme.
— Direz bien le bonjour à votre maman, je marmonne en lui fermant la porte au nez et en espérant que la dysphonie des deux phrases sera recouverte par la force de préjugés millénaires. (p. 13-14)
Pensée profonde n° 1
Poursuivre les étoiles
Dans le bocal à poissons
Rouges finir
Apparemment, de temps en temps, les adultes prennent le temps de s’asseoir et de contempler le désastre qu’est leur vie. Alors ils se lamentent sans comprendre et, comme des mouches qui se cognent toujours à la même vitre, ils s’agitent, ils souffrent, ils dépérissent, ils dépriment et ils s’interrogent sur l’engrenage qui les a conduits là où ils ne voulaient pas aller. Les plus intelligents en font même une religion : ah, la méprisable vacuité de l’existence bourgeoise ! Il y a des cyniques dans ce genre qui dînent à la table de papa « Que sont nos rêves de jeunesse devenus ? » demandent-ils d’un air désabusé et satisfait. « Ils se sont envolés et la vie est une chienne. » Je déteste cette fausse lucidité de la maturité. La vérité, c’est qu’ils sont comme les autres, des gamins qui ne comprennent pas ce qui leur est arrivé et qui jouent aux gros durs alors qu’ils ont envie de pleurer.
C’est pourtant simple à comprendre. Ce qui ne va pas, c’est que les enfants croient aux discours des adultes et que, devenus adultes, ils se vengent en trompant leurs propres enfants. « La vie a un sens que les grandes personnes détiennent » est le mensonge universel auquel tout le monde est obligé de croire. Quand, à l’âge adulte, on comprend que c’est faux, il est trop tard. Le mystère reste intact mais toute l’énergie disponible a depuis longtemps été gaspillée en activités stupides. Il ne reste plus qu’à s’anesthésier comme on peut en tentant de se masquer le fait qu’on ne trouve aucun sens à sa vie et on trompe ses propres enfants pour tenter de mieux se convaincre soi-même.
Parmi les personnes que ma famille fréquente, toutes ont suivi la même voie : une jeunesse à essayer de rentabiliser son intelligence, à presser comme un citron le filon des études et à s’assurer une position d’élite et puis toute une vie à se demander avec ahurissement pourquoi de tels espoirs ont débouché sur une existence aussi vaine. Les gens croient poursuivre les étoiles et ils finissent comme des poissons rouges dans un bocal. Je me demande s’il ne serait pas plus simple d’enseigner dès le départ aux enfants que la vie est absurde. Cela ôterait quelques bons moments à l’enfance mais ça ferait gagner un temps considérable à l’adulte – sans compter qu’on s’épargnerait au moins un traumatisme, celui du bocal. (p. 19-20)
une zone déjà notre
Posted on | novembre 26, 2006 | Commentaires fermés
Quand nous lisons, nous ne cherchons pas des idées neuves, mais des idées déjà pensées par nous, à qui la page imprimée donne le sceau d’une confirmation. Les paroles d’un autre qui nous frappent sont celles qui résonnent dans une zone déjà notre – que nous vivons déjà – et la faisant vibrer nous permettent de saisir de nouveaux points de départ au dedans de nous.
Pavese, Le métier de vivre, 3 décembre 1938
critique et contemporains
Posted on | novembre 24, 2006 | Commentaires fermés
Excellente initiative d’une équipe d’enseignants québécois, autour de René Audet, le site :
est une banque de données collaborative qui se propose d’ « identifier et de rassembler la documentation critique sur les œuvres des auteurs contemporains » ; il s’agit d’écrivains français et francophones contemporains (depuis 1980) et « par documentation critique, on entend ici non pas la réception immédiate des œuvres (dans les journaux, dans les périodiques culturels), mais plutôt les lectures critiques, les analyses publiées dans des revues savantes, des thèses, des monographies et des collectifs ». À noter dans vos tablettes …
une ligne va voir
Posted on | novembre 23, 2006 | Commentaires fermés
Une ligne rencontre une ligne. Une ligne évite une ligne. Aventures de lignes.
Une ligne pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne. Points. Poudre de points. Une ligne rêve. On n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne.
Une ligne attend. Une ligne espère. Une ligne repense un visage.
(…) Voici une ligne qui pense. Une autre accomplit une pensée. Lignes d’enjeu. Ligne de décision.
Une ligne s’élève. Une ligne va voir. Sinueuse, une ligne de mélodie traverse vingt lignes de stratification.
Henri Michaux (Passages, Gallimard, « L’Imaginaire », 1963, p.115-116)
(Michaux évoque les lignes de Paul Klee – dont le tableau reproduit ci-dessus s’intitule « Labyrinthe détruit » (1939) ! – pas les miennes, mais bon …)
blogospherus
Posted on | novembre 20, 2006 | Commentaires fermés
Bon, c’est raté, je ne ferai pas partie des premiers à l’avoir repérée, mais cette bouteille à la mer (née le 16 novembre dernier et découverte ce soir grâce à affordance.info) qui se demande si « la blogosphère est réelle », en appelle au « peuple des connecteurs » et se décrit comme le « premier test de viralité pure de la blogosphère francophone » m’intéresse :
relayons, donc … et attendons la suite.
une terrible colère
Posted on | novembre 19, 2006 | Commentaires fermés
J’aime que, comme moi, Avital Ronell affectionne les parenthèses (oisives, dit-elle dans celle-ci, sur le travail) et les tirets, et toutes sortes de ponctuation :
On dit que la télévision rend idiot : n’importe quel genre de répétition mécanique peut inoculer le virus de la bêtise. (Ce qui m’inquiète en tant que témoin de la vie sociale de mes contemporains, c’est de voir à quel point le travail rend les gens stupides et les prive de formes essentielles de non-production, comme le loisir, la méditation ou le jeu. Il est devenu éthiquement nécessaire de trouver un moyen d’affirmer rigoureusement la valeur du non-travail, voire de subventionner le repos, la paresse, la fainéantise, sans succomber aux dévaluations ou aux criminalisations si courantes dans la logique des autres « activités » – le far niente de Rousseau. Mais l’éthique, elle aussi, est un travail ; aussi laissez-moi simplement poser ce postulat dans l’espace oisif de cette parenthèse, et refuser l’excès éprouvant des affres du labeur, y compris le labeur de la négation. Il faut bien comprendre que la réduction de la figure humaine au travail fait de l’humain l’équivalent d’une bête de somme. Le travail, servile par nature et qui suppose la docilité, se trouve au cœur de l’expérience moderne de l’aliénation ; il est inhumain et antisocial. (…)) (Stupidity, p. 98-99)
et n’hésite pas à évoquer (ce qui en général ne se fait pas dans un essai philosophique) ses états d’âme et de corps :
Il est rare qu’un écrivain avoue l’humeur, l’état d’âme ou l’état d’esprit dans lesquels se produit l’acte d’écrire. Parfois, l’humeur, la Stimmung, le ton et le timbre restent ignorés de l’écrivain elle-même, ou celle-ci néglige un mal de tête et continue d’écrire, ou quelque chose encore le rend inquiet, qu’il essaie de supprimer à mesure qu’il poursuit sa tâche. Ou bien elle presse sa main contre sa poitrine, à l’intérieur, au cœur, pendant qu’il écrit et tente d’évacuer le sentiment qui l’envahit d’une perte du monde. Il est aussi des moments où écrire vous remplit d’euphorie et fait naître un univers, peuplant soudain votre désert d’une musique et de compagnons venant se substituer au monde perdu et silencieux. De quelles sortes de contingences ce climat intérieur peut-il dépendre, cela reste un mystère, mais j’ai pris quant à moi l’habitude de répertorier mes humeurs et de contrôler les voies par où transite l’énergie toutes les fois que je m’avance vers vous, jour après jour, quelques heures chaque jour, essayant de comprendre avec une inévitable lenteur, une manière de timidité (mais qui doit prendre sa source dans une violence étouffée, car je suis, pour un être humain, si pacifique et si gentille – tout le monde en fait la remarque ; tout le monde me dit – compte tenu de mon histoire, c’est vraiment mystérieux – que je dois dissimuler une terrible colère). (Stupidity, p. 109-110)
je suis idiot devant l'autre
Posted on | novembre 18, 2006 | Commentaires fermés
Avital Ronell est née à Prague en 1953 de parents diplomates Israéliens. Elle a étudié l’herméneutique à Berlin, travaillé notamment avec Derrida et obtenu un doctorat à Princeton. Elle enseigne l’anglais, l’allemand et la littérature comparée à la New York University.
Aucun de ses essais, qui creusent les failles du quotidien, s’interrogent sur nos machines modernes et s’appuient sur la lecture attentive de très nombreux écrivains, n’était jusqu’alors traduit en France. Viennent de sortir Stupidity (Stock) et Telephone book (Bayard), ainsi que American philo, entretiens avec Anne Dufourmantelle (Stock). Encore quelques extraits :
Reformuler la question de la bêtise est ainsi une autre façon de lancer ce défi interrogateur : Was heisst Denken ? Qu’appelle-t-on penser ? Ou plutôt : comment se fait-il que nous ne pensions toujours pas ? (…)
Situer l’espace de la bêtise a toujours fait partie d’un répertoire qui s’imposait à toute activité intelligente – et, finalement, stupide – cherchant à s’établir elle-même et à territorialiser ses découvertes. La parenté de la bêtise avec l’intelligence et, ce qui aura peut-être des conséquences encore plus importantes, le statut des nuances, des usages, des crimes et des appréciations de la bêtise elle-même demeurent largement absents de la réflexion contemporaine.(…)
Si l’on devait résumer en termes éthiques la seule position possible au regard de cet être toujours en instance d’arriver, ce serait de la façon suivante : je suis idiot devant l’autre.
(Stupidity, p. 44-45, p. 63 et p. 105)
On peut lire en français deux articles :
Omar Berrada, « Avital Ronell : La philosophe à venir », L’Humanité, 4 novembre 2006
Robert Maggiori, « La carte Avital Ronell », Libération, 28 septembre 2006
quiconque prétend écrire
Posted on | novembre 17, 2006 | Commentaires fermés
(…) la bêtise détermine l’état d’esprit qui afflige quiconque prétend écrire. Dans la mesure où l’écriture semble être réquisitionnée par quelque altérité intérieure qui s’avère toujours trop immature, plutôt forte en gueule, et souvent encombrée d’un désordre narcissique prononcé, quelle que soit d’ailleurs votre envie de vous cacher ou de vous isoler ; dans la mesure, encore, où le créateur en vous est en réalité trop intelligent pour les stupides postulats de la langue, trop mûr même pour les ruses du surmoi, et bien trop calme pour tenter de mettre en mots le Dire; dans la mesure, enfin, où l’écriture vous fait sans cesse vivre le drame de l’objet perdu mais jamais assez perdu, vous sommant une fois de plus de vous engager dans d’inutiles poursuites et de considérables régressions, tout cela se déroulant devant le sinistre tribunal du surmoi, composé de professeurs, de collègues, de tous ceux qui vous ont laissé tomber, et d’étudiants malintentionnés essayant de vous surclasser (ils font parfois relâche, mais pas si souvent que ça) – pour toutes ces raisons, donc, et pour bien d’autres encore (des raisons plus raisonnables qui m’échappent momentanément), l’écriture vous livre à l’expérience de votre propre bêtise. L’étau se resserre encore quand vient le moment de publier ce que vous avez écrit, de le soumettre à un jugement sans fin. La folie de la publication, associée au sentiment de bêtise absolue qui vient du fait de vous mettre vous-même en première ligne – de toute façon, qui s’en soucie ? et Heidegger est toujours en train de contempler la ligne, mais quelle ligne ? – , vous fait toujours errer dans les limites de l’incertaine justesse de ce qui a été dit.
Avital Ronell, Stupidity (2001) (Stock, 2006, p. 51-52)
gogol. 2
Posted on | novembre 16, 2006 | Commentaires fermés
François Bon s’interroge sur BigDaddy et met fort opportunément un visage (ainsi que d’autres visages moroses dans une réunion qui a l’air aussi chiante que les notres) sur le mythique et monstrueux Google qui hante le jardin de la connaissance. À lire aussi, sur l’ogre : « Faut-il une grande cuillère pour signer avec Google ? » de Michel Valensi.
Moi ce qui me fait peur dans Google c’est surtout l’usage que nous les français et aussi les autres habitants de le planète Terre en faisons : le profil type de l’internaute que nous renvoie le miroir de Google laisse songeur.