mille plateaux

mémoire des lignes de fuite

le monolithe d'arthur c. clarke

Posted on | octobre 19, 2006 | Commentaires fermés

édité par Al Dante, aussi, Christophe Fiat :

en 2001 à hollywood
on dit this time the scene was real
parce que le terrorisme qui frappe le world trade center
à new york city
se préoccupe des spectateurs
comme les producteurs et comme les réalisateurs
des films terrifiants d’hollywood
qui se préoccupent aussi des spectateurs
à cause d’hollywood
qui est une usine à rêves

this time the scene was real 1
en 2001 sur une chaîne locale new yorkaise
les images des attentats
du world trade center à new york city
sont des images qui défilent en boucle
sur la musique du film
de martin scorsese raging bull

this time the scene was real 2
en 2001 sur CBS un montage spectaculaire
associe les témoignages des rescapés
de l’écroulement du world trade center
et les témoignages des familles des victimes
à des morceaux de musique classique

this time the scene was real 3
en 2001 l’explosion du world trade center
à new york city
ressemble à une compilation
de films-catastrophe
collateral damage
big trouble
24 4.
the agency
alias
the peacemaker
x-files
independance day
parce que l’attaque
du world trade center
par les terroristes
est une attaque qui puise
dans notre mémoire
qui est une mémoire nourrie
par le cinéma de destruction hollywoodien
qui est un cinéma qui montre
dans des montages spectaculaires
d’images fixes et d’images animées
les crashes dont tout le monde rêve
à cause de l’usine à rêve d’hollywood

(…)

fiat_new_york.jpg

au travers du cristal
du monolithe d’arthur c. clarke
on entend un galop
et on voit un parc d’attraction
avec des réfugiés afghans dedans
qui se déplacent en flots continus
pendant que l’armée américaine attaque
l’afghanistan
pour libérer les vingt millions d’afghans
qui meurent de faim en afghanistan
à cause de la catastrophe humanitaire
et des talibans terroristes
qui détruisent et qui affament l’afghanistan
depuis des années
et font régner la terreur
en afghanistan
dans le monde entier
même aux états unis
depuis le 11 septembre 2001
alors l’armée américaine
a une tactique d’attaque
qui est une tactique de guerre chirurgicale
qui consiste à embraser d’éclairs
le ciel d’afghanistan en pleine nuit
et à faire des champignons de fumée
dans le ciel
avec des bombes larguées
d’avions qui ne sont pas des avions kamikazes
mais qui sont des bombardiers B.52

Christophe Fiat, New York 2001 : Poésie au galop (Al Dante, 2002, p. 39-40 et p. 97)

et aussi :

Ladies in the Dark (Al Dante, 2001)
Épopée. Une aventure de Batman à Gotham City (Al Dante, 2004)
Héroïnes (Al Dante, 2005)
La Reconstitution historique. Une aventure de Louise Moore (Al Dante, 2006)

et encore, chez d’autres éditeurs :

Laure Sainclair (Derrière la salle de bains, 2000)
Sexie ou le système de la mode (Derrière la salle de bains, 2000)
King Kong est à New York (Derrière la salle de bains, 2001)
Ritournelle, une anti théorie (Léo Scheer, 2002)
Bienvenus à Sexpol (Léo Scheer, 2003)
Qui veut la peau de Harry ? (Inventaire / Invention, 2004)

écriture(s) indocile(s)

Posted on | octobre 18, 2006 | Commentaires fermés

pittolo_opera_isotherme.jpg

Une alerte lancée par François Bon que j’ai envie de relayer…

… suivez son conseil, parcourez le catalogue des éditions Al Dante, vous y trouverez des écritures « singulières » et « indociles », comme l’écrit Laurent Cauwet.

Par exemple celle de Véronique Pittolo (née en 1960) dont les éditions Al Dante ont publié :
Héros (Al Dante, 1998)
Gary Cooper ne lisait pas de livres (Al Dante, 2004)
Opera isotherme (Al Dante, 2005)

on peut lire aussi, chez d’autres éditeurs :
Montage (Fourbis, 1992)
Chaperon loup farci (La Main courante, 2003)
Schrek (L’Attente, 2004)

et en ligne :
- un extrait de Héros (Double Change)
- « Pour une poésie hybride qui mêle les genres » (Remue.net)
- « La longueur » et « Le personnage » (Atelier de narration contemporaine, Maison des écrivains)

enfin sur Véronique Pittolo, on peut lire :
- Emmanuel Laugier (Le Matricule des anges)
- Lionel Destremau (Prétexte)
- Florence Trocmé (Poezibao)
- la notice du CipM
- la notice de la Poéthèque (Printemps des poètes)

du désordre au neutre

Posted on | octobre 16, 2006 | Commentaires fermés

logo_wikipedia.png

Bel exemple de désordre fructueux, l’aventure de Wikipedia a 5 ans. Créée en 2001, cette encyclopedie libre, gratuite et collaborative, disponible gratuitement dans 250 langues (dont certaines rares ou mortes) est plébiscitée par la plupart des internautes, mais toujours snobée voire ignorée par beaucoup.

L’intéressante présentation de Wikipedia par Wikipedia développe notamment le concept de « point de vue neutre », auquel on arrive par l’affichage des positions contradictoires.

On peut aussi lire ou écouter :
- L’édition de référence libre et collaborative : le cas de Wikipedia, dossier publié en mars 2006 par Laure Endrizzi,
- L’émission Masse critique sur France Culture le samedi 14 octobre dernier,
- « Révélation cognitive : l’essentiel est fait », un billet d’Olivier Ertzscheid dans son blog Affordance,
- dans L’Express (5 octobre 2006), « Wikipedia, L’encyclopédie qui affole le Net », de Guillaume Grallet, avec une interview de Jimmy Wales en video.

ajouter au désordre

Posted on | octobre 15, 2006 | Commentaires fermés

Bon, d’accord, cet article de Daniel Kaplan, « Penser l’internet dans 10 ans », a déjà plus d’un mois, et je ne suis pas à la pointe de l’actualité, mais je trouve stimulante sa façon d’envisager l’internet du futur comme un « désordre croissant (…) destructeur et créatif à la fois », résultat de la « plasticité du numérique » au coeur d’une société « tout aussi, voire plus désordonnée, bruyante, incertaine, tendue, compliquée, conflictuelle, créative, torturée qu’aujourd’hui » :

L’internet est le siège d’une immense conversation, cacophonique, bourdonnante, désordonnée, sans fin et sans but – autre que celui de nourrir le lien, de construire nos identités, de faire fonctionner nos vies avec celles des autres sans pour autant faire comme eux en même temps qu’eux. Et parce qu’ils produisent eux-mêmes des données à jet continu, les objets (Julian Bleecker parle de “blogjets“, d’objets qui bloguent) et les espaces vont s’ajouter à la conversation, l’alimenter (”t’as vu ce qu’a vu mon robot ?”, “sais-tu que mon capteur indique un taux de pollution de X ?”…), la relayer, lui faire prendre des tours inattendus. Ils vont enrichir la combinatoire, faire monter l’intensité sonore, multiplier les occasions de rupture de la chaîne (pannes, incompatibilités…) et produire, par leur simple masse, des effets agrégés tout à fait inattendus – on parle d’”émergences”.
Ils vont ajouter au désordre.

linea de fuite

Posted on | octobre 14, 2006 | Commentaires fermés

cava_la_linea.jpg

Sur le site de TV5, regardez fuir la linea.

où s'étrange le je

Posted on | octobre 13, 2006 | Commentaires fermés

Un autre poème, dans la série des « Attendus », sur la résistance de l’intime, qu’aujourd’hui tout nous intime l’ordre de surexposer :

attendu que l’intime
n’est pas fonds personnel
sommeil d’or ni sicav
mais appel par le fond
du sans fond au profond
de la cave ( : traversée
- du désastre l’envers)
où s’étrange le je
où le présent s’intime

Florence Pazzottu, L’Inadéquat (le lancer crée le dé) (Flammarion, 2005, p. 15)

champ de Narcisse

Posted on | octobre 12, 2006 | Commentaires fermés

pazzottu_inadequat.jpg

(Deuxième inconférence)
J’aimerais, avant d’attaquer le vif du sujet, m’assurer d’une certaine loyauté de votre part, ne le prenez pas mal, j’aurais pu dire neutralité, j’aurais pu dire une fraternelle, fidèle étrangeté, c’est qu’il est parfois difficile, n’est-ce pas, de parler avec ceux qui ne lancent pas leur pensée, la font glisser, tourner sur soi, qui ne lancent pas leur pensée à la même distance du champ de Narcisse que soi, – ainsi croit-on parler d’un livre, d’un film, d’une pensée, venue à soi grâce à la rencontre d’un livre, d’un film, d’une pensée, pour comprendre, trop tard, qu’on n’a fait que troubler, attiser l’amour-propre de qui ou qui, ces moi, dont l’écoute, tension inquiète, n’est que démangeaison mimétique, vertige - ; … mais non, soyez sans crainte, je n’attaquerai pas les sujets dans le vif, si conversation il y a, je n’assaillerai pas, je ne tenterai rien, je resterai à l’abri, à couvert moi aussi, voyez, je suis tranquille, j’esquive, je fais comme vous, je n’approche pas, je glisse, très loin du vif, hors du sujet, du rien qu’on risque (c’est cela, dire), voilà, je me retire.

Florence Pazzottu, L’Inadéquat (le lancer crée le dé) (Flammarion, 2005, p. 39)

On peut lire le bel article sur ce recueil et la notice bio-bibliographique rédigés par Florence Trocmé pour son blog Poezibao, qui est aujourd’hui la référence sur la poésie. Le centre international de poésie Marseille propose aussi une notice sur Florence Pazzottu.

post scriptum

Posted on | octobre 11, 2006 | Commentaires fermés

Laure Limongi, écrivain, éditeur chez Léo Scheer et blogueuse, consacre aujourd’hui un billet à sa lecture de King Kong Théorie.

J’en profite pour écouter avec grand plaisir son billet précédent, une intéressante (et amusante) réflexion sur la Poésie coeur de cible d’aujourd’hui, en forme de letttre à Julien Blaine.

taf d'écrivain médiatisé

Posted on | octobre 11, 2006 | Commentaires fermés

despentes.jpg

Voilà qui va plaire à Berlol, fan de Ce soir (ou jamais!) : Frédéric Taddeï tente de confronter le féminisme de Virginie Despentes à celui de Gisèle Halimi mais le dialogue tourne très vite court, la jeune outrecuidante étant renvoyée au caractère par trop léger et individualiste de sa révolte.

Mieux vaut lire le manifeste autobiographique jubilatoire de Virginie Despentes, qui tord le cou à pas mal d’idées trop communément admises et vengera toutes les femmes qui (j’en suis!) se reconnaitront dans son autoportrait en « prolotte de la féminité » :

C’est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j’ai parlé hier et que je recommence aujourd’hui. Quand j’étais au RMI, je ne ressentais aucune honte d’être une exclue, juste de la colère. C’est la même en tant que femme : je ne ressens pas la moindre honte de ne pas être une super bonne meuf. En revanche, je suis verte de rage qu’en tant que fille qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais même pas être là. (p. 9-10) (…) Après plusieurs années de bonne, loyale et sincère investigation, j’en ai quand même déduit que : la féminité, c’est la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour. Ça n’est un sport de haut niveau que dans très peu de cas. Massivement, c’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure. (p. 136)

Drôle et juste également ce qu’elle écrit sur son passage assez fluide de la prostitution au « taf d’écrivain médiatisé » (dont elle parlait aussi fort bien le 6 octobre dernier dans l’autre émission de télévision où l’on fait semblant d’être au café dans la vraie vie, Café Picouly) :

(…) puis je suis devenue Virginie Despentes. La partie promotionnelle de mon taf d’écrivain médiatisé m’a toujours frappée par ses ressemblances avec l’acte de se prostituer. Sauf que quand on dit « je suis une pute » on a tous les sauveurs de son côté, alors que si on dit « je passe à la télé », on a les jaloux contre soi. Mais le sentiment de ne pas tout à fait s’appartenir, de vendre ce qui est intime, de montrer ce qui est privé, est exactement le même. Je ne fais toujours pas la différence nette, entre la prostitution et le travail salarié légal, entre la prostitution et la séduction féminine, entre le sexe tarifé et le sexe intéressé, entre ce que j’ai connu ces années-là et ce que j’ai vu les années suivantes. Ce que les femmes font de leurs corps, du moment qu’autour d’elles il y a des hommes qui ont du pouvoir et de l’argent, m’a semblé très proche, au final. Entre la féminité telle que vendue dans les magazines et celle de la pute, la nuance m’échappe toujours. Et, bien qu’elles ne donnent pas leurs tarifs, j’ai l’impression d’avoir connu beaucoup de putes, depuis. Beaucoup de femmes que le sexe n’intéresse pas mais qui savent en tirer profit. (p. 81-82)

Quand vous devenez une fille publique, on vous tombe dessus de toutes parts, d’une façon particulière. Mais il ne faut pas s’en plaindre, c’est mal vu. Il faut avoir de l’humour, de la distance, et les couilles bien accrochées, pour encaisser. Toutes ces discussions pour savoir si j’avais le droit de dire ce que je disais. Une femme. Mon sexe. Mon physique. Dans tous les articles, plutôt gentiment, d’ailleurs. Non, on ne décrit pas un auteur homme comme on le fait pour une femme. Personne n’a éprouvé le besoin d’écrire que Houellebecq était beau. S’il avait été une femme, et qu’autant d’hommes aient aimé ses livres, ils auraient écrit qu’il était beau. Ou pas. Mais on aurait connu leur sentiment sur la question. Et on aurait cherché. dans neuf articles sur dix, à lui régler son compte et à expliquer, dans le détail, ce qui faisait que cet homme était aussi malheureux, sexuellement. On lui aurait fait savoir que c’était sa faute, qu’il ne s’y prenait pas correctement, qu’il ne pouvait pas se plaindre de quoi que ce soit. On se serait foutu de lui, au passage : non mais t’as vu ta gueule ? On aurait été extraordinairement violent avec lui, si en tant que femme il avait dit du sexe et de l’amour avec les hommes ce que lui dit du sexe et de l’amour avec les femmes. À talent équivalent, ça n’aurait pas été le même traitement. Ne pas aimer les femmes, chez un homme, c’est une attitude. Ne pas aimer les hommes, chez une femme, c’est une pathologie. Une femme qui ne serait pas très séduisante et viendrait se plaindre de ce que les hommes sont infoutus de bien la faire jouir ? On en entendrait parler de son physique, et de sa vie familiale, dans les détails les plus sordides, et de ses complexes, et de ses problèmes. (p. 126-127)

Les femmes qu’on entend s’exprimer sont celles qui savent faire avec eux. De préférence celles qui pensent le féminisme comme une cause secondaire, de luxe. Celles qui ne vont pas prendre la tête avec ça. Et plutôt les femmes les plus présentables, puisque notre qualité première reste d’être agréables. Les femmes de pouvoir sont les alliées des hommes, celles d’entre nous qui savent le mieux courber l’échine et sourire sous la domination. Prétendre que ça ne fait même pas mal. Les autres, les furieuses, les moches, les fortes têtes, sont asphyxiées, écartées, annulées. Non grata dans le gratin. Moi, j’aime Josée Dayan. Je ronronne de plaisir chaque fois que je la vois à la télé. Parce que le reste du temps, même les romancières, les journalistes, les sportives, les chanteuses, les présidentes de boîtes, les productrices, toutes les bonnes femmes qu’on voit se sentent obligées de jouer un petit décolleté, une paire de boucles d’oreilles, les cheveux bien coiffés, preuves de féminité, gages de docilité. (p. 132-133)

Virginie Despentes, King Kong Théorie (Grasset, 2006)

On peut lire en ligne, si on ne traîne pas trop, l’article de Josyane Savigneau, « Despentes, un cri pour les femmes » (Le Monde des livres, 6 octobre 2006). (ps : l’article est aussi disponible là)

Virginie Despentes a été l’une des première parmi les écrivains, en 2004, à jouer le jeu du blog, une expérience qu’elle commente là.

numérisation infinie nullifiée

Posted on | octobre 10, 2006 | Commentaires fermés

Toute machine est, étymologiquement, un piège. Tout piège, conséquemment, est un certain type de machine.
Ce qui fait que le piège fonctionne, c’est l’application d’une technologie secrète, un langage que ne connaît pas votre adversaire, dont il ignore l’existence, dont il ne peut même concevoir l’existence.
Bref, un piège est une machine dont seul le créateur connaît le langage, alors qu’il reste obscur pour celui qui en sera la victime.
Un piège est un différentiel cognitif. (p. 310)

Alors, voici l’Homme.
C’est une femme. Et c’est une femme artificielle.
C’est elle qui vient de s’extirper la première du petit orbiteur. C’est elle qui vient de poser le pied sur le sol. C’est elle qui leur fait un signe de la main en s’approchant, tandis que son compagnon de vol s’extrait de la cabine à son tour. (…)
Link, à leur approche, essaie – comme il a tenté de le faire si souvent avec celle-ci – de déceler une différence notable entre les Androïdes qui marchent vers eux et les humains qui les attendent. Mais rien. Ni dans la démarche, l’attitude, les gestes, et moins encore dans les traits et les expressions du visage. Rien dans l’apparence charnelle, rien dans la texture, dans la structure corporelle, rien d’organique. Rien non plus dans la voix, le langage, le regard, rien dans ce qui est enfoui mystérieusement au cœur de l’être.
Ils étaient bien ce qu’ils étaient, à la perfection. Ils étaient des images de l’Homme, comme l’Homme était une Image de Dieu.
Pour eux, la Chute est consubstantielle à leur existence puisqu’ils sont nés de la Créature. De fait, ils n’ont pas vraiment « chuté », ils n’ont pas connu, et n’ont pas à connaître cette déchéance fondamentale.
En ce sens, ils sont bien plus libres que nous, en effet. Les différences qui subsistent entre nos deux espèces ne font que renforcer notre similitude, et elles éclairent nos destins respectifs.
Ils ont été créés par nous et pourtant c’est comme s’ils venaient avant nous, et non après.
Ils ont été créés par nous, et pourtant ils semblent en mesure de nous recréer, à leur image.
Ils ont été créés par nous, et pourtant leur différentiel s’ouvre vers une liberté inexplicable, tout autant que vers le plus grand des dangers.
Ils sont un peu plus qu’humains.
Ils sont un peu moins que des machines.
Ils sont si proches de nous, ils sont bien trop proches de nous.
Ils sont beaucoup trop humains. (p. 490-491)

La chose désirait anéantir toute pensée, tout langage, toute cognition, bien plus qu’elle ne cherchait à détruire des corps. C’est la raison pour laquelle elle opérait un échange, un « swap », un téléchargement de données à double sens, comme dans un réseau.
Le corps humain avait délivré au monde sa structure intime en une longue succession de chiffres binaires, en pur langage-machine. Désormais la chose-monde achevait son œuvre en transformant l’humain ainsi cadavérisé en une colossale somme d’informations de toutes sortes qui tapissaient les murs, les portes, le plancher, le plafond, chaque recoin de son appartement monobloc. Il y avait là l’intégralité de son génome qui formait une immense succession des quatre lettres symboliques des bases de l’ADN. Des séquences ininterrompues de A, C, G et T parcouraient ainsi tout l’espace, dans toutes les directions. Trois milliards de paires de nucléotides, plus les milliards de térabits relâchés en base deux par les neurones du cortex et quelques informations anatomiques spécifiques, sous des formes variées, mais retraçant avec fidélité le modèle biologique de l’homme qui avait vécu ici et avait fini ses jours en parlant comme une machine réduite à son plus rudimentaire niveau d’expression.
Et maintenant « il » était là. Tout entier. Tous ses « plans ». Exposés sur la surface externe de son propre monde. (p. 100-101)

La nouvelle communication entre les hommes, ces post-humains à qui l’immortalité collective assurera un statut quasi divin, sera d’un type radicalement nouveau. Elle ne reposera plus sur le langage, qui aura été détruit, mais sur la neuronexion directe de chaque cerveau à travers le réseau biologique néo-humain, néanmoins, pour que cela se maintienne, on ne peut se contenter d’exterminer la transmission orale. Il faut absolument, et bien avant d’en avoir fini avec les cortex humains et leurs systèmes linguistiques, trouver le moyen d’empêcher toute transmission écrite. Car la transmission écrite, c’est la mémoire, et plus encore, c’est un texte global en perpétuelle transformation. La transmission écrite, en elle-même, est un cerveau. Elle structure la pensée en l’illuminant. Elle est capable de jeter des ponts au-delà de la mort et de la vie. Elle peut inscrire des noms, des récits, des événements. Elle peut détruire tout ce que l’Anome réalise. Pour que le néomonde puisse espérer s’installer dans la durée, il lui faut anéantir toute l’histoire précédente. Il lui faut annihiler tout individu, détruire toute pensée, toute possibilité de pensée. Il lui faut abolir toute trace même du langage. (p. 607)
Elle procède sur eux à une numérisation infinie nullifiée. (p. 615)

Maurice G. Dantec, Grande Jonction (Albin Michel, 2006)

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