mille plateaux

mémoire des lignes de fuite

que l'imagination devienne intelligible

Posted on | août 1, 2007 | Commentaires fermés

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Paris, le 18 octobre 1977, 9h
(…) Je me suis soudain rendu compte, à la façon inconsciente dont ce film est en train de naître, qu’il n’aboutira jamais à rien si je ne le guide pas. En d’autres mots, le moment est venu d’organiser les idées et seulement elles. De transformer tout ce qui est instinctif en réflexion. De penser à l’histoire en termes d’articulation de scènes, de début, de fin, bref de structures. Il faut que l’imagination devienne intelligible (j’allais dire comestible), il faut l’aider à se trouver un sens. Barthes dit que le sens d’une œuvre ne peut pas lui venir d’elle-même, que l’auteur ne peut produire que des présomptions de sens, des formes si l’on veut, et que c’est le monde qui les remplit.
Mais comment Barthes fait-il pour compter sur une entité aussi instable que le monde ?
Michelangelo Antonioni, « Le périlleux enchaînement des événements », Ce bowling sur le Tibre (1976) (Images modernes, 2004, p. 87-88)

à propos de Barthes, Antonioni écrit aussi :

On était très amis. Il a écrit un bref texte, Cher Antonioni, qui est peut-être la chose la plus belle qui ait été écrite sur moi. C’était un être tellement sensible et doux. Barthes n’était pas seulement un homme de culture, c’était vraiment un artiste ; ses essais sont pleins d’intuitions poétiques. Et c’était là son problème, dans le fait qu’il ne pouvait pas être seulement un essayiste.
Michelangelo Antonioni, Écrits (1991) (Images modernes, 2003, p. 173)

éclipse

Posted on | juillet 31, 2007 | Commentaires fermés

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Michelangelo Antonioni est mort lui aussi hier … triste semaine !

post-scriptum : Jeanne Moreau ressemble tellement dans ce plan de La Notte à une vierge boudeuse de Piero Della Francesca, qui était le peintre préféré d’Antonioni, peintre lui-aussi.

je ritualise l'indicible

Posted on | juillet 31, 2007 | Commentaires fermés

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Sur la table blanche avec ses rallonges, il y avait, au milieu des autres cadeaux de Noël de mon frère, le cinématographe avec sa cheminée recourbée, son élégante lentille de cuivre et le dispositif pour les rouleaux de films.
Ma décision fut immédiate, j’ai réveillé mon frère et je lui ai proposé une affaire. Je lui offrais mes cent soldats de plomb contre son cinématographe. Comme Dag avait une grande armée et qu’il était toujours impliqué dans des activités guerrières avec ses amis, l’accord fut conclu à la satisfaction des deux parties. Le cinématographe était à moi.
Ce n’était pas une machine compliquée. Comme source de lumière il y avait une lampe à pétrole et la manivelle était reliée à une roue dentée et une croix de Malte. Au fond de la boîte en tôle : un simple miroir. Derrière la lentille : un dispositif pour des projections en couleurs. Une boîte violette rectangulaire accompagnait l’appareil. Elle contenait, d’une part, quelques images sur verre et, d’autre part, un bout de film sépia (35 mm). Il mesurait à peu près trois mètres et il avait été collé pour former une boucle qui tournait sans fin. Il était indiqué sur le couvercle que le film s’appelait « Frau Holle ». Qui était cette « Frau Holle », personne ne le savait, mais il s’avéra plus tard qu’elle était un équivalent populaire de la déesse de l’amour dans les pays méditerranéens.
Le lendemain matin, je me retirai dans l’immense penderie attenante à la chambre des enfants, je posai l’appareil sur une caisse, j’allumai la lampe à pétrole et je dirigeai le faisceau de lumière sur le mur peint en blanc. Puis, je chargeai le film.
L’image d’un pré apparut sur le mur. Sur ce pré, une jeune femme dormait dans une robe apparemment folklorique. Quand je tournai la manivelle (il m’est impossible d’expliquer ça, je ne trouve pas de mots pour décrire mon excitation, mais je peux, à n’importe quel moment, me rappeler l’odeur du métal chaud, de l’antimite et de la poussière dans la penderie, la manivelle dans ma main et ce rectangle qui tremblotait sur le mur).
Je tournais la manivelle, la fille se réveillait, elle s’asseyait, elle se levait lentement, elle étendait les bras, elle se retournait et disparaissait à droite. Si je continuais à tourner la manivelle, la fille était de nouveau couchée, elle se réveillait et elle refaisait exactement les mêmes gestes.
Elle bougeait. (p. 29-30)

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Comme je porte en moi un continuel tumulte qu’il me faut surveiller, l’imprévu, l’imprévisible m’angoissent. Exercer mon métier devient ainsi une pédante organisation de l’indicible. Je transmets, j’organise, je ritualise l’indicible. Certains metteurs en scène matérialisent leur propre chaos et de ce chaos ils créent, dans le meilleur des cas, une représentation. J’ai horreur de cette sorte d’amateurisme. Je ne participe pas au drame, je le traduis, je le matérialise. Ce qui compte le plus pour moi, c’est de ne laisser aucune place à mes propres complications, elles ne peuvent être qu’une clef qui ouvrira les secrets du texte ou l’impulsion qui mettra en branle la créativité des comédiens. La répétition, c’est selon moi une opération chirurgicale dans un lieu aménagé à cet effet où règnent discipline, propreté, lumière et calme. Une répétition, c’est du travail bien fait, pas une thérapie privée pour metteur en scène et comédiens. (p. 50-51)

Le rythme de mes films, je le conçois en écrivant le scénario, à ma table de travail, et il naît devant la caméra. Toute forme d’improvisation m’est étrangère. S’il m’arrive parfois d’être obligé de prendre des décisions sans avoir le temps de réfléchir, je transpire et je me fige de peur. Faire un film, c’est pour moi planifier une illusion dans le moindre détail, c’est le reflet d’une réalité qui, au fur et à mesure que s’écoule ma vie, me paraît elle-même de plus en plus illusoire.
Le film, quand ce n’est pas un documentaire, est un rêve. C’est pourquoi Tarkovski est le plus grand de tous. Il se déplace dans l’espace des rêves avec évidence, il n’explique rien, d’ailleurs, que pourrait-il expliquer ? C’est un visionnaire qui a réussi à mettre en scène ses visions grâce au média qui est le plus lourd, mais aussi le plus souple de tous. J’ai frappé toute ma vie à la porte de ces lieux où lui se déplace avec tant d’évidence. Quelques rares fois seulement, je suis arrivé à m’y glisser. La plupart de mes efforts conscients ont abouti à des échecs gênants : L’Œuf du serpent, Le Lien, Face à face et ainsi de suite.
Fellini, Kurosawa et Bunuel circulent dans les mêmes quartiers que Tarkovski. Antonioni était sur le bon chemin, mais il s’est perdu, étouffé par son propre ennui. Méliès s’est toujours trouvé là, sans jamais y penser. Seulement, lui, c’était un magicien de métier.
Le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme. Une petite misère de notre nerf optique, un choc, vingt-quatre images lumineuses par seconde, entre ces images, le noir, mais notre nerf optique n’enregistre pas le noir. Lorsque je suis à la table de montage et que je passe le film, image après image, je ressens encore la vertigineuse magie de mon enfance : je suis dans la penderie, je tourne lentement la manivelle, l’une après l’autre, je fais passer les images, j’enregistre en moi-même les imperceptibles changements, je tourne plus vite la manivelle et voilà un geste.
Qu’elles se taisent ou qu’elles parlent, ces ombres s’adressent directement à la chambre qui est en moi la plus secrète. L’odeur du métal chaud, l’image qui vacille, qui scintille, le cliquetis de la croix de Malte, la manivelle dans ma main. (p. 102-103)

Ingmar Bergman, Laterna magica, 1987, traduit du suédois par C.G. Bjurström et Lucie Albertini (Gallimard, Folio, 1991)

Ingmar Bergman est mort hier. C’est l’occasion de lire sa belle autobiographie (même si, concernant Antonioni, je ne suis pas d’accord avec lui).

et nous déguisons à nous-mêmes

Posted on | juillet 30, 2007 | Commentaires fermés

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Au risque de déprimer certains et d’en énerver d’autres, encore quelques citations reprises du Laudator Temporis Acti de Lucien Jerphagnon, qui m’a donné envie de lire les Pensées du début à la fin, et pas en grappillant, avec par exemple :

Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle : on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie…
L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres.
Blaise Pascal, Pensées, 100

Je mets en fait que, si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde.
Blaise Pascal, Pensées, 101

Il n’aime plus cette personne qu’il aimait il y a dix ans.
Je crois bien : elle n’est plus la même, ni lui non plus. Il était jeune et elle aussi ; elle est tout autre.
Il l’aimerait peut-être encore, telle qu’elle était alors.
Blaise Pascal, Pensées, 123

Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes.
Blaise Pascal, Pensées, 377

si on ne s'évite pas

Posted on | juillet 29, 2007 | Commentaires fermés

À plusieurs, on souffre autant, mais on le supporte moins mal, et c’est toujours autant de pris. Ainsi, l’intérêt du présent recueil de désespérances pourrait être – je dis bien pourrait être – que mon lecteur tombât, comme cela, sur celle dont il souffre à cette heure-là. Et se retrouvant avec Sophocle, Abélard, Charles Maurice de Talleyrand, Louis XVIII, de Gaulle, Malraux … ou Synésios de Cyrène pour déplorer que ceci ou cela aille si mal, peut-être se sentirait-il moins seul ?

Lucien Jerphagnon, « Avant-propos », Laudator Temporis Acti (C’était mieux avant) (Tallandier, 2007, p. 20)

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Cette petite anthologie en effet réconfortante du philosophe Lucien Jerphagnon permet accessoirement de découvrir ou donne envie de relire, quelques grands pessimistes de tous les temps.

Quelques exemples :

Perfide, toujours et de toute façon
Est la nature de l’homme.
Aristophane, Les Oiseaux, v. 451-452

Je l’avais bien senti, bien des fois, l’amour en réserve. Y en a énormément. On ne peut pas dire le contraire. Seulement, c’est malheureux qu’ils demeurent si vaches avec tant d’amour en réserve, les gens. Ça ne sort pas, voilà tout. C’est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert a rien. Ils en crèvent en dedans, d’amour.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

Pour la conduite du peuple, tu as de surcroît toutes les autres qualités adéquates : une voix vulgaire, une basse extraction… et tu es un voyou. Tu as tout ce qu’il faut pour faire de la politique !
Aristophane, Les Cavaliers, v. 216-219

Tout mensonge répété devient une vérité : on ne saurait avoir trop de mépris pour les opinions humaines.
François René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

Rien n’est plus misérable que l’homme, entre tous les êtres qui marchent sur la terre.
Homère, Iliade, XVII, v. 448

Chacun se fuit toujours, mais à quoi bon, si on ne s’évite pas ?
Sénèque, De la tranquillité de l’âme, II, 4

salauds d'improductifs

Posted on | juillet 28, 2007 | Commentaires fermés

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Avant d’être salarié, le travailleur était un esclave. Son maître se devait alors de le nourrir et de le loger, voire de le vêtir. Depuis qu’il n’est plus cet esclave, le travailleur se doit à son tour de se vêtir, de se nourrir et de se loger lui-même, ainsi que du faire le plein de sa bagnole écrasante ou de recharger son portable communicatif. Pour cela, à la place du fouet, le maître lui donne de l’argent. Si le maître ne lui donnait pas de l’argent, le travailleur ne travaillerait pas. On peut donc en conclure que le travailleur n’a pas besoin de travail, mais d’argent.

S’il n’y a pas d’alternative à l’argent, il en existe plusieurs au travail, du moins pour se procurer ce pourquoi on travaille. En vrac, on citera le vol, l’escroquerie, la spoliation, la prostitution, l’art, le mariage, l’héritage, Ia mendicité, le loto, la spéculation boursière, le denier des cultes, les dons caritatifs, les cotisations participatives, les détournements de fonds, les impôts (républicains ou révolutionnaires), le racket, la corruption, bref, tout ce que les hommes lucides ou non-croyants tentent de pratiquer dans le cadre de Ia loi, bien sûr. (…)

Quand on ne sait pas quoi faire de son « temps libre », il y a les loisirs, dont l’organisation est calquée sur celle du travail. À ce point que pour mettre en place ces loisirs, de plus en plus de chômeurs, licenciés pour cause de délocalisation inflexible, sont employés à cette tâche, Vous pensez d’une aubaine.

Le jour où tous les travailleurs s’amuseront en travaillant, c’est-à-dire quand tout le monde du travail sera embauché pour travailler aux loisirs, la boucle n’en sera pas bouclée pour autant, vous pouvez pour cela faire confiance à l’inépuisable imagination de l’homme. Peut-être même est-il déjà né le petit malin qui se demande ce que l’on pourrait bien faire pendant les temps morts.

Les morts : en voilà des salauds d’improductifs !

Toulouse-la-rose, Du singe au songe (Sens & Tonka, Calepin 15, 2007, p. 40-41 et p. 44)

Une réjouissante biographie mise en ligne par son éditeur précédent, Le Talus d’approche, nous apprend que « de son vrai nom Isidore Cocasse, Toulouse-la-Rose est né en 1955, quelque part dans les Basses-Pyrénées, de père et de mère inconnus des services de police » : faut-il la croire ?

Il a publié auparavant : La Véritable Biographie maspérisatrice de Guy-Ernest Debord considérée sous ses aspects orduriers, cancaniers, folkloriques, malveillants, nauséabonds, fielleux, et notamment vulgaires et du manque de moyens pour y remédier (Talus d’approche, 2000)
Ignobilis Splendor (Talus d’approche, 2001)
Quel futur pour notre avenir ? Petit essai sur nos grandes tentatives (Talus d’approche, 2002)
Pour en finir, avec Guy Debord (Talus d’approche, 2004)

demande au lecteur

Posted on | juillet 27, 2007 | Commentaires fermés

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- Pourquoi vous êtes en pente ?
- Et pourquoi vous ne tombez pas ?

Ils étaient tous couchés dans leurs lits, les lits étaient tournés vers le sol, mais ils n’étaient pas attachés aux cadres des sommiers métalliques.

- Mais c’est toi qui es en pente, pas nous, dit C-C-C, lentement, distinctement, en détachant tous les mots.
- Tu comprends ?
- Qu’est-ce qu’il faut que je comprenne ?
- Demande au lecteur. Il a compris depuis un moment, lui.
- Pas sorcier. On lui dit tout. Mais à moi, on n’explique rien.
C-C-C haussa les épaules. Alice ne le vit pas hausser les épaules parce qu’elles étaient enfermées dans le scaphandre mais ce fut comme si elle les voyait. D’ailleurs il avait levé les yeux au ciel qui n’était pas là. Alice leva ses yeux à elle vers le plafond. Dans le plafond elle vit un œil. Un œil bleu la regardait fixement.
« J’avais raison. Il y a bien soixante-treize yeux. »
Lui rendant la pareille, sans se laisser intimider, elle le regarda avec une fixité au moins égale à la sienne. Alors l’œil s’élargit jusqu’à occuper le plafond (?) du vaisseau spatial ; entièrement. Le ciel étoilé apparut dans toute sa prétention universelle.
L’œil était dans le ciel et regardait Alice.

Roubaud / Lévêque, Alice et les 36 garçons (Mac/Val, fiction, 2006, p. 26-27)

Ainsi se termine l’avant-dernier chapitre de cette courte fiction (truffée de citations et où Alice, le temps d’une chute dans un puits, rencontre les mystérieux occupants de ces lits étranges) imaginée par Jacques Roubaud à l’occasion de l’exposition « Le Grand Sommeil » de Claude Lévêque (lui-même grand inventeur d’espaces-temps étranges où l’enfance tient souvent une grande place) au MAC/VAL.

Sur Claude Lévêque, voir fluctuat.net ou Artnews, et, sur « Le Grand Sommeil », le Petit journal du Mac/Val, Lunettes rouges ou fluctuat.net.

ne pas s'agglomérer

Posted on | juillet 26, 2007 | Commentaires fermés

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Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront.

La sagesse est de ne pas s’agglomérer, mais, dans la création et dans la nature communes, de trouver notre nombre, notre réciprocité, nos différences, notre passage, notre vérité, et ce peu de désespoir qui en est l’aiguillon et le mouvant brouillard.

On ne se bâtit multiformément que sur l’erreur. C’est ce qui nous permet de nous supposer, à chaque renouveau, heureux.

René Char, « Rougeur des matinaux », Les matinaux (Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 329, 330 et 334)

Un billet, aujourd’hui même, de Ronald Klapka me permet de suivre le fil « René Char » sur remue.net, et de m’apercevoir que Françoise Dastur y avait, il y a presque un an, posté un beau texte intitulé « René Char & Georges de La Tour : ‘l’intelligence avec l’ange’ », et aussi qu’on peut y lire un autre très beau texte de Char, « Page d’ascendants pour l’an 1964 » (« Grands astreignants », Recherche de la base et du sommet, Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 711-712).

Par rebond, sur remue.net encore, Sereine Berlottier et Sébastien Rongier racontent en contrepoint Avignon, en lignes obliques et visions brèves. Une autre vision, et de belles photos aussi, sur le blog de brigetoun, pas si « paumée » qu’elle veut bien le dire (en créant ce lien vers chez elle, je vois qu’elle vient d’en créer un vers chez moi, mais je persiste!)

les minutes de suif de la clarté

Posted on | juillet 25, 2007 | Commentaires fermés

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La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains.

René Char, Feuillets d’Hypnos, 178 (Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1983, p. 218)

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Comme souvent, dans l’exposition consacrée à René Char à la BnF, me parlent notamment les correspondances entre les textes et les tableaux présentés : ici, parmi de nombreux tableaux de contemporains dont René Char a souvent été l’ami, est exposé un beau tableau peu connu de Georges de La Tour, « La découverte du corps de saint Alexis » (1648, Nancy, Musée Lorrain) qui m’a donné envie d’aller lire ce que le poète écrit à propos de ce peintre.

Le « Prisonnier » (vers 1640-1645, Épinal, Musée départemental d’art ancien et contemporain) dont il est question dans le beau texte ci-dessus, a depuis été rebaptisé « Job et sa femme » puis « Les railleries de la femme de Job », ce qui infléchit considérablement sa signification.
On peut lire d’autres extraits de René Char sur Georges de La Tour sur le site Educnet : « La Madeleine à la veilleuse – René Char et Georges de La Tour ».

à voir et lire aussi en ligne :
- un site René Char
- une page et des documents Arte
- une page Télérama
- « Parole d’orage : à propos de René Char » par Laurent Margantin (Revue des ressources)

la réalité n'était qu'une vieille chaussette

Posted on | juillet 24, 2007 | Commentaires fermés

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Ingrid réfléchissait. Parce que la réalité nous appâtait avec quelques péripéties, nous laissait espérer une montée en puissance et une impressionnante explosion finale, on l’envisageait vigoureuse et exubérante. On prévoyait des séparations passionnées, ouvertes sur des revirements surprenants, alors qu’on n’avait droit qu’à un théâtre d’ombres, celui des silhouettes fantomatiques des amis morts et des amours fracassées qui se dissolvaient dans le brouillard. La réalité n’était qu’une vieille chaussette qui finissait un jour ou l’autre par perdre son élasticité.

Dominique Sylvain, L’absence de l’ogre (Viviane Hamy, 2007, p. 263)

Le titre très « conte de fée » de ce roman policier est emprunté à Alphonse Allais dont la maxime : « Il y a des moments où l’absence d’ogres se fait cruellement sentir » est reprise page 89. L’absence de l’ogre est la quatrième enquête de Lola Jost, commissaire de police à la retraite qui aime le porto, les puzzles et citer les classiques et d’Ingrid Diesel, masseuse, strip-teaseuse et assez américaine pour écorcher avec beaucoup d’à-propos la langue française. Les enquêtes de ce duo improbable sont plus mélancoliques que trépidantes, assez réalistes pour que le suspense agisse, mais aussi assez fantaisistes pour confiner parfois à l’absurde.

Dominique Sylvain est née en 1957 à Thionville.
Elle vit à Tokyo et a publié sept autres romans, que je conseille.
Le site qui lui était consacré ne fonctionne plus, mais peut-être n’est-ce pas définitif.

À lire en ligne :
- un entretien de Dominique Sylvain avec Claire Simon et Thomas Flamerion pour Evene, en mai 2007
et des articles :
- Alexandra Morardet pour Arte
- Julien Védrenne pour Le littéraire
- Myosotis (qui n’aime pas) pour Fluctuat.net

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