au doigt et à l’œil
Alternant les projets de nouvelles et les anecdotes malicieuses (« [je m]’égare un peu en facéties» dit-il) avec des développements plus philosophiques (il cite notament Spinoza), Philip K. Dick tente dans la suite de sa conférence de définir ce qui fait de certains hommes des machines et ce qui permet d’échapper à ce sort.
Même s’il témoignent d’une foi que, rétrospectivement, on ne peut aujourd’hui que trouver beaucoup trop optimiste dans le pouvoir subversif des adolescents des années 70, les conseils du romancier sont clairs : le propre de la machine est d’être fiable et prévisible ; pour être humain, efforçons nous de pas l’être. Pour cela il faut privilégier la ruse, le détours, le détournement, la fuite ; il est urgent de désobéir, tricher, mentir, s’esquiver, faire semblant, être ailleurs.
Devenir ce que, faute d’un terme plus convenable, j’ai appelé un androïde, veut dire, comme je l’ai indiqué, se laisser transformer en instrument, se laisser écraser, manipuler, devenir un instrument à son insu ou sans son consentement – c’est du pareil au même. Mais on ne peut pas transformer un humain en androïde si cet humain a tendance à enfreindre la loi dès qu’il en a l’occasion. L’androïsation exige l’obéissance. Et, par-dessus tout, la prévisibilité. C’est justement lorsque la réaction d’une personne donnée à une situation donnée peut être prévue avec une précision scientifique que l’on ouvre grand les portes au cheval de Troie : à la production possible d’une forme de vie androïde à grande échelle. Car à quoi servirait une lampe de poche si, lorsqu’on appuie sur le bouton, l’ampoule ne s’allumait qu’une fois de temps en temps ? Toute machine doit marcher sans coup férir pour être fiable. L’androïde, comme toute autre machine, doit marcher au doigt et à l’œil. (p. 38)
Sur Philip K. Dick, on peut consulter le site officiel, en anglais, et, en français, une page du site noosphère, le ParaDick.