inverser l’analogie
Dans sa conférence « Androïde contre humain » (« Androïd and human », Vancouver, 1972), Philip K. Dick, immense écrivain de science-fiction, invite très judicieusement, sur cette question de l’homme-macine, à « inverser l’analogie » : plutôt que de se demander si un jour la vie artificielle va devenir humaine, pourquoi ne pas nous demander si l’humain n’est pas en train de devenir machine.
Et puis – même si une telle idée n’est guère agréable – tandis que le monde externe devient de plus en plus animé, il se peut que nous – les soi-disant humains – devenions, et, d’une certaine manière, ayons toujours été, inanimés au sens où nous sommes dirigés par des tropismes inhérents, plutôt que dirigeants nous-mêmes. Auquel cas nous et nos ordinateurs toujours plus perfectionnés pourrions fort bien nous rencontrer à mi-chemin.
et d’évoquer les créatures que sont devenus aujourd’hui nombre de pseudo-humains qui ne sont plus que
des instruments, des moyens plutôt que des fins, et donc, à mon sens, réduits à être semblables à des machines dans le mauvais sens du terme […]. Il s’agit ici d’humains réduits à une pure utilité – de femmes et d’hommes transformés en machines et servant un objectif qui, aussi « bon » soit-il en principe, exige l’emploi, pour son accomplissement, de ce que je considère comme le plus grand mal imaginable : l’imposition sur ce qui était un homme libre, qui riait et pleurait et faisait des erreurs et divaguait sottement ou à loisir, d’une restriction qui le contraint, malgré ce qu’il imagine ou ce qu’il en pense, à atteindre un but situé en dehors de sa propre destinée – aussi minuscule soit-elle.
Philip K. Dick, Si ce monde vous déplaît… et autres écrits, L’Éclat, 1998, p. 28 et 29