lituraterre

(ce jeu de mot là est dans Littérature, 3, octobre 1971)

Ça n’est pas pour me vanter mais j’ai un lecteur lacanien ! Je le remercie pour sa réaction rapide. Grâce à lui je peux préciser que la citation de Lacan est extraite de « Freud per sempre », un entretien de Jacques Lacan avec Emilia Granzotto pour le journal Panorama (Rome, 21 novembre 1974), et la citer plus largement, ce qui permet de s’apercevoir que le but de Lacan n’est nullement de faire l’éloge de la science-fiction, mais bien de dire du mal, de manière assez drôle, il faut l’avouer, de ses collègues scientifiques et leurs prétendus progrès :

Question. – Quel rapport y a-t-il aujourd’hui entre la science et la psychanalyse ?
Lacan – Pour moi l’unique science vraie, sérieuse, à suivre, c’est la science fiction. L’autre, celle qui est officielle, qui a ses autels dans les laboratoires avance à tâtons sans but et elle commence même à avoir peur de son ombre.
Il semble que soit arrivé aussi pour les scientifiques le moment de l’angoisse. Dans leurs laboratoires aseptisés, revêtus de leurs blouses amidonnées, ces vieux enfants qui jouent avec des choses inconnues, manipulant des appareils toujours plus compliqués, et inventant des formules toujours plus abstruses, commencent à se demander ce qui pourra survenir demain et ce que finiront par apporter ces recherches toujours nouvelles. Enfin, dirai-je, et si c’était trop tard ? On les appelle biologistes, physiciens, chimistes, pour moi ce sont des fous.
Seulement maintenant, alors qu’ils sont déjà en train de détruire l’univers, leur vient à l’esprit de se demander si par hasard ça ne pourrait pas être dangereux. Et si tout sautait ? Si les bactéries aussi amoureusement élevées dans les blancs laboratoires se transmutaient en ennemis mortels ? Si le monde était balayé par une horde de ces bactéries avec toute la chose merdeuse qui l’habite, à commencer par les scientifiques des laboratoires ?
Aux trois positions impossibles de Freud, gouverner, éduquer, psychanalyser, j’en ajouterais une quatrième : la science. À ceci près que eux, les scientifiques, ne savent pas qu’ils sont dans une position insoutenable.

Q. – C’est une vision assez pessimiste de ce qui communément se définit comme le progrès.
L. – Pas du tout, je ne suis pas pessimiste. Il n’arrivera rien. Pour la simple raison que l’homme est un bon à rien, même pas capable de se détruire. Une calamité totale promue par l’homme, personnellement je trouverais ça merveilleux. La preuve qu’il aurait finalement réussi à fabriquer quelque chose avec ses mains, avec sa tête, sans intervention divine ou naturelle ou autre.
Toutes ces belles bactéries bien nourries se baladant dans le monde, comme les sauterelles bibliques, signifieraient le triomphe de l’homme. Mais ça n’arrivera pas. La science a sa bonne crise de responsabilité. Tout rentrera dans l’ordre des choses, comme on dit. Je l’ai dit, le réel aura le dessus comme toujours, et nous serons foutus comme toujours.

On peut lire le reste de l’entretien sur le site de l’École Lacanienne de Psychanalyse, qui propose, dans la rubrique « Pas-tout Lacan » de lire en ligne ou de télécharger de nombreux inédits de Jacques Lacan. J’en profite pour signaler qu’on peut aussi lire en ligne la transcription des Séminaires, sur le site Gaogoa, et Les Mathèmes de Lacan par Jacques Sibony, sur le site Lutecium.