vita contemplativa
En l’honneur du 1er mai, petit florilège nietzschéen (non exhaustif!) sur le travail :
Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée que dans les louanges des actes impersonnels et conformes à l’intérêt général : la crainte de tout ce qui est individuel. On se rend maintenant très bien compte, à l’aspect du travail — c’est-à-dire de ce dur labeur du matin au soir — que c’est là la meilleure police, qu’elle tient chacun en bride et qu’elle s’entend à entraver vigoureusement le développement de la raison, des convoitises, des envies d’indépendance. Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, il retire cette force à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société, où l’on travaille sans cesse durement, jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême. (« Les apologistes du travail », Aurore)
Le travail est désormais assuré d’avoir toute la bonne conscience de son côté : la propension à la joie se nomme déjà « besoin de repos » et commence à se ressentir comme un sujet de honte. « Il faut bien songer à sa santé » – ainsi s’excuse-t-on lorsqu’on est pris en flagrant délit de partie de campagne. Oui, il se pourrait bien qu’on en vînt à ne point céder à un penchant pour la vita contemplativa (c’est-à-dire pour aller se promener avec ses pensées et ses amis) sans mauvaise conscience et mépris de soi-même. (« Loisir et désœuvrement », Le Gai Savoir)
Ce qu’il y a de comique chez beaucoup de gens laborieux – Par un surcroît d’efforts, ils arrivent à se conquérir des loisirs et, lorsqu’ils sont arrivés à leurs fins, ils ne savent rien en faire, sinon de compter les heures jusqu’à ce que le temps soit passé. (« Opinions et sentences mêlées », Humain, trop humain, II, 1)