la vulnérabilité de la vie
Grand amateur de métaphores lui aussi, Peter Sloterdijk est affublé par certains d’une réputation sulfureuse, placé sur un piédestal par d’autres. Il est en tout cas l’un des seuls philosophes à poser, de manière pointue mais très lisible, et qui plus est avec humour et ecclectisme, les questions auxquelles l’humanité actuelle doit faire face.
Son oeuvre est complexe et foisonnante, impossible à synthétiser dans un ni même plusieurs post. Je ne m’y risquerai donc pas. Concernant les mutations que la technologie a déjà fait et fera subir à une nature humaine que certains voudraient immuable, on peut commencer par lire deux textes courts mais très éclairants, « L’heure du crime et le temps de l’oeuvre d’Art. Sur l’interprétation philosophique de l’artificiel » et « La vexation par les machines. Remarques philosophiques sur la position psycho-historique de la technologie médicale avancée », dans L’heure du crime et le temps de l’oeuvre d’Art (2000) (Calmann-Lévy, 2000). Le second de ces textes se termine ainsi :
Les mathématiciens doivent devenir des poètes, les cybernéticiens des philosophes de la religion, les médecins des compositeurs, les informaticiens des chamans. L’humanité n’a jamais été que l’art de crée des transitions. Lorsque les pôles sont éloignés les uns des autres, l’art devient rare et la barbarie vraisemblable. Si les hommes sont des animaux fabricants de machines, ils sont plus encore des créatures produisant des métaphores. Si l’on parvenait à intégrer les machines intelligentes de l’avenir dans des relations semi-personnalistes et semi-animistes avec les humains, on n’aurait pas à redouter de voir l’homme lier amitié avec son partenaire robot. La mission de notre temps est de développer un humour postmoderne qui permette aux cybernéticiens d’avoir des relations amicales avec des cardinaux, des mollahs et des prêtres vaudous. […] Mais même si les robots, à l’ère technique, ont persuadé l’âme qu’elle ne peut être que ce pour quoi elle se prend, il reste à l’âme désubstantialisée la fierté de souffrir discrètement de cette vexation. Son souci est sa preuve de son existence. Au sommet de la modernité machiniste se répète en certains individus la naissance de l’humanité à partir du savoir de la vulnérabilité de la vie.
« La vexation par les machines », L’heure du crime et le temps de l’oeuvre d’Art (2000), p. 80-81