je suis triste parce que je pleure

Les émotions, de même, ne sont pas nécessairement conscientes. Elles sont même d’abord inconscientes.
Les émotions dites primaires (la peur, la joie, la colère, la tristesse, la surprise, le dégoût…) sont en effet dans un premier temps des modifications corporelles : face à une situation donnée, le corps tout entier réagit par des sécrétions endocrines qui générent des marques somatiques (par exemple le poil qui se dresse) et les manifestations externes de l’émotion que sont une posture appropriée du corps et une expression du visage (universellement reconnue).
Ces manifestations sont à la fois le signal permettant au cerveau de les enregistrer et le moyen dont dispose l’organisme pour affronter victorieusement les facteurs internes et externes visant à déstabiliser son homéostasie (manifester des signes de colère peut ainsi éloigner un adversaire).
En tout cas ces modifications corporelles n’ont nullement besoin d’être conscientes pour jouer leur rôle protecteur, et ce n’est donc que dans un second temps (les techniques d’imagerie médicale l’ont aujourd’hui clairement démontré) que le sujet prend conscience de son émotion, et éventuellement l’interprète.

Le déclenchement d’une émotion est automatique, sa durée courte, son déroulement fixe. […] l’émotion, au moins pour son déclenchement et son déroulement, n’est pas un phénomène conscient.[…] La conséquence de cette autonomie du système émotionnel est que le cerveau opère et décide à l’insu du sujet, sans que celui-ci puisse intervenir sur ses opérations. Il existe évidemment des voies de retour qui assurent une régulation rétroactive : le cerveau conscient est alors informé des modifications de l’état corporel (mimique, vocalisation, état viscéral) provoquées par le système émotionnel. L’état affectif, le sentiment conscient que nous nous faisons de la situation, suit la réponse émotionnelle immédiate et automatique à cette même situation. On dit parfois, pour rendre compte de cette prise de conscience secondaire et tardive, « je suis triste parce que je pleure », et non l’inverse.
(Marc Jeannerod, Le cerveau intime, p. 108-110)