caractéristique flétrissure
chez della Francesca : cette caractéristique flétrissure de la plupart des visages et qui ne tient pas tant à la morphologie première (faciès de brutes — naturels dans la soldatesque —, d’empoisonneurs, de bellâtres, de gitons, comme, par exemple, dans la Défaite de Chosroès, le page qui souffle de la trompette, un adolescent à première vue mais, si on l’examine plus longuement, une lourdeur opaque dans le regard, et les poches sous les yeux, l’impassibilité) qu’à quelque chose qui les a prématurément, sournoisement usés, marqués. Comme une tare. La richesse. Ou le pouvoir. Expression semblable sur les photos de vedettes de cinéma ou de milliardaires. Comme une sorte de masque, plaqué. Second visage, en surimpression pour ainsi dire, superposé à des traits originellement beaux. Les femmes (la Vierge elle-même) pourvues de ces yeux aux paupières lourdes, dissimulatrices, à la fente sinueuse à travers lesquelles filtrent, plus fourbes que pudiques, des regards en coin. Leurs lèvres aussi aux moues hautaines, dédaigneuses. Femmes-enfants conscientes de leur prix. Tout d’ailleurs est de prix ici, avec ostentation, insolence : les armures, les vêtements, les couleurs raffinées, les coiffures aux formes extravagantes …
Claude Simon, La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 153-154)