le fardeau dont ils prétendaient me soulager
Comme je suis léger tout à coup ! C’était donc toute cette chair qui pesait. Je m’en doutais : mes muscles constituaient le fardeau dont ils prétendaient me soulager. Je n’étais pas si gras, remarquez, mais tout s’accumulant faisait une lourde charge. Les poches des organes sont toujours pleines à craquer, déformées par les reliefs et les angles de leur très mystérieux contenu. C’est à se demander si les flux sanguins et lymphatiques ne charrient pas aussi des troncs ou des galets. Je me maintenais moi-même avec peine la surface de ces torrents, au prix d’une lutte de chaque instant, tenté souvent de renoncer à cette nage vaine et de me laisser couler. J’avais dans l’idée que mon corps abandonné à lui-même deviendrait plus pesant encore. Or il me parut plutôt que je m’envolais. Ai-je rêvé ? En tout cas, il n’y a plus d’oiseaux sur les perchoirs de ma cage thoracique.
Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette (Fata Morgana, 2007, p. 65-66)