compatible avec l’enfance
Déporté sur la gauche de l’esplanade (en son milieu dans le sens de la longueur), se trouve un élément fondamental de son décor : la bouche de métro qu’a conçue l’artiste français Jean-Michel Othoniel. Jean-Michel Othoniel est un artiste de réputation internationale dont les œuvres, des installations in situ pour la plupart, baroques, féeriques, cristallines, colorées, sont confectionnées avec un matériau prépondérant : le verre. J’aime beaucoup cet artiste. Il crée des colliers gigantesques qui s’entremêlent aux branches des arbres. La bouche de métro qui se situe sur l’esplanade se trouve être habillée d’une structure granulaire dont la forme rappelle celle, évidemment, d’une couronne, mais également, et c’est de cette manière que je préfère l’interpréter, d’un carrosse. C’est quelque chose entre la couronne royale et le carrosse royal : une superposition de ces deux motifs symboliques. Les deux coupoles de cette structure sont constituées d’un ensemble de grosses perles colorées : rouges, jaunes, indigo et bleu ciel, séparées les unes des autres par des disques et épisodiquement par des boules du même métal bosselé que la balustrade. Les coupoles de Jean-Michel Othoniel ne possèdent pas le sérieux géométrique, dogmatique, épiscopal, du Duomo de Filippo Brunelleschi, ni ne font écho aux théories de l’harmonie architecturale édictées par Leone Battista Alberti dans son célèbre De Pictura (1435). Leone Battista Alberti arrive un peu trop tôt dans mon intervention car sinon il m’aurait fourni une transition de rêve pour aborder certaines considérations essentielles sur l’espace du tableau (et depuis le point géométrique que j’y occupe l’esplanade du Palais-Royal n’est rien d’autre qu’un espace pictural géométrique où règne en maître la perspective), et notamment ce concept qu’il appelle l‘historia. Mais je poursuis. Le dessin des coupoles les rend douces, mignonnes, malicieuses, semblables à ces images dont les enfants aiment s’imprégner avant de s’endormir, des images dont le merveilleux résulte d’une simplification attendrissante de la réalité, altération qui vise à rendre celle-ci inoffensive, compatible avec l’enfance. Telles sont les deux coupoles de Jean-Michel Othoniel : coupoles dont le déni d’elles-mêmes et du principe mathématique qui les sous-tend les rapproche de nos désirs les plus enfouis de relâchement et de consolation. Dans le même registre, la balustrade de la bouche de métro, dont j’ai dit qu’elle était faite d’un métal mat, gris, bosselé, a l’air de se refléter à la surface d’un vieux miroir ou d’un plan d’eau. De ce fait, dans sa tremblante fragilité de reflet ou de mémoire ancienne, c’est l’époque immémoriale du conte de fées, ce sont les temps lointains et irréels, insituables, de Cendrillon, de Peau d’Âne ou de La Belle au bois dormant que la facture de l’édifice fait circuler dans sa présence, laquelle ne peut que propulser l’imaginaire de chacun dans l’atmosphère du conte de fées telle qu’elle subsiste dans sa constitution psychique. (…) Autre chose encore. J’ai oublié de préciser que la balustrade est alvéolaire et que quelques-uns des orifices sont comblés (le mot comblé est ici merveilleux car on peut dire que la présence de cette œuvre de Jean-Michel Othoniel comble en moi tout un tas de désirs immémoriaux) par des éléments du même verre coloré que les grosses perles qui ponctuent les coupoles. Et chacune de ces pièces semble une réponse (maternelle) (rassurante) (autorisée) qui vient combler une interrogation (une peur) (un vertige) enfantine (avant de s’endormir : Pourquoi ?). Et chacune de ces pièces vient donc élucider le trou béant d’une énigme et la remplir de sens : et la remplir de tendresse. Comme on le voit, mesdames messieurs, amis des antipodes, je redeviens un enfant toutes les fois que je contemple durablement le carrosse du Palais-Royal.
Éric Reinhardt, Cendrillon (Stock, 2007, p. 257-259)