dans toutes les directions

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J’ai commencé à m’intéresser aux cartes quand j’ai compris qu’elles n’entretenaient que des rapports très lointains avec le réel. Séchés, découpés, compressés, coloriés, annotés, les lieux y sont comme des ailes de papillons dans un album : des trophées à manipuler avec précaution. (p. 9)

Pendant un an, j’ai donc entrepris d’explorer la cinquantaine de zones blanches figurant sur la carte n°2314 OT de l’Institut géographique national, qui couvre Paris et sa banlieue. Au cours de cette quête, j’espérais, comme les héros de mes livres d’enfant, mettre au jour le double fond qui manquait à mon monde. (p. 10)

À errer sur ces périmètres vacants où rien n’accrochait le regard, j’éprouvais le même sentiment de flottement qu’à la lecture des Corps conducteurs de Claude Simon ou de L’lnquisitoire de Robert Pinget, textes qui ne comportent pas de perspective clairement ménagée mais déploient, telles des cartes, leurs minutieuses descriptions dans toutes les directions et où chaque détail, même le plus trivial, est riche d’un mystère jamais épuisé. Pareils livres manifestent l’étendue, contrairement aux récits de voyage, qui se contentent de réduire l’espace à un itinéraire et d’aligner dates et noms comme on collectionne les cartes postales. (p. 99-100)

Les lieux vides et flous que j’explorais m’offraient le surplus d’inconnu que me refusait désormais la fiction, musique d’ambiance moulinée par la télévision et les magasines, pâte grise égalisant les surfaces, arrondissant les angles et bouchant les fissures. J’étais revenu au réel pour trouver du merveilleux, alors que c’est précisément cette quête qui m’en avait, à l’origine, éloigné. Mais le monde s’était, depuis, considérablement agrandi, et dès qu’on quittait les itinéraires balisés où il présentait sa face usuelle, acceptable, tout s’obscurcissait. C’était dans ces endroits où la réalité excéderait le texte que je voulais me tenir le plus longtemps possible, regardant les phrases gigoter en tous sens comme des poissons fraîchement capturés. (p. 103-104)

Philippe Vasset, Un livre blanc. Récit avec cartes (Fayard, 2007)

Un livre court mais dense, très personnel et très abstrait, qui parle de l’écriture et de la société, de la conscience et de la réalité, de l’aventure et de la contemplation, du passage du temps.

Visiter aussi zones blanches ? Atelier de géographie parallèle : « ce site n’est pas une carte » mais on peut passer des heures à explorer les photographies, sons, vidéos et textes qu’il propose, pour prolonger cette parenthèse du texte :

(ce livre connaîtra un sort similaire : avant même sa publication, certains des lieux qu’il décrit auront été effacés par le reflux urbain, et d’autres seront apparus. Pour éviter qu’elle n’aboutisse, comme la carte qui lui a servi de support, à une représentation figée, l’expérience commencée ici sera poursuivie sur un site Internet, http://www.unsiteblanc.com, avec l’aide des membres de l’Atelier de géographie alternative, un groupe mis en place pour figurer graphiquement ce qui échappe aux représentations usuelles de l’espace). (p. 62)

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Philippe Vasset est né le 7 juin 1972.

Sur Un livre blanc, on peut lire :
– François Bon, « Zones vides de la ville » (tiers livre)
– Dominiq Jenvrey, « Fiction documentaire (1) » (remue.net)
– Fabrice Gabriel, « Carte blanche », (Les Inrockuptibles, 612, 21 août 2007, pas en ligne)
– et, sur le site des éditions Fayard, on trouve un entretien video et une bio amusante :

« N’ayant pu faire aventurier international faute des fonds nécessaires à une indispensable greffe de pectoraux, Philippe Vasset s’est rabattu sur le journalisme et l’écriture. Il a publié chez Fayard deux romans peuplés d’aventuriers tous plus internationaux les uns que les autres, Exemplaire de Démonstration (2003 – traduit en anglais, italien et russe) et Carte muette (2004), et un récit totalement dépourvu d’aventures ou d’aventuriers, Bandes alternées (2005). Fatigué de tours du monde en jet privé, d’atterrissages forcés sur des pistes cahoteuses et de rations périmées avalées à l’arrière d’un pick-up, il a consacré son dernier ouvrage, Un livre blanc, à l’exploration des marges de Paris (où il a tout de même réussi à se faire voler son sac).
Philippe Vasset est également rédacteur en chef d’Intelligence Online, une publication spécialisée sur le renseignement, activité qui est à l’aventure internationale ce que le bain moussant est à la starlette.
Lorsqu’il n’est pas absorbé corps et âmes dans une enquête internationale à haut risque, Philippe Vasset regarde les Simpsons à la télé. »