respectez les consignes
Nous savons maintenant
la presse et la télévision commençaient à marteler
le monde devient chaque jour de moins en moins sûr
soyez attentifs, limitez vos déplacements, respectez les consignes, ne vous laissez pas aller, nous ne pouvons compter que sur nous même (p. 39)Voilà le tableau
il faut être réaliste, nous allons apprendre à vivre avec IL FAUT ÊTRE RÉALISTE
c’est
notre mode de vie et nos lois
nos principes
nos valeurs communes
intimement partagées
c’est
notre existence décontractée
nos barbecues ensoleillés (photo)
nos familles recomposées (photo), qui se trouveront alors
comme ça
au hasard
pulvérisés
vaporisés
annihilés
qui partiront en fumées brunes et sales (photo) dans le ciel clair et calme de nos fins d’après-midi (photo) et parfois de nos débuts de matinée, aux heures de pointe (photo), toujours des images épouvantables de dévastation (photo) provoquent le maximum de dégâts
qui pourront heurter
qui pourront sérieusement perturber les esprits les plus fragiles vous avez compris
IL VA FALLOIR S’ACCROCHER
il va falloir s’y faire maintenant, il va falloir vivre avec, c’est ça vous ne seriez pas là sinon.IL FAUT NOUS PRÉPARER. (p. 61-62)
Voilà.
Nous y sommes maintenant.Nos perspectives de survie ne sont plus garanties.
Dans l’air climatisé, nous respirons doucement
nous essayons de garder notre souffle.
Nous nous économisons.Bien à l’abri dans les étages supérieurs
nous surveillerons régulièrement
l’évolution des indicateurs de croissance
les dernières projections démographiques
la courbe des taux de suicide.
Nous constaterons
l’effondrement de la fécondité.Nous réévaluerons chaque jour ou presque le terme probable de notre disparition
finale et définitive.Nous passerons des heures entières
à étirer nos bras morts
à masser nos mains froides et nos yeux infectés.
Nous ferons des efforts immenses pour nous ranimer.Nous reprendrons nos exercices
nous multiplierons les déplacements.Nous ferons des efforts immenses
pour ne pas céder à la panique.Bien à l’abri dans les étages
nous essaierons de ralentir le processus
nous maintiendrons un semblant d’activité.
Les colonnes de fumée noire ne cesseront pas de s’élever vers les nuages.
Bien à l’abri dans les étages
nous ressentirons le souffle des détonations. (p. 131-132)C’est ça
Maintenant
Nous savons
Maintenant
C’EST IRRÉPARABLENous nous éteindrons. (p. 139)
Hugues Jallon, Zone de combat (Verticales, 2007)
Zone de combat est composé d’une série de séquences poétiques sur la peur qui aujourd’hui nous anime et nous fait courir, une peur qui est tout à la fois consolée et amplifiée par les injonctions et recommandations qui nous cernent, les thérapeutes, les coachs et les sectes qui s’efforcent de nous prendre en main.
Né le 13 juin 1970, Hugues Jallon est directeur éditorial des éditions La Découverte. Il est déjà l’auteur de La Base. Rapport d’enquête sur un point de déséquilibre en haute mer (éditions du Passant, 2004).
On peut lire en ligne, deux articles critiques sur La base, de Chloe Delaume et de Guénaël Boutouillet (remue.net), et d’autres extraits (Vacarme).