tous contre tous

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Même si ceux qui ne les lisent pas continuent d’accuser les écrivains français contemporains de ne s’intéresser qu’à leur nombril, ils me semblent nombreux, en ces temps pré-électoraux, à parler de ce qui les entoure et ne leur plaît pas. Ariel Kenig publie ainsi Quitter la France (Denoël, 2007), court pamphlet en forme de lettre de rupture amoureuse à notre pays. Son précédent roman, La Pause, mettait en scène un jeune homme qui dans une cité refusait de sortir de chez lui pour ne pas accepter la vie qu’on lui promettait.

Plus loin n’existe pas. La vie c’est le blockhaus : l’habitation à loyer modéré, le hameau de campagne, le quartier pavillonnaire, le gratte-ciel résidentiel, l’impasse à loft ou l’hôtel particulier. Les types de logis s’affrontent pendant que les petits ego concourent.
À qui revient la plus grande valeur démographique, la plus grande souffrance, le plus grand déni ? À qui échoit le plus indécent privilège, le plus vulgaire avantage ?
Tous contre tous, nous avons amoindri nos forces, perdu notre lucidité, et cela m’est égal, au fond, de brûler mes liens. (p. 27-28)

Les gens ne se regardent pas assez. Ils s’effraient. Ongles rongés, peau trouée, doigts jaunis par le tabac, cheveux gras, il y a matière. Les gens sont trop malheureux. Ils réclament infiniment, sans complexe. Puisque tes normes et tes institutions les détruisent, ils demandent réparation. Ça ne les contentera pas plus, mais « c’est toujours ça de pris ». Ce serait de l’individualisme, du vrai, les demandeurs en tireraient un profit intime et transcendant. Du bonheur brut. Mais puisqu’ils se nient d’avance, les plaignants construisent leur identité dans le sauvetage de leur statut, du symbole qu’ils incarnent. C’est aride. (p. 42)

Plutôt que de regrouper tes forces afin de rayonner toujours, de pérenniser ton implantation culturelle dans le monde, crache ton vin d’abord et trouve un endroit où loger tes pauvres. Intrinsèquement, je n’ai pas spécialement honte de ta culture ; seulement de l’effroi quand elle voyage. En employant tes mots à l’autre bout du monde, je tremble de peur. Comment s’exprimer en ta langue officielle sans être suspecté de collaborer à tes actes dédaigneux ? (p. 61-62)

Ariel Kenig est né le 24 juin 1983. Il a déjà publié des pièces de théâtre et deux romans : Camping Atlantic (Denoël, 2005) et La pause (Denoël, 2006).