sa plus sournoise prison

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Ce que l’on a, un jour, appelé fiction n’existe plus et nul ne peut aujourd’hui nier les effets subversifs de cette catégorie d’écrits trop longtemps portée aux nues. En donnant de Ia réalité des représentations illusoires, en la distordant pour prétendument révéler son sens caché ou en abusant de cette manie qu’est l’invention d’histoires, les écrivains de fiction ont communiqué leurs frustrations à leurs semblables ; ils ont créé chez eux des souhaits démesurés et par contraste mis en valeur la monotonie de leur vie. Leur méthode se fondait sur l’utilisation excessive du processus d’identification qui leur permettait de magnifier les sentiments les plus ambigus, les plus contradictoires de leurs lecteurs et ainsi de les plonger dans l’incertitude et Ia consternation. Au cours des décennies passées, la fiction est apparue de plus en plus comme une menace pour l’évolution de l’humanité, ses écrivains comme les promulgateurs d’un malaise qui aurait dû demeurer entièrement le leur. L’imagination, nous le savons à présent, n’est pas un atout de l’être humain mais sa plus sournoise prison.

Céline Curiol, Permission (Actes sud, 2007, p. 100-101)

Née en 1975 à Lyon, Céline Curiol a publié auparavant Voix sans issue (Actes sud, 2005 ; Babel, 2006)

à lire :
– Vincent Roy, « Céline Curiol et Antoine Bello : sortir des prisons de verre », Le Monde des livres, 25 janvier 2007
– Agnès Séverin, « L’imagination, voilà l’ennemi », Le Figaro, 25 janvier 2007