demande au lecteur
– Pourquoi vous êtes en pente ?
– Et pourquoi vous ne tombez pas ?Ils étaient tous couchés dans leurs lits, les lits étaient tournés vers le sol, mais ils n’étaient pas attachés aux cadres des sommiers métalliques.
– Mais c’est toi qui es en pente, pas nous, dit C-C-C, lentement, distinctement, en détachant tous les mots.
– Tu comprends ?
– Qu’est-ce qu’il faut que je comprenne ?
– Demande au lecteur. Il a compris depuis un moment, lui.
– Pas sorcier. On lui dit tout. Mais à moi, on n’explique rien.
C-C-C haussa les épaules. Alice ne le vit pas hausser les épaules parce qu’elles étaient enfermées dans le scaphandre mais ce fut comme si elle les voyait. D’ailleurs il avait levé les yeux au ciel qui n’était pas là. Alice leva ses yeux à elle vers le plafond. Dans le plafond elle vit un œil. Un œil bleu la regardait fixement.
« J’avais raison. Il y a bien soixante-treize yeux. »
Lui rendant la pareille, sans se laisser intimider, elle le regarda avec une fixité au moins égale à la sienne. Alors l’œil s’élargit jusqu’à occuper le plafond (?) du vaisseau spatial ; entièrement. Le ciel étoilé apparut dans toute sa prétention universelle.
L’œil était dans le ciel et regardait Alice.Roubaud / Lévêque, Alice et les 36 garçons (Mac/Val, fiction, 2006, p. 26-27)
Ainsi se termine l’avant-dernier chapitre de cette courte fiction (truffée de citations et où Alice, le temps d’une chute dans un puits, rencontre les mystérieux occupants de ces lits étranges) imaginée par Jacques Roubaud à l’occasion de l’exposition « Le Grand Sommeil » de Claude Lévêque (lui-même grand inventeur d’espaces-temps étranges où l’enfance tient souvent une grande place) au MAC/VAL.
Sur Claude Lévêque, voir fluctuat.net ou Artnews, et, sur « Le Grand Sommeil », le Petit journal du Mac/Val, Lunettes rouges ou fluctuat.net.