l’art est illusionniste
Si la caricature consiste à conserver les proportions de l’ensemble tout en modifiant la forme et la dimension de certaines parties, il n’y a pas d’art qui ne soit caricatural – avec en plus cette différence que, le réel n’étant pas un ensemble dans lequel il serait loisible d’isoler des parties, l’art de l’art consiste à faire passer son ouvrage pour une partie arbitrairement détachée et agrandie d’un ensemble donné, qui n’existe pas : à inventer l’ensemble par la partie qui à son tour trouve sa place et par conséquent son fondement dans la présence d’un ensemble dont elle crée l’illusion. Ainsi, l’art est illusionniste plus encore que caricaturiste, mais avant tout en cela qu’il nous présente l’incomplet comme l’indice d’un complet, nous donne l’intuition de l’ensemble par la partie là ou ne sont ni ensemble ni parties, et resserre notre conscience sur un objet nécessairement fini pour le nimber, secrètement, d’infini. La grande œuvre musicale n’est pas une construction sonore, c’est l’écoute comme entente du monde, la grande œuvre plastique n’est pas une fenêtre, c’est une ouverture sans contours : l’ouverture ; la grande œuvre écrite n’est pas un jour sur le monde, c’est sa lumière : sa matière.
Marc Cholodenko, « Art », Glossaire (POL, 2007, p. 11)