ce qui est fait

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J’ai souvenir de mon émotion quand je lisais Voyage en grande Garabagne, il y a plus de vingt ans. Tout au long de ma lecture, je me disais « j’ai une idée, je vais écrire ce livre », et j’étais tellement exalté par ce projet que je ne voyais pas l’évidence : qu’il était trop tard, que le Voyage en grande Garabagne n’était plus à écrire, que je le tenais entre les mains… Nous trouvons surtout dans les livres de nos écrivains favoris une partie de la besogne abattue. Ce qui est fait n’est plus à faire, et, d’ailleurs, rares sont les écrivains selon mon goût qui se posent en maîtres. Disciples et épigones sont de pénibles crampons. Mais peut-être, oui, alors, ces œuvres majeures délimitent-elles en creux la forme que pourra prendre la nôtre dans le voisinage de la leur : ce qui reste à faire.

Éric Chevillard, « Des crabes, des anges et des monstres. Entretien avec Mathieu Larnaudie », Devenirs du roman (Inculte / Naïve, 2007, p. 109)