machines romanesques

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Pour le volume Devenirs du roman (Inculte / Naïve, 2007), Philippe Vasset propose un beau texte intitulé « Machines romanesques » (p. 55-60) :

-> (…) Pour mes deux premiers textes, je pensais avoir mis en place une forme nouvelle, baptisée « Machines » (j’avais négocié pour que cet intitulé apparaisse en-dessous du fatal « roman » sur la couverture de mes livres). Je me suis bien gardé d’expliciter cette appellation car mon projet était alors assez flou (il l’est toujours un peu). En gros, il s’agissait d’écrire un équivalent textuel du Centre Pompidou et de rendre toute la structure du livre visible, de façon à ce que le lecteur s’intéresse plus à elle qu’à l’intrigue (les personnages étaient transparents, les histoires incomplètes, trouées, et le moteur du texte était, dans un cas, le fonctionnement d’un logiciel et, dans l’autre, le déploiement d’une carte). Le livre devait apparaître comme la production d’un mécanisme plus vaste, aux potentialités presque illimitées et dont le lecteur serait invité à se saisir pour en faire, à son tour, usage (tout ceux qui écrivent aujourd’hui sans comprendre que leurs lecteurs sont capables de faire aussi bien qu’eux, sinon mieux, ne produisent que des livres vains).

-> Bien sûr, mes « Machines » manquent leur but, et même d’assez loin, mais ça n’est pas très grave : je préfère prendre un risque et rater un texte plutôt que faire comme si je savais ce que je faisais, comme si le monde n’avait pas changé et que la littérature y jouait toujours un rôle, comme s’il suffisait d’inventer des personnages « attachants » et des histoires « captivantes » pour faire un texte qui soit autre chose que du papier imprimé. Tous les livres que j’aime aujourd’hui ont des ambitions bien au-dessus de leurs forces : la plupart du temps, ils tombent â côté, mais ces demi-échecs valent cent fois mieux que la littérature d’ameublement qui vient chaque septembre couvrir les tables des librairies.

-> Pour laisser s’épanouir ces formes inachevées, pour permettre la coexistence et l’interpénétration réciproque du réel et de la fiction, pour ouvrir le texte à ses lecteurs, ils nous faudrait, au lieu du roman, une forme plus proche de ce que l’art contemporain appelle installation, c’est-à-dire une juxtaposition d’éléments entre lesquels on puisse circuler, un texte préparé comme l’étaient il y a cinquante ans les pianos, bref, une machine.

-> Armés comme des pièges, ces assemblages textuels permettraient, plus sûrement que ne le peut le roman, d’appréhender les métamorphoses de la fiction. Ils révéleraient la petite économie fictionnelle qui court en arrière-plan de nos vies, la persistance presque rétinienne de certaines scènes et personnages, la multiplication à l’infini de nos avatars, et le nuage de noms et de qualificatifs qui partout nous accompagne. Eux seuls pourraient capter la langue concassée, hantée, confuse à force d’ellipse et de raccourcis qui est la nôtre et montrer que celle-ci vient toujours après : après les images et après la musique que l’on écoute sans cesse.

C’est l’occasion d’inciter à lire ses trois romans :
Exemplaire de démonstration, Machine I (Fayard, 2003 ; Pocket, 2005)
dont on peut lire en ligne des extraits (remue.net)
Carte muette, Machine II (Fayard, 2004 ; Pocket, 2006 )
Bandes alternées (Fayard, 2006)

Philippe Vasset est né en 1972. Il est rédacteur en chef d’Africa Energy Intelligence et membre de la rédaction d’Intelligence Online.