super-héros ou dilettante

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Écrivain (en 10 leçons) de Philippe Ségur (Buchet Chastel, 2007) est un roman très drôle, qui commence par :

Ma vocation d’écrivain est une conséquence directe de mon échec dans la carrière de super-héros. (p. 13)
Ma mère m’a beaucoup soutenu dans mes débuts de super-héros. Elle me trouvait beau. Elle me trouvait intelligent. Nous tombions assez facilement d’accord sur le fait que j’étais promis à une haute destinée. Nous ne divergions que sur les modalités pour y parvenir. Je tenais par-dessus tout à la combinaison rouge et cornue de Daredevil. Elle préférait le casoar des élèves de Saint-Cyr ou le bicorne des polytechniciens. Je lui disais : « Maman, tu veux me rendre ridicule. » Elle me répondait : « De la blague. Trouve-toi d’abord une bonne situation, tu feras super-héros ensuite. » Je dois admettre qu’elle n’avait pas tout à fait tort. Peu de super-héros poussent le perfectionnisme jusqu’à se dissimuler en garçons coiffeurs ou en videurs de boîte de nuit. (p. 15)
A l’âge de onze ans, ma vie a connu un véritable tournant. Je me suis mis à écrire. L’écriture est une activité nettement moins dangereuse que de se promener dans la cour de son immeuble un mercredi après-midi en tenue de Méga-Condom. J’ai pu m’y livrer sans dommage avec une grande ardeur. Ma mère ne voyait pas d’un très bon œil cette nouvelle passion. « De la blague, disait-elle. Trouve-toi d’abord une bonne situation, tu feras écrivain ensuite. » Elle considérait les gens de lettres comme des saltimbanques, des crève-la-faim qui ne tenaient rien de solide. D’ailleurs la plupart mouraient jeunes, ce qui prouvait à quel point ils étaient incapables. Les seuls qui trouvaient grâce à ses yeux avaient un vrai métier. Ils étaient ambassadeurs, ministres, chirurgiens. Ils écrivaient des livres à temps perdu, pour se distraire. L’absence de soucis matériels était la condition préalable d’une bonne création. Généralement, elle la rendait même superflue et ainsi tout rentrait dans l’ordre. (p. 18)

et finit par :

Un dilettante, ça ne gagne pas sa vie, un dilettante.
Un dilettante, ça s’amuse tout le temps.
Dix heures par jour la semaine.
Et les dimanches. Et les congés.
Allez expliquer ça aux gens réellement utiles à la société. Aux fabricants de dossiers, aux organisateurs de réunions. Allez vous justifier devant les producteurs de nécessités premières. Allez leur dire que les livres sont votre raison de vivre. Allez leur dire qu’ils vous ont sauvé la vie. Tâchez de leur faire comprendre cette petite chose de dix heures par jour, dimanche compris, congés itou, cette chose infime, pas commercialisable. Ils vous regarderont avec un air de compréhension et de bonté, avec ce fichu air de compassion qu’ils ont tous pour les poètes. Il y en a même un ou deux qui vous diront : « tu as raison. » Ils feront : « moi aussi, j’ai un hobby. » Ils feront : « dès que j’ai une minute à la maison, je bricole. »
Pauvre poète, pauvre fou.
Essayez donc d’écrire deux fois plus pour oublier ça. (p. 185-188)

Philippe Ségur est né en mai 1964 dans le Tarn.
Il enseigne le droit à l’université et a publié :
Métaphysique du chien (Buchet-Chastel, 2002)
Autoportrait à l’ouvre-boîte (Buchet-Chastel, 2003)
Poétique de l’égorgeur (Buchet-Chastel, 2004)
Seulement l’amour (Buchet-Chastel, 2005)
Écrivain (en 10 leçons) (Buchet Chastel, 2007)
Messal : poèmes (n & b éditions, 2007)

On peut consulter en ligne :
son site
– le blog de Clarabel
– une page du site netcomete.