comme un chaudron fêlé

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En surfant hier soir avec méfiance (1er avril oblige), j’ai pris conscience du fait que la méfiance envers le langage était souvent la règle en ligne (même le 2 avril), car tous les discours sur les informations non-validées d’internet y renforcent le soupçon qui pèse sur tout discours.

En écho à ce constat, l’un des seuls passages de Madame Bovary (dont je relis en ce moment mes passages préférés à cause de grâce à Berlol) où Flaubert se permet de laisser transparaître son point de vue, pour s’attrister du cynisme de Rodolphe et, au-delà, de l’insuffisance désespérante des mots :

Il s’était tant de fois entendu dire ces choses, qu’elles n’avaient pour lui rien d’original. Emma ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage. Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. Parce que des lèvres libertines ou vénales lui avaient murmuré des phrases pareilles, il ne croyait que faiblement à la candeur de celles-là ; on en devait rabattre, pensait-il, les discours exagérés cachant les affections médiocres ; comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l’exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.

Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857, II, 12

Texte dont, grâce à l’université de Rouen, on peut maintenant lire en ligne les brouillons et ratures successifs : 127v128127 et 326.
Si on préfère le texte définitif, la version proposée par Wikisource est assez agréable à utiliser.