la maladie naturelle de notre esprit
Les hommes méconnaissent la maladie naturelle de leur esprit : il ne fait que fureter et quêter ; et va sans cesse, tournoyant, bâtissant, et s’empêtrant en sa besogne, comme nos vers à soie, et s’y étouffe. Mus in pice. Il pense remarquer de loin, je ne sait quelle apparence de clarté et vérité imaginaire : mais pendant qu’il y court, tant de difficultés lui traversent la voie, d’empêchements et de nouvelles quêtes, qu’elles l’égarent et l’enivrent. (…)
Ce n’est rien que faiblesse particulière, qui nous fait contenter de ce que d’autres, ou que nous-mêmes avons trouvé en cette chasse de connaissance : un plus habile ne s’en contentera pas. Il y a toujours place pour un suivant, oui et pour nous-mêmes, et route par ailleurs. Il n’y a point de fin en nos inquisitions ; notre fin est en l’autre monde. C’est signe de raccourcissement d’esprit, quand il se contente, ou signe de lassitude. Nul esprit généreux, ne s’arrête en soi : il prétend toujours, et va outre ses forces ; il a des élans au-delà de ses effets ; s’il ne s’avance, et ne se presse, et ne s’accule, et ne se choque et tournevire, il n’est vif qu’à demi. Ses poursuites sont sans terme, et sans forme. Son aliment, c’est admiration, chasse, ambiguïté.
Michel de Montaigne, Essais, III, 13