les pensées-étoiles-filantes

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L’homme que je vois pour la dernière fois existe, à plusieurs reprises, il n’y a jamais eu que lui. Il s’agit pour l’écriture de le maintenir dans une espèce de réanimation où il oscille toujours entre la fatidique prochaine des dernières fois et plus jamais, de le faire imaginairement refluer jusqu’à l’estuaire de la Der des Der où, disparaissant, il livre le secret de ses apparitions. on le voit, visage au vent, passé au dehors de la vitre de la voiture, plonger dans la transparence de sa propre amnésie, comme dans une matière semi-liquide, car ce qu’il dissipe de lui à chaque tournant, il vous le lègue en pure mémoire quand c’est pour vous la dernière fois de vous en souvenir.

Le poème sur les pensées-étoiles-filantes, qui n’est pas un poème pour les fixer, mais seulement pour les laisser telles qu’elles somptueusement disparaissent, est inventé pendant que je te regarde, pendant que cette pensée (qu’il y a aurait des étoiles filantes de ce genre) se confond avec ton visage aussi infailliblement que leur évanouissement se résout bientôt dans le ciel. Cette pensée, que je m’attends toujours à perdre d’un moment à l’autre, je la fais tenir sur ton visage, comme une baguette en équilibre au bout de mon doigt, et crois même un court instant pouvoir la retrouver à seulement te revoir… Mais le poème sur les pensées-étoiles-filantes, qui ne retient rien que du somptueusement disparu, devient ce faisant un poème pour seulement te regarder. Je te regarde. Je ne sais plus de quel théorème je fais la mise au point sur ton visage. Ta blondeur est au centre physionomique de cela.

Les pensées-étoiles-filantes ont la plus belle qualité de vitesse qu’on puisse imaginer, tout simplement parce que ce n’est pas une vitesse qui se mesure dans le présent des heures ou des minutes, mais une vitesse qui se calcule à l’heure future. Ça ne veut pas dire que leur vitesse ne soit pas actuelle et leur passage réellement éprouvé dans le ciel du présent, ça veut dire qu’aussitôt passées, elles n’ont pas encore existé, voilà toute la différence, et d’ailleurs à l’œil nu, on ne s’en rend pas compte forcément.

Les pensées-étoiles-filantes ont pour les mêmes sortes de raison la plus belle façon de disparaître. En fait il est difficile de savoir quand elles disparaissent exactement, et puis d’ailleurs disparaître pour elles veut dire comme n’avoir pas encore existé, elles disparaissent en même temps que cesse leur vitesse. Je me dis que j’aimerais faire un livre de toutes ces pensées-là.

Cécile Mainardi, La blondeur (Les Petits matins, 2007, II)

Publié aux éditions Les petits matins, dans la collection « Les Grands soirs » , dirigée par Jérôme Mauche, La blondeur est un bel hommage – en forme de poème en prose envoûtant – à la blondeur d’un homme qu’on devine parti, comme les « pensées-étoiles-filantes ».

Cécile Mainardi est actuellement en résidence au cipM.
En ligne aussi notamment cet article d’Hortense Gauthier dans libr-critique