les piquants du hérisson

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J’ai lu tant de livres…
Pourtant, comme tous les autodidactes, je ne suis jamais sûre de ce que j’en ai compris. Il me semble un jour embrasser d’un seul regard la totalité du savoir, comme si d’invisibles ramifications naissaient soudain et tissaient entre elles toutes mes lectures éparses – puis, brutalement, le sens se dérobe, l’essentiel me fuit et j’ai beau relire les mêmes lignes, elles m’échappent chaque fois un peu plus tandis que je me fais l’effet d’une vieille folle qui croit son estomac plein d’avoir lu attentivement le menu. Il paraît que la conjonction de cette aptitude et de cette cécité est la marque réservée de l’autodidactie. Privant le sujet des guides sûrs auxquels toute bonne formation pourvoit, elle lui fait néanmoins l’offrande d’une liberté et d’une synthèse dans la pensée là où les discours officiels posent des cloisons et interdisent l’aventure.

Muriel Barbery, L’élégance du hérisson (Gallimard, 2006, p. 51)

Depuis qu’il trône en tête des ventes, ayant même réussi un temps à devancer Marc Lévy, Guillaume Musso, Paolo Coelho ET Harry Potter (!), et qu’il a dépassé les 350 000 exemplaires vendus, il devient (forcément) tendance de dénigrer le livre de Muriel Barbery, L’élégance du hérisson. Les critiques s’étonnent d’un succès qu’ils n’ont pas annoncé, et, même si quelques-uns le jugent mérité (par exemple dans « Le Masque et la plume » d’hier soir), beaucoup, comme Philippe Lançon dans Libération, se demandent s’il faut « écraser le hérisson ? ».

C’est injuste, car, qu’on l’aime ou pas, le livre de Muriel Barbery a l’immense mérite d’être un vrai livre, pas un produit calibré pour la vente, qui s’est vendu sans véritable publicité de la part de son éditeur (trop occupé à la rentrée dernière à promouvoir les Bienveillantes), sans promotion télé, avec très peu de critiques, mais avec le soutien des libraires (qui lui ont décerné le Prix des Libraires) et grâce au bouche à oreille.

Je suis heureuse de l’avoir lu, avec beaucoup de plaisir et sans a priori, avant qu’il ait du succès, attirée par son joli titre (j’adore les hérissons !) – et de l’avoir aimé, malgré quelques réserves (son écriture un peu classique et son côté roman à thèse) ; si je l’avais lu aujourd’hui, j’aurais peut-être (mais peut-être pas) réagi comme Judith Bernard (dont je suis fan, précisé-je), qui l’assassine dans « l’arrogance du paillasson » avec des arguments qui sont parfois l’ombre portée de mes réserves.

Bon séjour sabbatique à Kyoto, Muriel !