si mon ventre était plat

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Récemment, au cours d’une étude menée auprès d’un groupe de femmes issues de milieux défavorisés et de groupes ethniques variés, les enquêteurs ont demandé aux participantes ce qu’elles changeraient prioritairement dans leurs existences si elles en avaient la possibilité ; elles ont en majorité répondu qu’elles souhaiteraient perdre du poids. Je crois que je peux m’identifier à ces femmes parce que j’ai moi-même intégré l’idée que si mon ventre était plat, alors je deviendrais quelqu’un de bien, et je serais en sécurité. Protégée. Je serais acceptée, admirée, importante, aimée. C’est peut-être parce que pendant presque toute ma vie je me suis sentie imparfaite, sale, coupable, méchante, et que mon ventre a été en quelque sorte le sac, la petite valise où toute cette haine de soi s’est réfugiée que j’en suis arrivée à penser ça. À moins que ce ne soit parce que mon ventre est devenu le sanctuaire de mon chagrin, de mes blessures d’enfance, de mes ambitions déçues, de ma rage contenue. Comme un petit tas de dynamite, mon ventre est le centre vers lequel convergent toutes les mèches explosives – l’impératif judéo-chrétien d’être bon ; le postulat patriarcal sur la discrétion des femmes et leur infériorité ; le diktat consumériste qui veut qu’on soit toujours meilleur, ce qui sous-entend que nous sommes nés imparfaits et méchants, et que devenir meilleur implique toujours de dépenser de l’argent, beaucoup d’argent. Peut-être aussi qu’un voyage au cœur de mon ventre et de la vie qui l’anime peut me permettre d’échapper à ces dangereuses contraintes : celles d’un monde qui se fragmente à toute allure en clans fondamentalistes, un monde où les petites phrases toutes faites et les platitudes manichéennes font loi.

Eve Ensler, Un corps parfait : théâtre (The Good Body, 2004). Traduit de l’américain par Béatrice Gartenberg. Adapté par Michèle Fitoussi. Denoël, 2007, p. 8-9

Eve Ensler est née en 1953
Comme sa première pièce, Les Monologues du vagin, créée en 1996, et devenue un véritable phénomène de société, celle-ci manque un peu de nuance dans la dénonciation féministe des travers de nos sociétés, mais cela fait du bien parfois de lire ou d’entendre sur scène certaines choses …