l’écrivain se prend pour la littérature

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L’écrivain est un personnage à peu près seul. Animal parfois médiocre, toujours isolé sur son radeau. Il n’a rien à faire avec personne. L’écriture repliée sur elle-même comme un chat roulé en boule au soleil. Ceux qui voyagent, ceux qui ne quittent jamais leur rue, célibataires ou pères de famille nombreuse. L’écriture est toujours une solitude insoluble dans la fréquentation des autres. Personne ne peut rien pour vous, et même l’écriture est indifférente, sourde aux sanglots des soldats qui montent à l’assaut la peur au ventre. Si vous écrivez, mieux vaut être un héros ou avoir l’audace des fous. Méditer sur l’écriture avant d’écrire, est une façon de ne pas écrire. Les méditateurs, la littérature leur tire douze balles dans le dos. (…)
– La littérature est mégalomane.
– Et de surcroît, l’écrivain se prend pour la littérature. La littérature qui s’imagine éternelle au milieu des galaxies et du temps. L’écrivain est un petit monsieur.
– En ce qui me concerne, je ne suis guère plus grand qu’un tabouret de comptoir.

Régis Jauffret, Microfictions (Gallimard, 2007, p. 509-510)

Régis Jauffret est le lauréat du Prix France Culture Télérama 2007 pour son roman Microfictions.

Le site de Télérama propose deux vidéos où l’auteur présente son livre et lit quatre de ses « microfictions » les plus réussies.