M'intéresse tout particulièrement la façon dont les écrivains se comportent lorsqu'il deviennent « visibles » sur les plateaux de télévision : nous en parlions il y a quelques jours chez Berlol à propos de Philippe Sollers et Michel Onfray ; un autre sujet fécond de ce point de vue est le « sujet Angot » pour reprendre ses propres termes. On pouvait il y a quelques semaines lire dans Les Inrockuptibles (j'aurais préféré créer un lien mais en dépit de leurs professions de foi sur le partage en ligne il n'y proposent quasi rien, ce qui est dommage!) l'article suivant :

Indispensable Angot
« Depuis sa fameuse interpellation, sur le plateau de Bouillon de culture, en septembre 1999, du romancier Jean-Marie Laclavetine, à qui elle reprochait en toute franchise son absence de talent, Christine Angot s'est fabriqué une "image" médiatique pour le moins controversée. Cette image de femme farouche et inquiétante, à la langue bien pendue, semble en fait tout sauf fabriquée : elle fait corps avec un personnage - le cas Angot -, dont le reflet télévisuel est un miroir parfait de la personne écrivain. Angot est "cash"; comme on dit aujourd'hui, elle "aime la vérité qui fait mal autant que les cons la vérité flatteuse" (L'Usage de la vie). Incapable de tricher avec elle-même, de composer avec ses ennemis, de travestir sa réalité, de transiger au lieu de plaider. Plaider sa cause, ses causes. Même lorsqu'elle fait des efforts pour être "calme" sur un plateau télé (qu'elle peut quitter lorsqu'elle se sent mal reçue, comme chez Thierry Ardisson), le naturel lui revient à un rythme galopant. Elle fulmine, sort de ses gonds, hurle, mord, telle une douce créature de Tex Avery soudainement devenue enragée. Et tant pis pour les esprits habitués aux codes de la fausse politesse télévisuelle: comme elle le confiait la semaine dernière dans En aparté sur Canal+, son coup de griffe contre Laclavetine venait aussi pour venger des années passées à regarder les invités de Pivot se congratuler les uns les autres, comme si tout le monde littéraire il était beau et gentil.
Sa nouvelle rentrée télévisuelle ne devrait pas arranger son cas. Gare à l'intervieweur qui aurait "mal" lu son roman Rendez-vous. Pour l'avoir simplement traitée de "naïve"en amour, Pascale Clark se fit sèchement rembarrer. Pour Angot, soit on est naïf, soit on est écrivain, il faut choisir son camp, le sien étant déjà trouvé. Mais c'est sur le plateau de la nouvelle émission de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, sur France 2, qu'elle excella dans son registre sanguin. Face au journaliste Éric Zemmour, parti dans une diatribe réactionnaire contre les jeunes de banlieue et l'école, on la vit se prendre la tête entre les mains et hurler "Mais c'est pas possible!", comme atteinte dans sa chair par l'expression de la bêtise bienpensante. C'est là, dans cette posture de l'animal blessé, dans ce cri d'un loup solitaire, dans cet appel désespéré à en finir avec la connerie, qu'Angot, sans gants, dérange et rassure à la fois. La violence de ses attitudes ne fait que répondre à la violence de discours irrecevables. Sur la scène du théâtre télévisuel, elle s'agite comme si l'urgence de la situation l'exhortait à tout donner d'elle-même, absolument tout. Sa parole en résistance, son corps en transe, sont aussi ce que la télévision offre de plus fort et de plus juste comme spectacle : la voix isolée d'Angot résonne dans un trop plein de facticité, de faux-semblants et de vulgarité. Grâce à elle, on sait qu'il est possible d'être vivant à la télévision, d'y trouver sa place, fût-elle inconfortable. »
(Jean-Marie Durand, Les Inrockuptibles, 565, 26 septembre 2006)

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... tout sauf fabriquée, l'image publique de Christine Angot : je n'en suis pas certaine (même si, bien sûr, écouter Éric Zemmour sans broncher est difficile).

L'image médiatique de l'écrivain me semble au contraire très travaillée, tout comme est très travaillée la photo de Nan Goldin, célèbre photographe de l'intimité, qui orne la jaquette de Rendez-vous (Flammarion, 2006) : intimité de la chambre, mais fenêtre ouverte sur l'extérieur, sensualité des bretelles sur des épaules nues, mais pose intellectuelle de la main qui soutient la tête, jeux d'ombres et de lumières qui cachent le visage pour mieux le dévoiler. (dans le même numéro des Inrocks, lire p. 30 l'analyse d'Olivier Nicklaus, « Coquetterie de Christine A. » au sujet de cette photo).

Christine Angot me semble-t-il sur-joue toujours un peu (façon Actor studio) une indignation (qui souvent est probablement réelle). En disant cela je n'entends pas critiquer cet artifice, qui n'est qu'une intelligence du système télécratique, une manière de ruser avec les jeux de rôles qu'il impose, pour se créer une place propre dans le spectacle, un emploi qui « dérange et rassure à la fois ». Cela semble être la position la plus tenable dès lors qu'on accepte de parler dans la télé, comme d'autres écrivains (de Michel Houellebecq à Sollers, de Chloé Delaume à Amélie Nothomb) l'ont compris. Cette position, si elle assure une visibilité accrue, n'est d'ailleurs pas toujours confortable, notamment car elle expose quasi inévitablement à la critique féroce des intellectuels qui pour la plupart se font gloire de ne pas supporter (ni même regarder, disent-ils) la télé, et qui pourtant confondent deux choses très distinctes : l'image médiatique de l'écrivain et ses livres.