À la demande (presque) générale, voici la totalité de l'intervention d'Éric Chevillard dans Le Matricule des anges (p. 13) :
Mais je veux une critique littéraire à ma botte, exaltée, fanatique, qui sache dégager subtilement le dessein secret de ma grande œuvre, sa radicale nouveauté, les mille intentions qui l'ordonnent, les finesses de style et de pensée dont elle est constituée et quelques autres encore que j'aurais étourdiment omis d'y inclure et qu'elle inventera pour moi, s'appuyant autant que possible tout de même sur le texte et ne le faussant pas trop, juste assez pour l'enrichir de ces miroitements de sens qui étonnamment lui faisaient défaut en dépit des innombrables facettes dont je prends soin de biseauter ses contours - puis que cette critique littéraire l'impose, ma grande œuvre, tant auprès de l'élite exigeante et blasée qui l'inscrira dans le temps sans terme de la postérité que du vaste public bon enfant qui m'assurera auparavant de solides rentes et une considération certaine dans mon quartier.
Très réussi également, le décalogue ironique d’Eric Faye (p. 14)
Ami critique,
I - Tu seras à la fois juge et partie (…)
II - Tu ne t’intéresseras au livre d’un auteur que s’il te permet de te mettre en valeur, toi.
III - Le premier roman d’un auteur ainsi encenseras, afin d’en être sacré « découvreur », et aussi pour mieux assassiner son deuxième, nettement plus faible.
IV - Moutonnier tu resteras, car entre confrères, on se tient chaud.
V - Des petits éditeurs te garderas de critiquer les livres (…)
VI - Les modes littéraires tu suivras (…)
VII - La loi du marché honoreras (…)
VIII - De lire les livres que tu dois chroniquer t’abstiendras, l’éditeur se donne assez de peine pour pondre un communiqué de presse et une « quatrième ».
IX - Tout livre reçu tu courras ventre à terre revendre chez Gibert (Joseph) (…)
X - Gardien du politiquement correct tu seras (…).
ainsi que la judicieuse contribution de Lydie Salvayre (p. 20) :
Petit aperçu de critiques suscitées par la publication en 1857 et 1861 des Fleurs du Mal de Monsieur Charles Baudelaire, d'où il ressort qu'il est préférable d'être jugé par Messieurs Gustave Flaubert et Victor Hugo, génies incontestables, que par Monsieur Gustave Bourdin lequel n'a laissé dans l'histoire littéraire que les traces de sa bave, ou les Frères Goncourt dont les noms seraient tombés depuis longtemps en poussière s'ils n'avaient été associés à un Prix de Gymnastique de renommée nationale.
Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles.
Lettre de Victor Hugo à Baudelaire, 1857.Il y a des moments où l'on doute de l'état mental de M. Baudelaire ; il y en a où l'on ne doute plus : c'est, la plupart du temps, la répétition monotone et préméditée des mêmes mots, des mêmes pensées... Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l'esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c'était pour les guérir, mais elles sont incurables.
Gustave Bourdin, Le Figaro, 5 juillet 1857.Vous avez trouvé le moyen de rajeunir le romantisme. Vous ne ressemblez à personne (ce qui est la première des qualités). L'originalité du style découle de la conception. La phrase est toute bourrée par l'idée, à en craquer. J'aime votre âpreté, avec ses lécitasses de langage qui la font valoir, comme des damasquinures sur une lame fine. Quant aux critiques, je ne vous en fait aucune, parce que je ne suis pas sûr de les penser moi-même dans un quart d'heure. J'ai, en un mot, peur de dire des inepties dont j’aurais un remords immédiat...
En résumé, ce qui me plaît avant tout dans votre livre, c'est que l'art y prédomine. Et puis vous chantez la chair sans l'aimer, d'une façon triste et détachée qui m'est sympathique. Vous êtes résistant comme le marbre et pénétrant comme le brouillard d'Angleterre.
Encore une fois, mille remerciements du cadeau. Je vous serre la main très fort.
Lettre de Gustave Flaubert à Baudelaire, 13 juillet 1857Le saint Vincent de Paul des croûtes trouvées, une mouche à merde en fait d'art.
Edmond et Jules de Goncourt, journal avril 1862.
:::::: quelqu'un sait-il ce qu'est une « lécitasse » ? est-ce une coquille ?
Et beaucoup d'autres textes très intéressants, dans ces trois volets qui donnent successivement la parole aux critiques de la rédaction, aux auteurs et aux lecteurs ; on peut d'ailleurs si on le souhaite ajouter son avis de lecteur sur le site.