lire en profondeur
Par cgat le samedi 26 décembre 2009, 23:36 - écrivains - Lien permanent
Monsieur Kraus quitta le journal de bonne humeur. Il savait que, par les temps qui couraient (à reculons ? de travers ?), « la seule façon objective de commenter la vie politique, c'était d'en faire la satire ». (p. 9)
Le Chef aimait le changement parce qu'il n'aimait pas rester à ne rien faire. Et il n'aimait pas rester à ne rien faire parce qu'il aimait le changement. Telle était sa position sur la question. Le Chef pouvait faire siennes des positions différentes, mais sur d'autres sujets. Sur le fait de rester à ne rien faire ou de passer à l'action, il avait adopté cette position. Ces deux positions.
Il essayait d'alterner. Il tirait fierté tantôt de l'une, tantôt de l'autre. Le Chef disait :
- On appelle ça la propriété commutative du langage. De même que deux plus trois égale trois plus deux, ne pas aimer rester à ne rien faire égale aimer le mouvement. Tout comme aimer le mouvement égale ne pas aimer rester à ne rien faire. Je ne sais pas si vous m'avez bien compris.
Les deux Assesseurs avaient compris.
- Donc, dit le Chef, en, désignant l'un d'eux, vous !
- Moi ?
- Oui, vous !
- Qu'est-ce que j'ai fait ?
- Rien. C'est justement le problème. Il faut faire quelque chose. On ne peut pas rester sans rien faire. Je vous ai déjà expliqué l'idée de propriété commutative ?
- Oui, Chef. On a adoré ! Ça fait cinq. Trois, plus deux, ça fait cinq.
- Visiblement, vous n'avez rien compris. Ce qui importe, ce n'est pas le résultat, c'est le mouvement. Vous saisissez ?
Les deux Assesseurs avaient parfaitement saisi. Pour la deuxième fois.
- Bien. Maintenant, tous les deux, vous allez vous asseoir et vous allez taper par terre avec vos pieds, sans relâche, jusqu'à ce que je vous dise d'arrêter. Allez, vous tapez jusqu'aux prochaines élections !
- Quelle belle idée, Chef. (p. 25-26)- De ce côté-là, des hommes obéissant aux ordres du Chef tirent sur les oiseaux les plus lents, dit monsieur Kraus.
De ce côté-ci, le Chef ramasse un ou deux oiseaux blessés et, au vu et au su de tous, décide de les soigner, avec dévouement, en se consacrant exclusivement, jour après jour, à leur complet rétablissement. Sauver au moins l'un de ces oiseaux devient alors une obsession.
Un homme ingénu pourra penser qu'il eût été plus simple de commencer par ne pas donner l'ordre de tirer sur les oiseaux. Pourtant, l'année suivante, le processus se répétera. (p. 49)- Lire en profondeur... murmura monsieur Kraus.
Un politicien ne lit pas de livres, dans le meilleur des cas il lit les titres. Avec les gens, il fait pareil. (p. 101)Gonçalo M. Tavares, Monsieur Kraus et la politique (Viviane Hamy, 2009)
Toujours aussi savoureux que les deux volumes précédemment traduits, Monsieur Valéry (Viviane Hamy, 2008) et Monsieur Calvino et la promenade (Viviane Hamy, 2009), la suite des évocations par Gonçalo M. Tavares des habitants de son « bairro » en forme de bibliothèque idéale. Le « Chef » évoque furieusement certain(s) dirigeant(s) actuel(s) de notre pays, et, dans ce volume-ci, on trouve en prime une postface d’Alberto Manguel.
Commentaires
" Pourtant, l'année suivante, le processus se répétera."...oui, et c'est accablant.