elle habite aussi chez gallimard
Par cgat le jeudi 2 novembre 2006, 00:01 - édition - Lien permanent
J'ai envie de signaler un beau billet râleur de Chloé Delaume sur les mutations de l'édition, l'indigence de la critique et la lassitude qui gagne :
« (...) Être lucide. Prendre une feuille de papier, y inscrire au feutre noir : je ne suis pas bancable. Noter la mise en place nettement plus importante depuis que Verticales aux côtés de POL et de Joelle Losfeld est une voiture balai du groupe Gallimard. Reconnaître que les 7000 exemplaires mis sur le marché, je les lui dois, au groupe Gallimard. Attendre les retours d’ici les mois à venir, et voir si finalement j’ai dépassé le seuil de mon chiffre habituel, mes 4000 par objet, enfin quand ça se passe dans de bonnes conditions. Faire de rapides calculs, et conclure comme toujours que je ne peux pas en vivre, même en travaillant sérieusement, parutions régulières, avances, commandes, rythme soutenu. J’écris des livres dont on se branle, je sais que ça ne changera pas. (...) »
Commentaires
Pauvre Chloé. Moi, j'étais en train de rêver qu'un jour, je pourrais peut-être l'atteindre, cette barre inespérée des quatre mille exemplaires vendus, aucune de mes bafouilles publiées à ce jour n'ayant atteint, et de loin, ne serait-ce que le tiers de ce chiffre énorme, mes machins ne bénéficiant d'absolument aucun écho dans le public ni, ce qui est certes un moindre mal, dans la presse littéraire, qui a sans doute d'autres chats à fouetter, et je la comprends, il faut bouffer, s’assurer un place, une réputation, et puis commencer par écluser les piles de ceux qu’on connaît,, ce qui est déjà un énorme travail, et puis les choisir en priorité parce qu’ils sont connus, et qu’il faut vendre, alors les autres, on pioche au hasard, et pour nous c'est la roulette russe… Comme la plupart de mes corréligionnaire romanciers, homme de la foule, je sais que vaille que vaille, je traverserai le continent littéraire à pied, en anonyme, et qu'à aucun moment, je ne gagnerai quoi que ce soit de cette activité absurde et compulsive - fors l'avance de quelques centaines d'euros qu'un éditeur doit verser à son auteur, papelard contractuel oblige. Et alors? Franchement, et alors ? Ne vaut-il pas mieux le traverser, ce continent, tranquillement à pied, à son rythme, en empruntant les chemins qui ne mènent nulle part, plutôt qu’à coups de pied dans le cul, sur l’autoroute de la facilité et de la compromission, parce que coco, il faut vendre et dajà ton titre, ça va pas... L'écriture n'est pas, n'a jamais été, ne sera jamais un métier. Et heureusement. Vendre. Qu'est-ce que ça veut dire vendre? Chloé, fais comme tout le monde, calme ton dépit en pensant à ceux qui "vendent" peu, ou ne vendent rien du tout, ou ne publient pas. Aux inconnus. Si nombreux. Parmi lesquels, certains des meilleurs. Ou mieux : pense à ceux qui vendent. Ceux qui vendent vraiment. A ces salariés du roman. Salariés sans feuille de paie. Ces esclaves à la botte. Ces fous devenus comptables. Eternels cocus des éditeurs qui eux, gagnent vraiment (je le sais d'autant plus que j'ai bossé dans ce secteur, côté paie...) Pire: Pense à ceux qui ont beaucoup vendu et qui ont le malheur de vendre encore un peu. J'en ai vus quelques-uns à la fête du livre de saint Étienne, courbés, signant et resignant, pour Josiane, Robert, Kevin, affectueusement, pour machin, amicalement, courbés comme moi (mais c'était de honte) derrière leurs piles. Un ancien Goncourt. Un ancien Femina. Un ancien ci. Un ancien là. Cadavres. Rien de plus pathétique que ces auteurs qui ont eu leur moment. Leur quart d’heure sans cesse remâché. Certains, les plus crêve-cœur, l’ayant amplement mérité, ce quart d’heure. Cette espérance folle de pouvoir en vivre à nouveau, comme on a pu, à un moment, en vivre (cf. l’excellent bouquin sur la condition littéraire dont tu as parlé). Alors fuir ça. Fuir ça absolument. Refuser toute expectative, tout espoir qui ne sont que pièges. S’escamoter. Rester au chaud dans la foule. Pour mieux lever bien haut le doigt d'honneur de la liberté. Conchier ces prix qui ne font rien d'autre que couronner des futurs cadavres. Il y a aussi le futur-ex-prix littéraire. Coiffure aérée, air égaré, flanqué de son attaché de presse-factotum. Le pauvret à beau en vendre cent fois plus que moi, des livres. Mais c’est qu’il doit alors les compter. Sa petite feuille devant lui. Alignant les bâtonnets. Combien j'ai fait aujourd'hui? Jamais assez, lui fait comprendre son attaché de presse, en lui disant aimablement le contraire. Alors il sait qu’il est embarqué, le gamin. Il sait qu’il devra les compter toujours, ses ventes. Quatre mille. Dix mille. Cent mille. Jamais assez. Jamais content... JFP
oui, elle n'est pas spécialement une brebis bêlant dans le désert, et tant mieux sans doute
C'est un peu comme ces bidasses qui pétaient leur score dans les trains du dimanche soir (sauf qu'ils tendaient vers le zéro de la quille). Aujourd'hui, on voit ça avec les sites web, ceux qui mettent un plug-in ou un compteur bien visible et qui affiche leur nombre de visiteurs, d'ailleurs réduits à des "hits". Ceux qui pètent leur score dans leurs billets, font tout ce qu'il faut pour se faire référencer partout, pour que ça augmente, et ceux qui transforment ça en banquabilité dans l'optique de se faire acheter, et comment le site devient pourri après le (c)rachat...
avec un peu de retard (j'étais partie au bord de l'Atlantique m'aérer les neurones)
... merci Jean-François Paillard pour ce tableau du monde des lettres un peu amer mais hélas très juste : choisissons, donc, les lignes de fuite
... des noms, Berlol ?