quiconque prétend écrire
Par cgat le vendredi 17 novembre 2006, 00:15 - citations - Lien permanent
(...) la bêtise détermine l'état d'esprit qui afflige quiconque prétend écrire.
Dans la mesure où l'écriture semble être réquisitionnée par quelque altérité
intérieure qui s'avère toujours trop immature, plutôt forte en gueule, et
souvent encombrée d'un désordre narcissique prononcé, quelle que soit
d'ailleurs votre envie de vous cacher ou de vous isoler ; dans la mesure,
encore, où le créateur en vous est en réalité trop intelligent pour les
stupides postulats de la langue, trop mûr même pour les ruses du surmoi, et
bien trop calme pour tenter de mettre en mots le Dire; dans la mesure, enfin,
où l'écriture vous fait sans cesse vivre le drame de l'objet perdu mais jamais
assez perdu, vous sommant une fois de plus de vous engager dans d'inutiles
poursuites et de considérables régressions, tout cela se déroulant devant le
sinistre tribunal du surmoi, composé de professeurs, de collègues, de tous ceux
qui vous ont laissé tomber, et d'étudiants malintentionnés essayant de vous
surclasser (ils font parfois relâche, mais pas si souvent que ça) - pour toutes
ces raisons, donc, et pour bien d'autres encore (des raisons plus raisonnables
qui m'échappent momentanément), l'écriture vous livre à l'expérience de votre
propre bêtise. L'étau se resserre encore quand vient le moment de publier ce
que vous avez écrit, de le soumettre à un jugement sans fin. La folie de la
publication, associée au sentiment de bêtise absolue qui vient du fait de vous
mettre vous-même en première ligne - de toute façon, qui s'en soucie ? et
Heidegger est toujours en train de contempler la ligne, mais quelle
ligne ? - , vous fait toujours errer dans les limites de l'incertaine
justesse de ce qui a été dit.
Avital Ronell, Stupidity (2001) (Stock, 2006, p. 51-52)