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Hubert Guillaud « dissèque » avec intelligence l' « amitié en ligne » qui est l'argument publicitaire de MySpace et d'autres sites du même type : la clé pour comprendre l'engouement qu'ils suscitent est la « question existentielle qui parcourt les cours de récréation » : « Es-tu mon ami ou pas ? ».

En dépit du goût pour la solitude qu'on leur prête volontiers, il semblerait que les écrivains aient aussi envie de se faire des amis, puisque Blogauteurs nous annonce que de plus en plus créent un profil MySpace. Outre les écrivains cités dans ce billet, j'ai aussi repéré les pages de Fabrice Colin, Régis Clinquart ou Arnaud Cathrine. Hubert Guillaud, encore, émet de sérieux doutes sur l'intérêt de ces pages. Même si je reste également un peu extérieure à tout celà, il me semble tout de même que certaines autodescriptions, certains blogs et même certains commentaires ont de l'intérêt. Et puis c'est tellement pratique pour connaître le signe astrologique des écrivains !

Terminons par une petite citation de la Recherche du temps perdu (ça ne fait jamais de mal !) sur le caractère « funeste » de l'amitié pour un artiste :

Les êtres qui en ont la possibilité - il est vrai que ce sont les artistes et j'étais convaincu depuis longtemps que je ne le serais jamais - ont aussi le devoir de vivre pour eux-mêmes ; or l’amitié leur est une dispense de ce devoir, une abdication de soi. La conversation même qui est le mode d’expression de l’amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d’une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de vérité. Et l’amitié n’est pas seulement dénuée de vertu comme la conversation, elle est de plus funeste. Car l’impression d’ennui que ne peuvent pas ne pas éprouver auprès de leur ami, c'est-à-dire à rester à la surface de soi-même, au lieu de poursuivre leur voyage de découverte dans les profondeurs, ceux d’entre nous dont la loi de développement est purement interne, cette impression d’ennui, l’amitié nous persuade de la rectifier quand nous nous retrouvons seuls, de nous rappeler avec émotion les paroles que notre ami nous a dites, de les considérer comme un précieux apport, alors que nous ne sommes pas comme des bâtiments à qui on peut apporter des pierres du dehors, mais comme des arbres qui tirent de leur propre sève le nœud suivant de leur tige, l’étage supérieur de leur frondaison.

Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleur (Gallimard, 1988, Bibliothèque de la Pléiade, tome 2, p. 260)